Une histoire du progrès

Apparue tardivement dans l’histoire de l’humanité, l’idée de progrès a bouleversé l’ordre établi jusqu’à entraîner de profonds changements de paradigmes. Reste que de Rabelais à Elon Musk, de Louis Pasteur aux chimistes de Pfizer, ses évolutions entraînent toujours une réaction féroce… (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°7 Décembre 2021)
(Crédits : Istock)

Voilà une notion qui semblait jaunir dans le grenier de ces idées partagées partout, par tous, jusqu'à ce qu'elle se retrouve contestée, voire combattue, par de féroces bataillons aux quatre coins du globe. À la faveur de la crise de la Covid-19, par l'entrechoc de la crise et du réel, du monde qui s'arrête, des vies confinées, des variants inquiétants, des millions de morts à l'échelle de la planète et des théories conspirationnistes, le progrès s'est mis à ne plus couler de source. Et quand bien même la science trouvait, en un temps record, le remède permettant de préserver l'humanité d'une hécatombe annoncée, on se mit à douter collectivement de l'intérêt d'un vaccin dans des proportions inquiétantes pour des sociétés dites avancées... Comment expliquer cette défiance ? Pourquoi, dans le pays des Lumières, d'Auguste Comte, de Pierre et Marie Curie et de Louis Pasteur, s'est-on mis à rejeter, parfois violemment, la notion même de progrès ? Les réponses à apporter sont évidemment complexes. Elles s'appuient tout à la fois sur un rejet des élites, la diffusion des fake news à grande échelle, une peur panique alimentée par quelques esprits cyniques, de manipulations à grande échelle et l'huile sur le feu lancée par des populistes de droite ou de gauche, bien décidés à surfer sur l'ascension politique du mouvement « antivax » à des fins électoralistes. La Covid a ainsi représenté une aubaine pour les antiprogrès. Une possibilité de faire vaciller une technocratie jugée étouffante. Une opportunité de renverser un pouvoir désormais abusivement taxé de « dérive dictatoriale »... Pour décrire ce moment si particulier, cette brèche dans l'histoire du progrès, le directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, a une formule. Il parle « d'épidémie dans l'épidémie », comme si, en se propageant, la Covid avait handicapé autant les esprits que les corps... Sur cette même idée, Reichstadt poursuit : « Il était prévisible que l'apparition d'une nouvelle épidémie sécrète une flambée de complotisme. Sans même remonter à la peste noire qui a décimé une large fraction de la population européenne au xive siècle, des accusations de complot se sont manifestées aussi bien lors des épidémies de choléra au xixe siècle que lors de l'apparition du sida, du virus de la grippe A (H1N1) ou du zika. » Dans une note pour la fondation Jean Jaurès, le même Rudy Reichstadt, accompagné de Jérôme Fourquet, date du 20 janvier 2020 l'émergence des premières spéculations conspirationnistes dans l'espace public français autour du nouveau coronavirus. « Sur les réseaux sociaux a commencé alors à circuler un complotisme de basse intensité, se coulant dans des structures d'accueil préexistantes, permettant ainsi de lui donner, fût-ce de manière illusoire, un semblant de sens et de consistance. Ainsi fut émise la thèse selon laquelle cette nouvelle maladie avait été inventée par les laboratoires pharmaceutiques pour augmenter leurs profits, qu'elle s'insérait dans un plan de déstabilisation de la CIA destiné à déstabiliser le régime chinois, ou encore qu'elle constituerait un moyen, pour le gouvernement de Pékin, de réguler sa population excédentaire. Bien que les experts aient récusé, dès le mois de janvier 2020, l'idée que le nouveau coronavirus pouvait avoir été créé par l'homme, les spéculations conspirationnistes présentant le virus comme une "arme biologique" se sont multipliées, incriminant aussi bien les États-Unis que Bill Gates, George Soros, l'État d'Israël ou encore l'Institut Pasteur. » Ainsi vacille l'idée de progrès, jadis promesse de bienfaits pour les générations futures, aujourd'hui affublée de tous les maux. Mais à vrai dire, rien de nouveau ! L'histoire de l'humanité fut en effet traversée par ce combat féroce entre progressistes et réactionnaires, croyants en l'avenir et adeptes du statut quo si ce n'est du retour au stade antérieur...

De Sapiens à la Rome antique : progresser, mais pour quoi faire ?

