Jean-Marie Charon : "la presse n'arrive pas à maîtriser le rythme d'Internet"

Pour le sociologue Jean-Marie Charon, les opérateurs qui ont préempté, comme Google, les places des journaux dans l'accès à l'information sur Internet pourraient participer à son financement. Les quotidiens sont en fait prisonniers d'un Apple qui fixe les règles du jeu. Le chercheur au CNRS critique par ailleurs la vente par Lagardère de ses magazines à l'international.
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En crise depuis trente ans, la presse quotidienne est dans une situation dramatique qui ne voit guère d'issue. Pourquoi ?

La presse quotidienne est face à un univers de concurrence très évolutif, qui préempte des places qu'elle occupait jusque là. Par exemple, Google et Facebook contrôlent l'accès à l'information. Sur l'iPad, c'est pire. C'est Apple qui fixe les règles du jeu. La presse n'arrive pas à maîtriser ce rythme. On devrait avoir partout dans les rédactions des laboratoires internes. A l'origine, c'était l'objectif du Monde avec le Post. Mais l'expérience leur a échappé et le Post finira sûrement par être vendu.

Que pensez de la façon dont la la presse à abordé l'information sur le Web  ?

Pourquoi la presse a-t-elle échoué lorsqu'elle a voulu se lancer en radio ou à la télévision ? Parce qu'elle a toujours cru qu'elle pouvait créer des modèle hybrides. Mais chaque média a une forme propre, et demande un travail éditorial spécifique. Sur le Web, le flux est inévitable. Après il faut travailler avec la communauté, et imaginer des traitements approfondis. Le problème des rédactions intégrées est que l'on demande à un même journaliste de tout faire. Ce n'est pas possible. En revanche, il faut des structures qui intègrent des journalistes Web, et qui restent souple. L'expérience d'Owni, où journaliste, développeur et designer travaillent ensemble est intéressante.

Que doit apporter le quotidien alors qu'une grande quantité d'informations est immédiatement disponible?

Les contenus doivent être renouvelés de manière suffisamment forte afin de les distinguer de l'instantané. Le problème est que les publics qui font vivre les journaux actuellement sont des gens âgés. Ce phénomène empêche les journaux de marquer des ruptures importantes. Mais l'on va sûrement vers une périodicité différente pour les quotidiens nationaux et des contenus plus spécifiques.

Sur quels relais de croissance les quotidiens peuvent-ils compter pour compenser la baisse de leurs revenus traditionnels ?

C'est difficile car, de toute part, les revenus sont faibles. Et les tentatives de diversification peu convaincantes. Quelque soit l'option, les journaux sont confrontés aux grands opérateurs. Mais les journaux doivent innover à tous les niveaux, (commercial, distribution et publicitaire). Dans l'e-commerce par exemple, il faut faire face à Amazon. Le Figaro a eu la meilleure stratégie Web, grâce aux petites annonces. L'un des éléments du modèle pourrait reposer sur les grands opérateurs. Le rôle de ces intermédiaires, comme Google, pourrait être rapproché de celui du diffuseur en télévision, qui paie la production.

Mais Google ne veut pas payer les contenus...

Cela ne se débloquera pas en France tant que les éditeurs ne s'unissent pas. Ailleurs, aux Etats-Unis ou en Allemagne, les éditeurs savent s'organiser. En Allemagne, les éditeurs ont réussi à empêcher que la télévision publique allemande ne fournisse des programmes de diverstissement sur le Web, sous prétexte que l'argent public ne doit pas faire concurrence aux entreprises privées de la presse.

Pourtant, avec Mediapart, Rue89 ou Slate, Internet connaît certains succès...

Il s'agit de niches, qui prouvent que sur le Web, on peut inventer des espaces éditoriaux avec des modèles particuliers, mais cela ne règle pas le problème des grandes machines généralistes.

Pourquoi la presse magazine a-t-elle eu du mal à prendre place sur le numérique ?

Pendant longtemps, la presse magazine a cru pouvoir se passer du Web, ou que leur entrée sur Internet se ferait indépendamment de leur activité historique, par de nouveaux métiers. Bertelsmann s'était lancé avec AOL, qui avait après repris Time Warner. Lagardère s'était investi dans Club Internet. Tous ont ensuite reculé. Aujourd'hui, la presse magazine n'est nulle part. Elle tente de se rattraper, comme Lagardère, en rachetant des pures players du net. Mais son rythme n'est pas du tout adaptée au Net, où il faut rafraîchir souvent les sites. C'est pour cette raison qu'ils ont créé des structures séparées.

Quelle est sa situation aujourd'hui ?

On est revenu à quelques dizaines de nouveaux de titres chaque année, contre quelques centaines auparavant. Les éditeurs s'interrogent sur le virtuel. Deux tendances émergent. D'une part, sont lancés des produits sophistiqués haut de gamme (comme "XXI" par exemple). D'autre part, certains magazines, comme dans la culture, vont devenir 100% numériques. Les domaines de prédilection de la presse magazine, comme la télévision et les féminins ne sont épargnés. Des titres comme Prima ou Femme Actuelle ont beaucoup perdu. Cette double tendance freine les stratégies des grands groupes. On le voit avec Lagardère par exemple.

Lagardère vient de vendre sa presse magazine internationale à Hearst, que pensez-vous de ce mouvement ?

Cette cession me paraît contradictoire par rapport à la stratégie des autres groupes de presse. Jamais Hearst, Bertelsmann ni Bauer n'auraient vendu des activités internationales qui sont rentables.

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