Omnicom-Publicis : lendemains de fête en cinq questions

La mise en scène de la fusion entre Publicis et Omnicom était impeccable. Cette opération, qui à l'évidence marque un tournant dans l'histoire de la pub, et pour certains, la fin d'une certaine histoire, justement, pose néanmoins un certain nombre de questions. Revue de détail.
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L'annonce ce dimanche de la fusion entre l'américain Omnicom (TBWA, DDB...) et Publicis a surpris toute la place financière tout autant que le petit monde de la publicité. Un peu groggy, les poids lourds du secteur étaient même encore étonnés ce lundi matin qu'un tel projet ait pu rester secret aussi longtemps. « Autant des rumeurs couraient depuis plusieurs mois sur un rapprochement entre Omnicom et l'autre américain Intercom qui n'est pas dans une forme éblouissante, mais alors sur Publicis, pas le moindre début de fuite », reconnaît un rien bluffé le patron d'un grand réseau français. Au point d'ailleurs que les grands barons de chacun des deux groupes n'ont été informés de l'accord que vendredi dernier.

>> Lire aussi : Naissance d'un nouveau numéro un mondial de la publicité

L'opération, baptisée Color, dont les premiers jalons ont été posés il y six mois par Maurice Lévy, le patron du groupe français, n'en séduit pas moins les marchés (les titres des deux géants flambaient à l'ouverture des séances ce lundi après-midi). Il faut dire que cette fusion est celle des superlatifs : c'est la plus importante de l'histoire, elle donne naissance à un numéro un mondial et se fait sur parfait pied d'égalité en terme de valorisation.

Bref, le coup de pub parfait mis en scène au cordeau par un Maurice Lévy rayonnant, un dimanche après-midi ensoleillé sur la terrasse de son agence face à l'Arc de Triomphe. Comme toutes les (trop) belles histoires, celle-ci mérite un décodage à froid, maintenant que le joli spot a été abondamment diffusé.

  •  Est-ce une si bonne idée ?

De prime abord, cette opération fait sens. Passons sur les évidences liées à l'effet de taille qui permet dans ce secteur d'imposer des conditions aux médias, dès lors que l'on dispose d'une puissance d'achat considérable et surtout d'un réseau mondial. De ce point de vue, la quasi-unanimité des réactions des analystes sanctionne favorablement l'opération.

Mais surtout, glisse le patron d'une agence française, « c'est une très bonne affaire pour Omnicom qui va bénéficier de l'offensive menée depuis plusieurs années dans le numérique avec notamment le rachat de Razorfish et de Digitas ». L'argumentaire de Maurice Lévy est d'ailleurs entièrement bâti sur cette nouvelle dynamique. Avec des ambitions considérables : s'imposer comme l'interlocuteur qui compte face aux géants du Net, principalement le fameux GAFA (Google, Amazon , Facebook, Apple).

Au-delà, explique un observateur du secteur, c'est surtout la capacité du nouveau groupe à gérer les Big Data qui sera déterminante. Ce champ des possibles pour la communication, ouvert par le traitement des milliards de données collectées sur les consommateurs, fait désormais rêver tout les publicitaires - et ils sont nombreux - désemparés face à l'inconstance, la plasticité du message numérique.
Reste la méthode : est-ce la meilleure solution que de grossir pour entretenir cette agilité indispensable si l'on veut exister dans un univers qui ne cesse de bouger et dont l'histoire s'écrit au mois le mois. Le patron d'Havas, David Jones, ne s'est d'ailleurs pas gêné pour appuyer sur ce point potentiellement douloureux en brocardant cette stratégie de "walmartisation" (course à la taille), face à de nouveaux concurrents hyper-mobiles de dimension bien plus réduite.

  • Est-ce un tournant dans l'histoire de la publicité ?

C'est en tout cas une étape majeure et, pour ce dirigeant français toujours défenseur d'une certaine idée de la pub, la fin d'une histoire. « Regardez. On a là un numéro un mondial qui va ête co-piloté par un ancien informaticien et un ex-directeur financier ». Au-delà de cette récurrente et gentille allusion au passé de Maurice Lévy chez Publicis, dont les admirateurs préfèrent vanter les qualités de lobbyiste que le génie créatif, cette fusion consacre bien, pour dire les choses brutalement, une tendance à la financiarisation, d'un secteur.

Un monde dont certaines stars, toujours brillantes et efficientes d'ailleurs, ont du mal à accepter que la dimension quasi-romantique se dilue lentement mais sûrement dans les ordinateurs d'une holding néerlandaise. Surtout si la route est désormais tracée par les Google et autre Amazon, forts de leurs (méta)données qui eux, pour le coup, n'ont de culture que celle du volume.

  • Est-ce la fin d'une histoire française ?

