Affaire Huawei : le numéro d'équilibriste de la France

Le gouvernement prépare des mesures pour trouver une voie médiane entre trois impératifs : protéger la sécurité nationale, ne pas prendre de retard dans la 5G et ne pas se fermer l’immense marché chinois.
Pierre Manière
(Crédits : ERIC GAILLARD)

Dans l'Hexagone, les risques d'espionnage ou de sabotage qui pourraient provenir des équipements de Huawei sont pris très au sérieux. Alors que SFR, Orange Bouygues Telecom et Free s'apprêtent à déployer la 5G, le gouvernement fait de la sécurité des réseaux mobiles une priorité. Mais pas question, pour l'heure, de chasser Huawei de France. Pour se prémunir d'éventuelles écoutes ou de cyberattaques visant à « faire tomber » les réseaux, l'exécutif a trouvé une solution maison. Il veut créer, via un texte de loi, un nouveau régime d'autorisation préalable pour contrôler en amont un nombre important d'équipements et de logiciels de réseaux mobiles.

Ce dispositif concernera les infrastructures de Huawei, mais aussi celles de Nokia et Ericsson -  preuve, selon Bercy, que cette mesure ne vise pas spécialement le géant chinois des télécoms. Mais selon plusieurs acteurs du secteur sondés par La Tribune, il s'agira bien, dans sa mise en œuvre, d'un dispositif « anti-Huawei » qui ne dit pas son nom. Cette manœuvre présente un avantage certain : en n'interdisant pas, à l'instar des États-Unis, le géant chinois des télécoms, Paris évite de se brouiller avec la Chine, dont le marché est synonyme d'importants débouchés pour l'économie française. De plus, Bercy assure que ce dispositif n'aura rien d'une « usine à gaz » susceptible de ralentir les déploiements des réseaux 5G.

Des failles nouvelles

Pour le gouvernement, ce nouveau régime d'autorisation préalable est jugé nécessaire car la 5G promet d'être utilisée dans nombre d'applications critiques. Pas question, par exemple, de prendre le risque qu'une intervention chirurgicale à distance soit interrompue suite à une cyberattaque. Ou de perdre le contrôle de futures voitures autonomes, aujourd'hui en plein développement. La 5G nécessite aussi des précautions spécifiques par rapport aux générations de communication précédentes. Avec cette technologie, il sera notamment possible de placer des dispositifs d'écoute sur les « stations de base » (des équipements au pied des antennes). Des failles nouvelles, dont les autorités veulent tenir compte.

Certaines règles, jusqu'alors informelles, seront vraisemblablement précisées. Car jusqu'à présent, tout n'était pas gravé dans le marbre. Il existait, en particulier, un gentlemen's agreements entre l'État et les opérateurs. Dans cet accord oral, sans aucune valeur juridique, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free s'étaient, par le passé, engagés à ne pas utiliser d'équipements d'origine chinoise pour certaines infrastructures et à des endroits très sensibles. Ainsi, les équipements « made in China » de Huawei et de son rival ZTE ne sont pas tolérés dans les « cœurs de réseau », où transitent les communications, et en Îlede-France, en raison de la présence de lieux de pouvoirs.

Or ce gentlemen's agreements a été récemment mis à mal. Comme La Tribune l'a indiqué en décembre dernier, Patrick Drahi, le propriétaire de SFR, a envisagé d'installer des équipements Huawei en Île-de-France. Le milliardaire a tenté de passer en force, ce qui a suscité la colère de l'exécutif. Selon plusieurs sources proches du dossier, c'est ce qui a incité le gouvernement à accélérer sa révision de la réglementation.

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Huawei, un groupe de plus en plus sous pression

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Des opérateurs inquiets

Les opérateurs, eux, appellent le gouvernement à se montrer vigilant. Dans le mobile, Huawei fournit aujourd'hui deux poids lourds, que sont SFR et Bouygues Telecom.

« Il est légitime que l'État se préoccupe des questions de sécurité nationale, il n'y a aucun doute là-dessus », affirme Didier Casas, président de la Fédération française des télécoms (FFT) et directeur général adjoint de Bouygues Telecom. Mais à ses yeux, il est fondamental de maintenir « une concurrence efficace entre les fournisseurs ».

C'est à dire, en clair, de ne pas exclure Huawei, au risque de se retrouver avec un duopole entre Nokia et Ericsson dans la 5G. « C'est très important pour avoir accès aux meilleures technologies aux meilleurs prix », insiste-t-il.

Le chef de file de la FFT alerte aussi le gouvernement sur la nécessité que « les décisions prises ne créent pas de goulets d'étranglement qui pourraient avoir un impact sur le "New Deal" [un accord signé l'an dernier entre l'exécutif et les opérateurs, qui vise à mieux couvrir les campagnes et à en finir avec les zones blanches mobiles, ndlr] ».

Chez Huawei, on se montre diplomate face à la prochaine réglementation. À La Tribune, Minggang Zhang, directeur général adjoint de l'antenne française de l'équipementier, dit « respecter, et comprendre les appréhensions de l'État français avec l'arrivée de la 5G ».

« Selon nous, il s'agit d'un sujet avant tout technique, poursuit-il. Voilà pourquoi nous avons proposé un cahier des charges clair et net aux autorités pour contrôler et valider les équipements. »

Et quid des accusations d'espionnage ? « Huawei a été créé il y a 32 ans, cela fait 17 ans que nous sommes présents en France, et nous n'avons jamais eu de problèmes de sécurité, de cybersécurité, ou de faille technologique, balaye le dirigeant. Aujourd'hui, nous sommes dans l'œil d'un cyclone lié à l'environnement géopolitique international, et qui trouve son origine à l'Ouest. Les États-Unis nous soupçonnent d'espionnage, mais je rappelle qu'ils n'ont jamais, jusqu'à présent, prouvé quoi que ce soit... »

Selon Minggang Zhang, « le vrai enjeu, c'est celui de la compétitivité ».

« La 5G est quand même vitale et permettra un développement économique sans précédent », ajoute-t-il. Avant de bomber le torse, jugeant qu'en la matière, « Huawei a environ deux ans d'avance sur la concurrence aux dires de certains opérateurs »

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Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 22/02/2019 à 11:44
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"ne pas se fermer l’immense marché chinois" Oui mais c'est pour cela que nous leur avons fait toutes les concession après leur avoir donné tout notre pognon via les investissements et la délocalisation de masse. Eux n'ont toujours rien offert...

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