« Vers un retour programmé des bonnets... bleus. » Le Comité départemental des pêches des Côtes d'Armor ne prend pas de route maritime détournée et claque la porte des discussions sur le projet de parc éolien dans la baie de Saint-Brieuc. « Les discussions sont aujourd'hui terminées », affirme Alain Coudray, président du CPDEM22 qui réclame tout de go l'annulation d'un projet « incompatible avec les enjeux en baie de Saint-Brieuc. » « L'État français et Iberdrola ne laissent plus le choix à la profession. Les marins-pêcheurs (...) ne laisseront pas voir s'implanter un parc éolien au détriment de leur activité », ont écrit ces derniers dans un communiqué publié le 16 mars. Comme en 2018, lorsqu'ils ils avaient bloqué le navire chargé de prospecter les fonds, les professionnels de la pêche se disent prêts à une nouvelle démonstration de force et à « accueillir comme il se doit les navires qui viendraient démarrer la construction de ce parc éolien. »
Récemment, Emmanuel Rollin, directeur d'Ailes Marines, société qui porte le projet et filiale du groupe espagnol Iberdrola, concédait à La Tribune que les discussions avec les pêcheurs (300 bateaux) restaient difficiles. Il affirmait cependant que la concertation sur l'implantation de ce parc de 62 éoliennes offshore de type jacket se poursuivait sous l'égide de la préfecture, à propos de l'organisation collective des travaux. Le consortium devait toutefois encore mener les discussions sur les compensations individuelles et collectives concernant la mutation sur la zone de chantier.
Patatras ! Déjà douchés par la réponse, début mars, du chef de cabinet d'Emmanuel Macron, Brice Blondel qui, selon eux, n'a pas rappelé Ailes Marines à ses engagements et a conclu au nécessaire développement des énergies renouvelables, les pêcheurs ont mal vécu une réunion le 11 mars organisée par les services de l'État. Le chef de projet d'Iberdrola leur a indiqué que le plan industriel, associé à la fabrication des pieux et des fondations, « ne permettra pas de définir le calendrier de construction avec les pêcheurs. » A moins de trois mois du début annoncé des travaux, ceux-ci dénoncent un non-respect des engagements et un refus de « co-construire » le planning des travaux en l'adaptant aux « enjeux pour les espèces et les activités de pêche ». Coïncidence des dates, le 10 mars, Ailes Marines, qui précise continuer à optimiser le planning des travaux, a publié sur son compte Twitter plusieurs photos montrant l'arrivée au port de Cherbourg des premières fondations du parc éolien en mer de Saint-Brieuc.
Consommation annuelle de 835.000 habitants
D'une puissance installée de 496 mégawatts (8 par éolienne) et d'une superficie de 75 km2, le projet, issu d'un appel d'offres lancé par l'État français en 2011, entre en phase d'exécution, après 10 ans d'une gestation difficile et polémique. Le calendrier des travaux qui vont démarrer ce printemps prévoit l'installation des pieux sur 2021 et 2022, la construction des premières fondations en 2022 et des premières éoliennes en 2023. La mise en service complète est annoncée pour octobre 2023. Culminant à 207 mètres de haut, les éoliennes seront distantes d'un kilomètre les unes des autres et chaque ligne d'1,3 kilomètre. Elles devraient produire 9 % de l'électricité consommée en Bretagne, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 835.000 habitants, chauffage compris. La construction des éléments des fondations par le consortium espagnol Navantia-Windar a démarré en octobre sur le nouveau polder de Brest.
