5G : les 5 enjeux d'un défi technologique

L’arrivée de la 5G sera une révolution technologique majeure, mais la « vraie » 5G n’est pas pour tout de suite. Et la promesse de nouveaux usages disruptifs est encore floue, surtout pour le grand public.
Pierre Manière
La 5G ouvre la voie à des solutions de virtualisation immersives en 3D via un casque, ou même une tablette.
La 5G ouvre la voie à des solutions de virtualisation immersives en 3D via un casque, ou même une tablette. (Crédits : AFP)

1/ Une solution à l'explosion du trafic mobile

Pour les opérateurs télécoms, la 5G est d'abord la réponse à une préoccupation très terre à terre : celle d'écouler un trafic mobile qui va crescendo. En France, la consommation de données continue d'exploser. D'après les derniers chiffres de l'Arcep, le régulateur des télécoms, celle-ci a passé la barre, au deuxième trimestre, de 1,2 exaoctet - c'est-à-dire 1,2 milliard de gigaoctets. Cela représente une augmentation de près de 39% par rapport à la même période en 2018. Autre chiffre significatif : par rapport au même moment, la consommation mensuelle moyenne de données d'une carte SIM s'élève désormais à 5,8 gigaoctets. Soit 1,6 giga de plus qu'il y a un an. Le déploiement de la 4G, qui est loin d'être terminé, alimente cet appétit pour des usages toujours plus « datavores », comme les jeux vidéo ou la vidéo en streaming. Les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free comptent ainsi sur la 5G, qui promet des débits jusqu'à 20 fois plus rapides que la 4G, pour y répondre.

2/ Une innovation qui peut bouleverser l'économie

En Chine et aux États-Unis, la 5G est considérée comme « une arme de numérisation massive ». Signée Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, la formule résume bien les attentes de Washington, de Pékin, et plus largement d'une importante frange des industriels à l'égard de la 5G. Outre des débits plus rapides, cette technologie comporte trois caractéristiques très prometteuses. Primo, elle permettra de relier des myriades d'objets connectés. Secundo, elle offrira une latence (le temps de réponse pour l'envoi et la réception d'une information) imperceptible. Tertio, la 5G permettra du network slicing, qui permet d'adapter au mieux les ressources du réseau à différentes applications avec une grande qualité de service.

Ces propriétés constituent des atouts dans de nombreux domaines aussi stratégiques que les usines connectées, la domotique, la robotique industrielle, la maintenance à distance, la voiture autonome, la télémédecine, les réseaux électriques intelligents ou le trading à haute fréquence. Dans certains secteurs, elles sont même des prérequis indispensables. La très faible latence et le network slicing apparaissent indispensables pour éviter des accidents de voitures autonomes. Idem pour les opérations chirurgicales à distance.

3/ L'impact sur les usages grand public encore dans le flou

Si la 5G promet de chambouler bon nombre d'usages, de pratiques économiques et industrielles, il est encore difficile de cerner la manière dont cette technologie servira directement le grand public. Sur le papier, les débits beaucoup plus élevés de la 5G par rapport à ceux de la 4G ouvrent la porte à moult innovations. « Beaucoup d'acteurs envisagent des solutions de virtualisation immersives - via des casques 3D par exemple -, ou encore la vidéo 4K, illustre Mérouane Debbah, le patron du laboratoire de Huawei France destiné à la 5G. Certains imaginent aussi des tablettes 3D où l'image sortira de l'écran. Ici, on pourrait même les contrôler via des techniques à base d'ultrasons, sans toucher l'écran, en faisant par exemple le geste de tourner une molette imaginaire pour augmenter le son. »

Récemment, d'autres usages possibles, liés au gaming par exemple, sont apparus. Mais difficile de voir, pour l'heure, une innovation potentiellement de rupture se démarquer. Mérouane Debbah en convient : le risque de se tromper sur les usages est grand lorsqu'on met au point une technologie mobile... « On n'est jamais sûr de rien !, affirme-t-il. On a tous en mémoire ce qui s'est passé avec la 3G. À l'origine, elle a été développée dans les années 1995 pour faire de la visiophonie. À l'époque, personne ne pensait qu'on naviguerait sur le Net en mobilité... Finalement, la visiophonie ne s'est jamais imposée dans les usages. Et surtout, une innovation révolutionnaire, le smartphone, est arrivée en 2007. Ce qui a tout chamboulé ! »