À la Préhistoire, Cro-Magnon n'a encore qu'une faible conscience de l'idée de progrès. Son combat quotidien se résume à une idée, urgente s'il en est : survivre. Et plus précisément : se défendre contre une nature hostile, des bêtes féroces, un climat peu clément. Cela ne signifie pas pour autant que les progrès n'existent pas, bien au contraire. Chaque jour, l'humanité progresse, invente, se perfectionne. La possibilité de tailler des pierres en silex et la découverte du feu constituent, à ce titre, des avancées déterminantes. Soudain, l'homme parvient à aiguiser des lames pour mieux chasser. Il apprend à se réchauffer, à s'éclairer et à faire fuir les prédateurs grâce au feu. En voilà de véritables bonds en avant. Soyons pour autant précis : ce n'est pas la découverte de ces nouveaux outils qui fait figure de progrès mais bien la possibilité de reproduire le miracle d'une brindille qui s'embrase et d'une roche devenant coupante. C'est ainsi, lorsque l'homme prend conscience de la possibilité de reproduire une avancée, qu'il progresse. Appliqué aux premiers hommes, le progrès permettra de croître d'abord, de se sédentariser ensuite. Puis d'évoluer au fil des siècles jusqu'à tenir entre ses mains non plus un silex mais un stylo, non plus le feu au bout d'une torche mais un halo lumineux en appuyant sur l'une des nombreuses applications de son smartphone. Reste qu'il faudra attendre jusqu'à la Renaissance pour que le concept de progrès s'établisse clairement dans la conscience collective. Dès lors, une question se pose : comment espérer progresser quand le concept de progrès n'a aucune existence avérée ? Pour l'historien Jacques Le Goff, la chose est entendue : « Le temps de l'histoire de l'Antiquité est celui des cycles, proposant une vision négative du changement, à travers le mythe de l'âge d'or ayant laissé place à la décadence des âges du bronze et du fer. La pensée des sociétés anciennes s'organisait alors autour du regret de cette époque idéale révolue, avec laquelle il se serait agi de renouer afin de se détacher de la méprisable réalité présente. » Le Goff en veut pour preuve Caton l'Ancien. En 184 av. J.-C., ce dernier s'opposait à la diffusion de la nouvelle culture hellénique dans l'aristocratie romaine, lui préférant largement les valeurs traditionnelles et rurales de la République, remontant jusqu'aux Sabins, dont il revendiquait alors l'héritage et qui incarnaient l'âge d'or révolu de la cité tibérine. À bien des égards pourtant, Athènes comme Rome ont su évoluer et faire progresser l'humanité. Ou comment avancer le monde sans en avoir l'air... Quelle était alors leur méthode ? Plutôt que d'envisager une série d'avancées comprises comme un tout qui fait sens, le progrès antique équivalait autant à une quête de richesse spirituelle que de confort matériel, la conjonction des deux créant la profusion de savoir et de nouveautés que l'on sait. Mais, à en croire la conservatrice Mathilde Herrero, dans un article pour Nonfiction, il faut peut-être lorgner plus à l'est pour trouver les premières traces concrètes d'un progrès pensé dans sa globalité. « Si le progrès était davantage inscrit dans la civilisation latine que grecque, écrit cette dernière, il l'était encore plus dans la société hébraïque durant les derniers siècles de la royauté juive et pendant la captivité de Babylone. Durant cette période de décadence, la parole appartenait aux prophètes, qui défendaient leur foi en un avenir - terrestre - meilleur, comme pour conjurer un présent peu amène. En élevant la voix, ils prouvaient l'importance de l'idéal et annonçaient le triomphe de la morale, moyen de renouer avec Dieu. En affirmant le principe messianique, les Hébreux confirmaient leur croyance dans le progrès. La prophétie de Joël témoigne de cette tendance. Alors que le pays de Juda était affligé par une épidémie de famine et par une invasion de sauterelles, Joël annonça le bonheur de la nation. Il lui promit un bien-être matériel, contrastant avec le malheur présent : la terre se couvrirait de fleurs et de fruits, le vin ruissellerait des montagnes, le lait coulerait des coteaux. » Ce qui se joue ici est essentiel : à rebours de notre conception moderne, progrès et croyance religieuse n'étaient alors pas antinomiques. On pourrait même affirmer que leurs ressorts étaient voisins, imbriqués, l'un servant l'autre, le renforçant même de sa dimension spirituelle.