Bien évidemment. Comment croire qu'à une échéance relativement brève, ce nouvel ensemble ne soit pas un groupe anglo-saxon à part entière. Le choix d'installer son siège social aux Pays-Bas, s'il ne présente pas d'intérêt fiscal évident, participe de cette inéluctabilité. Mieux, explique un bon connaisseur du groupe, « cette fusion, va diluer la participation d'Elisabeth Badinter qui passera d'environ 9% de Publicis à 5% du nouvel ensemble, et débarassera en quelque sorte la fille de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur du groupe, d'une forme de responsabilité ». En d'autres termes, elle va perdre son statut de dépositaire de l'identité française, comme peut l'être Liliane Bettencourt chez l'Oréal.

  • Y a-t-il un risque de conflit d'intérêts au sein du nouvel ensemble?

C'est l'une des premières questions qui s'est posée à l'issue de cette annonce surprise... et c'est probablement la moins pertinente. Depuis que les grands réseaux fusionnent, le monde de la publicité s'est habitué à faire vivre et cohabiter des clients concurrents au sein d'un même ensemble. C'est le cas bien sûr chez Omnicom où par exemple TBWA et DDB sont des entités très fortes et vivent parfaitement leurs éventuelles concurrences. Mais Publicis roule aussi bien pour Renault que pour Toyota qui est piloté par sa filiale Saatchi & Saatchi. Même si Martin Sorrell, le bouillant patron du désormais futur numéro 2 du secteur, WPP Group, après avoir reconnu que c'était un joli coup, s'est empressé de prédire une vague de défections de clients - et de talents - pour les deux mariés.

  • Est-ce le meilleur coup de Maurice Lévy ?

Le successeur de Marcel Bleustein Blanchet se délivre là un bon de sortie en sifflet du plus bel effet. A ceux qui lui reprochaient d'être incapables de se choisir un successeur (il a aujourd'hui 71 ans) - les bureaux de Publicis sont remplis d'impétrants supposément désignés ou susceptibles de l'être un jour -, il répond par une habile tangente.

Il codirigera en effet à distance le nouveau groupe pendant trente mois avec John Wren, le PDG d'Omnicom, avant de se contenter d'un rôle de président non exécutif et évitera donc de cohabiter quotidiennement avec celui qui devrait le remplacer un jour - confrontation que nombre de grands patrons français ont souvent du mal à supporter ou préfèrent même refuser, quitte à fragiliser l'avenir de leur entreprise.

Reste une interrogation soulevée par l'affirmation, lancée dimanche pendant l'annonce de l'accord, concernant la parité programmée des rémunérations de Maurice Lévy et John Wren. « Comme j'imagine mal Wren baisser ses revenus, cela veut dire que celui de Maurice devrait augmenter... », persifle le patron d'une agence française. Un sujet sensible pour un patron de Publicis dont le bénéfice d'un super bonus a alimenté la polémique l'an dernier.
 

Commentaires 8
à écrit le 30/07/2013 à 12:11
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un ALCATEL bis en perspective pour satisfaire les caprices de pouvoir et d'argent d'un dirigeant un fleuron français va disparaître. Dans moins de cinq ans le centre de contrôle sera aux US et aucun politique ne bouge, ils sont tous aveugles. Montebo...

à écrit le 30/07/2013 à 10:19
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Marcel Bleustein grand résistant et patriote, aurait refusé que le siège social de son entreprise quitta la France.

le 30/07/2013 à 12:13
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Malheureusement ce genre de valeur se perd et tout n'est question que d'argent aujourd'hui. Posseder la derniere Mazerrati (en 3 exemplaires) fait aujourd'hui de vous un modele mais si vous osez parler morale, environnement,... vous êtes au mieu un f...

le 30/07/2013 à 12:28
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pas si sûr, car la France est devenue un petit Etat Providence "géré" par des idéologues égalitaristes qui font fuir ceux qui prennent des risques et créent des richesses. C'est un mouvement de fond que Hollande et UMPS n'ont pas compris et qui va s'...

à écrit le 30/07/2013 à 9:36
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Excellent article . Comme l'indique la presse financière anglo saxonne, l'intérêt opérationnel de cette fusion est douteux tant pour l'entreprise ( trop de conflits d'intérêts à l'intérieur du nouveau groupe) que pour les actionnaires (Publicis cr...

le 30/07/2013 à 12:11
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Donc en faites pour qu'il reste il faudrait qu'ils puissent gagner 2 millions au lieu d'un (je schématise) et que dans le meme temps les employés (qui eux ne gagnent pas 1 million loin s'en faut) ferment leurs gueu..es avec le sourire. Elle est belle...

à écrit le 30/07/2013 à 9:09
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Pas besoin de faire appel à des "stratèges" anglo-saxons, aux émoluments indécents, pour identifier que le modèle économique de la "publicité" évolue avec l'arrivée des géants du Web. Par contre, penser que la course à la taille est la réponse est ju...

à écrit le 30/07/2013 à 9:02
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Le siège social s'en va aux Pays-Bas. Encore un des fleurons Français qui fuit le pays qui n'aime pas les entreprises.......

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