4/ Un nouveau réseau sensible pour la sécurité nationale

Les réseaux mobiles ont toujours été considérés comme des infrastructures sensibles. La 5G le sera d'autant plus que les entreprises y recourront pour nombre d'applications critiques, comme la voiture autonome ou la télémédecine. Aux yeux du gouvernement, pas question de prendre le risque que ces réseaux soient piratés, soit pour siphonner des données, soit pour interrompre leur fonctionnement. C'est la raison pour laquelle la France a adopté, l'été dernier, une loi sur la sécurisation des réseaux mobile en prévision de la 5G. Le texte renforce les pouvoirs de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), lui permettant de valider, en amont, l'utilisation d'un très grand nombre d'équipements et de logiciels télécoms.

L'exécutif a également justifié cette loi en raison des caractéristiques nouvelles des réseaux 5G. C'est ce qu'a rappelé Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances, à la commission d'enquête sur la souveraineté numérique du Sénat, en septembre dernier. « Il faut savoir que la 5G est très différente de la 4G, a-t-il affirmé. La 5G n'est pas une simple amélioration de la 4G, elle opère une transformation systémique des réseaux, puisque les données sensibles sont stockées dans chaque antenne relais et non au cœur des réseaux. Cela justifie que nous nous dotions de moyens de contrôle renforcés. »

Un acteur, en particulier, inquiète les services français. Il s'agit de Huawei. Si le géant chinois des équipements télécoms et des smartphones n'est pas cité nommément
dans la loi, celle-ci vise clairement à limiter son emprise sur les réseaux 5G. Huawei suscite aujourd'hui la méfiance des États-Unis et de l'Europe sur fond de soupçons d'espionnage pour le compte de Pékin. Mi-octobre, l'industriel a été épinglé, sans être directement nommé, dans un rapport de l'Union européenne. « Les menaces posées par des États ou des opérateurs qu'ils soutiennent sont considérées comme de la plus haute
importance » car ces derniers « peuvent avoir la motivation, l'intention et, plus important encore, la capacité de mener des attaques répétées et sophistiquées sur la sécurité des réseaux 5G », précisait le document.

Aujourd'hui, de nombreux gouvernements européens tergiversent sur l'avenir de Huawei dans les réseaux 5G. Après s'être montrée favorable à une participation du géant chinois, l'Allemagne semble, aujourd'hui, ne pas écarter la possibilité d'un bannissement. En France, les opérateurs sont toujours dans l'expectative. SFR, Bouygues Telecom et Orange pressent le gouvernement de leur dire, explicitement, s'ils auront le droit de recourir aux services de l'industriel. Sachant que Free, pour sa part, a déjà indiqué qu'il se fournirait chez l'équipementier finlandais Nokia pour déployer la 5G.

5/ La « vraie » 5G déployée à grande échelle n'est pas pour tout de suite

Si les caractéristiques de la 5G font saliver certains industriels, ils devront en réalité patienter avant de pouvoir les mettre à profit. D'une part parce qu'il faudra du temps pour que cette technologie soit accessible sur une assez grande part du territoire. D'autre part, parce que la 5G qui arrivera en France l'an prochain... n'en sera pas vraiment une ! De fait, cette 5G, qualifiée de « non standalone », s'appuiera sur les infrastructures de la génération précédente - sur des cœurs de réseau 4G, plus exactement. Elle offrira des débits très accrus, certes, mais ne permettra pas encore, par exemple, de bénéficier d'une latence ultra faible. Pour cela, il faudra attendre le déploiement à grande échelle de la 5G dite « standalone ». Ce qui n'est pas pour tout de suite. Selon Franck Bouettard, le patron d'Ericsson France, « cela n'arrivera pas avant 2022 ».

Pierre Manière

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