Quand Rabelais et Montaigne fixent le concept

Loin des idées reçues et de notre conception poussiéreuse du Moyen Âge, la notion de progrès avance avec la survenue de l'an mil. Si bien que l'on ré-envisage désormais l'apport technique et culturel de la période sous un jour nouveau. Pour preuve, ce colloque intitulé « Le Moyen Âge est-il un temps d'innovation technique ? » au cours duquel l'historien Jean-Marie Pesez s'exprimait ainsi : « L'opinion commune est assez critique à l'égard des techniques médiévales. Ce serait le temps de la stagnation, et on dénie au Moyen Âge à peu près toute innovation : il n'enrichirait en rien le legs antique, mais on concède qu'il aurait au moins le mérite d'utiliser davantage des techniques restées des raretés dans l'Antiquité. S'agissant du haut Moyen Âge, l'appréciation devient même franchement négative : ce serait le temps de la régression. La civilisation matérielle de l'Antiquité parvenue à un haut degré de sophistication, sombrerait dans un retour vers la Préhistoire. On doit naturellement s'interroger sur cette prétendue régression. Elle est, certes, éclatante dans un domaine très sensible, je veux dire un domaine où les réalisations frappent immédiatement l'observateur, celui de la construction et de l'urbanisme. Là, le recul est indéniable : les villes rétrécissent, les monuments sont détruits ou abandonnés et la pierre, la terre cuite, font place au bois. » Alors, recul ou progrès ? Tout dépend d'où l'on parle. Si l'Église étend son influence et réserve le savoir à quelques privilégiés, elle permet néanmoins sa préservation et sa propagation à travers l'Europe, au sein d'une élite technocratique éclairée. Les arts sont encadrés, codifiés, mais sont à bien des égards sanctuarisés. Au contraire, les techniques agraires stagnent, l'architecture recule. Mais certains autres domaines progressent. On invente le gouvernail, on développe l'usage des moulins. Dans une époque violente faite d'incessants affrontements, l'armement, notamment, fait un bond en avant considérable. Les armures et les épées se perfectionnent. La cartographie, qui permet les conquêtes, devient un enjeu de pouvoir. Pour autant que l'économie, au Moyen Âge, conserve, selon Jacques Le Goff, un but unique : la subsistance. Et le progrès n'est entendu que dans son sens moral, religieux. Dans ce cadre, la technique, la science, les arts demeurent des préoccupations largement secondaires...

Il faudra attendre le XVIe siècle pour que surgisse - enfin - le grand shift. En 1546, dans le Tiers Livre, Rabelais le premier fait apparaître le mot « progrès ». Il ne tarde pas à faire des émules. Quarante années plus tard, en 1588, Montaigne s'en empare et lui donne, dans ses Essais, une définition précise, brillante, posant les bases de notre vision moderne. Le progrès devient ainsi une « transformation graduelle vers le mieux ». Encore faut-il s'accorder sur une vision du progrès. En la matière, la querelle des Anciens et des Modernes fait rage. Tandis que les premiers, à l'instar de Thomas More, utilisent l'utopie pour mieux renouer avec une vision fantasmée du passé, les seconds regardent l'avenir avec confiance et gourmandise, forts de la certitude qu'il faut, au plus vite, se départir d'une formation trop classique pour mieux avancer. « De la même manière que Galilée avait réfuté la tradition, à travers sa méthode, Descartes construisait un système de pensée nouveau, analyse Herrero. Il réfutait la continuité des époques pour mieux organiser l'avenir. Contre l'asservissement intellectuel, il valorisait la raison personnelle. Le progrès ne pouvait venir que par la transformation de l'individu lui-même. Il manifestait du mépris envers toute admiration et référence au passé. Ainsi, il ne comprenait pas la passion de Christine de Suède pour le grec ; lui-même prétendait l'avoir oublié depuis que lui était venu l'âge de raisonner. » Non sans débat, la vision moderne s'imposera. Le progrès devient alors une conception à la fois linéaire, optimiste et ouverte à l'esprit d'invention. Il faut dire que l'époque bouillonne de nouveautés : invention de la boussole, de l'imprimerie, de l'artillerie, des lunettes d'observation, de l'astronomie de Copernic, de la circulation du sang établie par Harvey... Tout cela émerge conjointement et l'on se dit alors que l'homme lui-même ne pourra que s'améliorer en utilisant cet attirail. Pascal en a proposé une théorisation systématique : le progrès se fonde anthropologiquement sur la spécificité de l'homme doté, à la différence de l'animal, de la capacité de se perfectionner sans cesse.

Et soudain, les Lumières éclairent le monde...