« Iberdrola investit 2,4 milliards d'euros dans ce projet », indique Emmanuel Rollin. « Le site est complexe en termes d'installations et cher en raison de l'hétérogénéité des sols et des fonds rocheux. Nous comprenons les attentes des pêcheurs, légitimes dans un contexte post-Brexit. Le parc, que nous avons éloigné de six kilomètres au Nord pour éviter le principal gisement de coquilles Saint-Jacques, a été conçu, en concertation, pour que l'on puisse y pêcher et pour réduire les impacts. Il empiète sur 13% de gisement secondaire. »
Ailes Marines met aussi en avant la prouesse technologique qui permet l'ensouillage de 100% des câbles. « Nous avons toujours montré une attitude d'écoute et de compréhension pour permettre au projet d'avancer. Nous respecterons nos engagements », soutient Emmanuel Rollin. De nouvelles études scientifiques sur l'impact sur les praires, les coquilles et les homards montrent des résultats rassurants et de faibles incidences évalue-t-il. Au contraire du CDPMEM22 qui avance que le parc est construit « sur une zone de frayère, de nourricerie et de migration de nombreuses espèces halieutiques », et aura des « impacts non maîtrisés sur les ressources marines et des activités de pêche ».
500 emplois en Bretagne
Au-delà du conflit avec les pêcheurs, Ailes Marines avance que ce projet d'énergie marine renouvelable ouvre un nouveau secteur en France et de nouveaux emplois. Le projet va mobiliser 1.500 emplois en France dont 500 en Bretagne, et 750 pour la fabrication des éoliennes. A l'issue des trois ans de développement et construction, les emplois pérennes seront liés à la maintenance du site. En 2011, les porteurs du projet tablaient sur 2.000 emplois en France dont 1.000 en Bretagne.
La majorité des contrats de rang 1 a été signé auprès de fournisseurs internationaux comme Navantia, Van Oord pour le transport, Prysmian pour les câbles inter-éoliennes ou encore Siemens Gamesa Renewable Energy pour la fabrication des éoliennes dans son usine du Havre et Eiffage Metal pour la fabrication de la sous-station électrique. Le projet vise aussi à faire travailler les entreprises bretonnes.
« 250 emplois vont être créés sur le polder de Brest, et Navantia-Windar va collaborer avec des sous-traitants locaux comme Sobec (chaudronnerie), ST Industries (usinage mécanique), ou NKE Instrumentation (bouées et balises). Plusieurs dizaines d'entreprises locales vont être impliquées dans la métallurgie, le BTP, la logistique, les installations électriques, les études et le contrôle qualité », fait valoir le directeur d'Ailes Marines dont l'équipe bretonne compte 50 personnes. Le centre de coordination des travaux est pour sa part installé par la société Atos sur le port de Lézardrieux.
« Iberdrola opère déjà des sites en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ce parc met le pied à l'étrier à la France et participe de la création d'une filière, des usines de Saint-Nazaire à Cherbourg pour les pales et à Brest pour les fondations. On va former des professionnels sur un nouveau marché », rappelle Emmanuel Rollin.
Depuis 2012, la réalisation du projet a impliqué 116 entreprises du territoire breton. Cela peut expliquer le soutien sans réserve que la CCI Bretagne a apporté en décembre dernier à Ailes Marines, mettant en avant « l'intérêt général », « la réduction des émissions carbonées de la production d'énergie » et la « création d'emplois en Bretagne au sein d'une filière d'avenir ».
Si Ailes Marines se targue que son projet, selon un sondage Ifop, soit approuvé par 71% des habitants des Côtes d'Armor interrogés, il rencontre en revanche d'autres oppositions y compris d'élus. Fin 2020 à l'Assemblée nationale, Marc Le Fur, député du Finistère, avait fustigé, outre l'impact sur la pêche, à la fois le coût du projet pour le contribuable et le prix élevé du mégawattheure, vendu au prix de 155 euros à EDF pendant 20 ans. Le prix du marché de l'électricité oscille pour sa part entre 40 et 50 euros du mégawattheure.
« Effectivement, le prix du marché est moindre en France parce que le prix de l'électricité est peu cher », reconnaît le patron d'Ailes Marines. « Mais si l'on compare avec le prix au niveau européen au lancement de l'activité, il est comparable. L'éolien en mer a sa place dans le mix énergétique pour accompagner la transition énergétique et la décarbonation de l'énergie », souligne-t-il.