Intelligence artificielle : quel rôle pour les chercheurs dans 30 ans  ?

OPINION. Le développement des outils d'intelligence artificielle bouleverse en profondeur l'enseignement supérieur. Impossible de continuer à former les futurs chercheurs sans tenir compte de ces technologies. Par Cylien Gibert et Audrey Rouzies (*)
(Crédits : DR)

Au début des années 2000, nos directeurs de thèse nous expliquaient la chance que nous avions de bénéficier, grâce à la révolution numérique, d'un accès instantané à l'intégralité des productions scientifiques via des bases de données.  Ils nous décrivaient « le monde d'avant », celui où se procurer un ouvrage supposait de se rendre jusqu'à une bibliothèque parfois éloignée et d'y passer de longues heures à faire des photocopies. Ces superviseurs voyaient ces tâches traditionnelles comme participant à la construction des jeunes chercheurs et se demandaient ce que deviendrait ce « tour de main » avec la révolution numérique.

Le développement rapide de l'IA nous renvoie aujourd'hui à des questionnements similaires : les futurs chercheurs risquent-ils de ne plus avoir les compétences et les savoir-faire essentiels à l'exercice de leur métier ? Si les opportunités et menaces de l'IA sur les activités d'enseignement ont été immédiatement identifiées et mises au cœur des réflexions, cette avancée technologique pose également des défis significatifs pour la formation des futurs chercheurs qui n'ont pour leur part pas encore été pris en considération.

Automatisation du traitement des données

L'acquisition de méthodes de collecte et d'analyse de données complexes constitue aujourd'hui l'un des piliers de la formation des doctorants. Il s'agit par exemple de savoir coder une grande quantité de données narratives, de développer des designs d'expérimentation adaptés, ou d'utiliser des outils statistiques complexes. Or l'IA (par exemple ChatGPT et son module « data analyst ») automatise et accélère de façon drastique ce travail de traitement des données.

Les générations futures peuvent-elles se passer d'apprendre à réaliser ces collectes et à mener ces analyses en les sous-traitant à l'IA ? Cette dépendance technologique pourrait les rendre vulnérables dans des situations où l'IA s'avèrera inadaptée ou inaccessible. Plus grave encore, elle pourrait diminuer leurs capacités critiques avec une acceptation passive des résultats générés : le doctorant qui aurait systématiquement confié ses analyses à l'IA serait incapable d'en détecter les erreurs.

D'autre part, l'utilisation d'une IA formée sur des données existantes soulève des inquiétudes. Est-il possible que le recours à l'IA pousse à reproduire des erreurs et des biais déjà présents dans les données d'entraînement, créant ainsi un risque de récursivité ? En outre, l'utilisation généralisée de l'IA basée sur des données d'entraînement préexistantes pourrait-elle conduire à des résultats qui ne remettent pas en cause le statu quo, limitant ainsi la nouveauté des futures découvertes scientifiques?

Éthique de la recherche

Face à ces défis, une approche équilibrée s'impose. Il est nécessaire de valoriser les nouvelles compétences techniques permettant d'utiliser l'IA, en gardant une posture critique vis-à-vis du recours à cette technologie. Il s'agit par ailleurs de continuer à transmettre aux doctorants des compétences analytiques fondamentales afin qu'ils conservent leur autonomie intellectuelle.

Dans les écoles doctorales, le renforcement des cours dédiés au développement de la pensée critique, tels que l'épistémologie et les diverses approches méthodologiques, est une piste. L'intégration de modules d'éthique de la recherche et d'intégrité scientifique directement en lien avec l'utilisation de l'IA en est une autre. In fine, il s'agit d'inculquer aux futurs chercheurs la responsabilité de l'exactitude des résultats qu'ils produisent, y compris si ces derniers sont générés par l'IA.

L'objectif est de s'assurer que l'utilisation des outils d'IA ne détruise pas à terme ce qui fait la valeur de ce métier : rigueur de la démarche méthodologique, sens critique et réflexivité. Ouvrons le dialogue au sein des centres de recherche et des écoles doctorales afin de construire des solutions collectives qui permettront de faire perdurer la capacité à créer des connaissances nouvelles.

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(*) Audrey Rouzies est directrice de l'Ecole doctorale de gestion à l'Université Toulouse Capitole et Cylien Gibert est chercheur en sciences de gestion à Toulouse School of Management Research.

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Commentaires 2
à écrit le 14/05/2024 à 19:16
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Les cancres auront de l'avenir sans aucun diplôme en poche ! Que l'on ne confonde pas "innovation" et "progrès" ! ;-)

à écrit le 14/05/2024 à 11:27
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L'ère informatique a décuplé le progrès, le deep learning va être une deuxième accélération de ce phénomène. Le progrès c'est ce qui a exterminé la moitié de la vie sur terre et qui tue un humain de faim toutes les 4 secondes. C'est ça, leur progrès ...

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