« Si l'idée d'un progrès constant et régulier de l'humanité est ainsi très clairement énoncée dès le milieu du xviie siècle, écrit la philosophe Simone Mazauric, le siècle dit des Lumières l'a chargé de significations nouvelles. Non seulement les sciences suscitent l'attente de voir s'accroître indéfiniment leur capacité explicative ainsi que leur aptitude à transformer positivement les conditions de la vie humaine par la production de savoirs utiles, mais on attend aussi d'elles qu'elles transforment l'homme lui-même en favorisant son émancipation intellectuelle, morale, politique et sociale. » Face à cette euphorie théorique et pratique, quelques penseurs choisissent néanmoins le principe sinon de défiance au moins de prudence. Pascal et Rousseau, les premiers, avertissent ainsi sur la possibilité de progrès non-automatiques, du danger d'une science sans conscience et de la possibilité de stagnation, voire de régression humaine. Dans un article consacré à la notion de progrès publié dans Histoire globale des socialismes (PUF, 2021), la chercheuse et spécialiste des Lumières Stéphanie Roza va plus loin : « Certes, la majorité des penseurs des Lumières partage un optimisme à la fois anthropologique, social et politique, c'est-à-dire une confiance dans la capacité des hommes à améliorer leur condition : mais avoir confiance dans le potentiel de l'humanité n'implique pas que l'on s'imagine que le progrès va être automatique et indépendant des efforts conscients des individus. Le monumental projet de L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert en atteste de façon paradigmatique. Ses auteurs voulaient contribuer activement à éclairer leurs contemporains, par la production et la diffusion militante de cette synthèse inédite des connaissances humaines. En outre, au XVIIIe siècle, on parle moins "du" progrès que "des" progrès, et l'on s'interroge beaucoup sur leurs relations : est-ce que le progrès des sciences et des arts entraîne forcément le progrès des mœurs ? Est-ce que l'essor du commerce rapproche les peuples ? Toutes les civilisations connaissent-elles les mêmes phases de développement successives ? » Roza distingue alors deux courants. Dans le premier, les fondateurs de l'économie politique libérale s'avèrent résolument confiants : « La théorie des "quatre stades" d'Adam Smith, par lesquels l'ensemble des civilisations humaines serait nécessairement amené à passer, l'illustre bien » reprend la chercheuse. En revanche, les philosophes les plus sensibles aux inégalités socio-économiques s'interrogent. « Rousseau, Diderot, Raynal, Mably sont plus prudents sur l'avenir des sociétés, voire franchement critiques quand ils s'appuient de façon polémique sur les exemples du passé, notamment antique, pour fustiger les tares de leur époque. » Avancer oui, mais pas à n'importe quel prix...

