Sans sa vache à lait UMG, Vivendi va devoir prouver sa cohérence industrielle

L’annonce de l’entrée en Bourse d’Universal Music Group marque un changement d’ère chez Vivendi. Le géant des médias va devoir envisager l'avenir sans sa puissante locomotive, en développant et consolidant ses autres activités aujourd’hui bien moins profitables.
Pierre Manière
Vincent Bolloré, le chef de file de Vivendi.
Vincent Bolloré, le chef de file de Vivendi. (Crédits : Reuters)

Les actionnaires de Vivendi applaudissent. Forcément. L'annonce, la semaine dernière, de la cotation d'Universal Music Groupe (UMG), filiale du géant des médias, à la Bourse d'Amsterdam d'ici à la fin de l'année, leur sera très profitable. 60% du capital de la prestigieuse « major » leur sera reversé sous formes d'actions UMG, au titre d'une « distribution exceptionnelle ». Un véritable jackpot pour les actionnaires de Vivendi, et d'abord pour le premier d'entre eux, Vincent Bolloré. Au terme de l'opération, Groupe Bolloré, qui dispose de 27% du géant des médias, possèdera 16% d'UMG. Partant du principe que ce dernier vaut un minimum de 30 milliards d'euros (le chinois Tencent a récemment racheté 20% du capital pour 6 milliards d'euros), la participation du groupe de Vincent Bolloré pèsera près de 5 milliards d'euros... Vivendi, de son côté, conservera 20% d'UMG, mais perdra donc largement son contrôle.

Ce n'est pas rien. Jusqu'à présent, UMG était sa locomotive, sa figure de proue et de loin le principal moteur de ses revenus. L'essor de la musique en streaming a permis à cette filiale de prospérer ces dernières années, loin devant les autres activités du groupe dans les médias (avec Groupe Canal+), la communication (avec Havas), l'édition (avec Editis) ou encore les jeux vidéo (avec Gameloft). Aujourd'hui, UMG domine le marché mondial de la musique aux côtés du japonais Sony et de l'américain Warner. De toutes les gammes de « contenus » de Vivendi, elle en était le joyau. Vincent Bolloré l'a d'ailleurs toujours considérée comme tel. « Le premier contenu au monde, c'est la musique, déclarait-il en juin 2016, lors d'une audition au Sénat. Avec Universal Music, nous avons la chance d'avoir le numéro un mondial qui représente 40% de la musique dans le monde - les Beatles, les Rolling Stones, U2, les Beach Boys, Rihanna, Cathy Perry, Justin Bieber et plein d'autres artistes appartiennent à 100 % à ce groupe français. » Lors de cette même audition, il soulignait aussi que « la politique de Vivendi » consistait « à développer des contenus, au premier rang desquels figure la musique »« Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur le numéro un mondial dans ce domaine », a-t-il renchéri.

« Un vrai enjeu de reconstruction d'un projet attractif »

Désormais, Vivendi devra donc se débrouiller sans son « numéro un mondial »« UMG ne devrait, à terme, plus être contrôlé par un groupe français. Certains le regretteront. Mais une opération sur le capital d'UMG  était attendue depuis longtemps par les actionnaires, et le spin off fait sens dans la mesure où les synergies avec les autres activités du groupe étaient très limitées », relève Thomas Coudry, analyste chez Bryan Garnier. Si la cotation d'UMG relève d'une opération financière assumée et permettra d'enrichir grassement les actionnaires, le géant des médias va désormais devoir prouver sa pertinence industrielle, et sa capacité à développer ses autres activités. « Il y a désormais un vrai enjeu de reconstruction d'un projet attractif au sein de Vivendi sans Universal », souligne Thomas Coudry.

Vivendi dispose aujourd'hui d'une large surface financière, et les marchés scruteront à la loupe ses prochaines acquisitions. Dans les médias, le groupe dirigé par Vincent Bolloré est en passe de fondre sur Europe 1. Il pourrait également être intéressé par le groupe M6, aujourd'hui à vendre. Dans l'édition, Vivendi, qui possède Editis, le numéro deux du secteur, pourrait lorgner le numéro un Hachette, qui appartient au groupe Lagardère. Reste que jusqu'à présent, le Vivendi de Vincent Bolloré a davantage brillé par ses coups financiers que par sa capacité à façonner un réel projet industriel. Le groupe a longtemps vanté son souhait de bâtir un « Netflix d'Europe du Sud ». Mais il a échoué à consolider ses positions en Italie, chez l'opérateur historique Telecom Italia comme chez le champion de la pay TV Mediaset. Dans les jeux vidéo, difficile d'y voir vraiment clair. En 2015, deux ans après avoir vendu ses parts dans Activision Blizzard, le numéro un mondial du secteur, Vivendi s'est lancé à l'assaut des champions français Ubisoft et Gameloft. Il raflera le second, spécialisé dans les jeux sur mobile, mais jettera l'éponge concernant le premier, tout en empochant, au passage, une grosse plus-value de 1,2 milliard d'euros. Quant au rachat d'Havas en 2017, l'opération semble, pour beaucoup, davantage relever de la logique patrimoniale, puisque le géant de la communication appartenait jusqu'alors... au Groupe Bolloré. Vincent Bolloré et Vivendi n'ont, quoi qu'il en soit, pas fini d'agiter le Tout-Paris des affaires.

Pierre Manière

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 17/02/2021 à 11:34
Signaler
Bolloré est avant tout un raider flairant les bons coups boursiers . Il se contrefout de la vision et vise avant tout le bon pognon.

à écrit le 17/02/2021 à 8:46
Signaler
D'un autre côté c'est certainement le meilleur moment pour vendre ce consortium financier de droits d'auteurs qui date du 20ème siècle, la multiplication hallucinante des labels indépendants dans le domaine musicale devenant très riches très vite de...

à écrit le 16/02/2021 à 18:06
Signaler
Bolloré est avant tout un financier, et non un industriel, seulement à la marge.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.