De 1789 à aujourd'hui, religion et désillusions du progrès

Un événement majeur va mettre l'écrasante majorité de l'opinion sur la voie d'un progressisme politique devenant le bras armé du progrès scientifique, culturel et artistique : la Révolution française ! Pour Stéphanie Roza, c'est clair : « 1789 semble balayer les doutes. L'entreprise prométhéenne de refonte radicale de la société sur les bases des droits de l'Homme effraie les conservateurs et soulève l'enthousiasme bien au-delà des frontières nationales. Chacun sent qu'a commencé "une ère nouvelle de l'histoire du monde" (Goethe) dans laquelle les cartes sont irréversiblement rebattues. » L'idée progressiste parcourt le peuple, conquiert les cœurs et les esprits et se propage jusque dans les franges radicales du mouvement révolutionnaire qui voient en la Révolution française « le point de départ d'un processus qui doit mener l'humanité vers plus de bonheur et plus d'égalité ». Le progrès véhicule alors la certitude d'un avenir émancipateur et radieux. Il devient si fervent qu'il se mue en religion. Or, face à cette mainmise progressiste gouvernant désormais le monde et les hommes, la riposte s'organise. Elle prend le nom de « réaction » et vient contester l'idée d'avancée inéluctable vers le mieux. Farouchement opposées à l'idée d'un sens de l'histoire qui ne soufflerait que dans un sens, les forces conservatrices combattent plutôt que de s'incliner piteusement et quitter la grande Histoire par la petite porte... Mais le camp du progrès ne cède pas. Alors l'affrontement est féroce. Tandis que le positivisme d'Auguste Comte se développe en même temps que les avancées scientifiques s'amoncellent, l'illusion du progrès est combattue pied à pied par la vieille garde, l'Église, et nombre d'institutions désireuses de ne pas voir leur pouvoir affaibli par un nouvel ordre bien décidé à les balayer. Le combat fera rage tout au long du xixe siècle. Il sera d'autant plus vif que la révolution industrielle s'appuie sur quelques avancées déterminantes et redessine les contours de la société. Soudain, les industriels se mettent à exploiter les découvertes scientifiques. Ils utilisent d'abord la machine à vapeur mise au point par l'Anglais James Watt, en 1783. Ils inventent ensuite des machines à filer et à tisser, d'autres pour exploiter les mines ou produire de l'acier en grande quantité, des moissonneuses, des faucheuses... Les rendements augmentent. Dans tous les domaines, le moment est à l'euphorie. En 1820, André-Marie Ampère découvre le fonctionnement des courants électriques. En 1860 puis en 1885, Louis Pasteur étudie les microbes et élabore des vaccins. En 1898, Pierre et Marie Curie découvrent le radium. À la même époque, les communications font un bond de géant et relient les hommes plus vite et plus efficacement que jamais. Morse et son télégraphe, Bell et son téléphone, Marconi et Branly avec la TSF, ancêtre de la radio permettent un développement du savoir et de l'information sans précédent. Le scientisme se développe alors logiquement comme nouvelle religion. « La science est estimée désormais seule capable de résoudre toutes les questions, écrit Mazauric, aussi bien théoriques que pratiques que l'humanité est susceptible de se poser, tandis qu'est confirmée sans réserve la capacité des hommes à ouvrir la voie d'un progrès linéaire, continu et irréversible, sur le plan à la fois intellectuel, social et moral. » Fin du match et victoire par K.O. ? Pas vraiment... Car « les doutes et les interrogations vont connaître un essor inédit après les drames de la Seconde Guerre mondiale : Auschwitz, Hiroshima n'auraient pas été possibles sans les avancées de la science et de la technique moderne », explique Stéphanie Roza. L'époque a changé. La science et le progrès qui devaient nous sauver collectivement nous menacent désormais. C'est l'heure de la guerre froide et « l'humanité vit désormais sous la menace d'un anéantissement global avec le développement de l'arsenal nucléaire des grandes puissances », reprend Roza. On avance pourtant encore plus vite et toujours plus fort. Mais déjà, l'heure est à la grande désillusion. Les dommages écologiques du productivisme et de l'industrialisation massive du monde sont critiqués. À gauche comme à droite, des voix s'élèvent. Tout est affaire de cycle et, désormais, le progrès ne fait plus rêver. Force est d'ailleurs de reconnaître qu'au fil du temps, son sens s'est mis à dériver, à se vider de sa substance. Repris par des économistes ou des start-uppers, il devient progressivement synonyme de « croissance », de « développement » ou d'« innovation » et travaille désormais au maintien du monde tel qu'il est organisé plutôt qu'à sa révolution. Au « Dieu est mort » de Nietzsche, l'historien des idées Pierre-André Taguieff fait écho avec son fatal « le Progrès est mort ». Malgré les coups de boutoir des populistes, conspirationnistes, extrémistes politiques, adeptes de fake news et autres tenants de l'ordre ultra-conservateur, on espère que les progressistes n'auront pas dit leur dernier mot...

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°7 - DOIT-ON CROIRE AU PROGRES? Décembre 2021 - Découvrez sa version papier disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

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Commentaires 5
à écrit le 07/02/2022 à 7:04
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Bien d'accord avec Bref, le progrès doit être apprécié au global. Prenons l'exemple du très haut débit que le jeannot veut imposer en zone rurale (alors que plein de gens même a titre professionnel s'en passent très bien, une boulangerie ,une superet...

à écrit le 06/02/2022 à 18:50
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S.V.P. Ne confondez pas innovation et progrès... Si l'une est technique, l'autre est humaine!

à écrit le 05/02/2022 à 15:30
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Moi aussi j'ai un pèse alcool et je fais avancer le monde, je dois être tendance. On est peut être aussi un peu passé du progrès utile au progrès futile, le progrès (parlons plutôt d'innovation) ne répond plus a un besoin mais le crée donc apporte s...

à écrit le 05/02/2022 à 12:09
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"Survivre au progrès" documentaire produit par Martin Scorcese.

à écrit le 05/02/2022 à 10:02
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Quand l'objectif final est d'imposer sur toute la planète le plan Schwab du NWO/WEF en éliminant les 3/4 de l'humanité, pour aboutir au transhumanisme, peut on réellement parler de progrès ?

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