Avec des annonces de réussite à 90%, 94% et dernièrement 95%, les résultats préliminaires des premiers candidats vaccins contre la Covid-19 sont très encourageants. Quand on compte dix-huit fois moins de personnes contaminées dans le groupe des vaccinés que dans celui ayant reçu un placebo, le cocktail Pfizer/BioNTech - comme celui de Moderna - laisse espérer un retour à la vie normale en 2021. A condition, évidemment, qu'un nombre suffisant de personnes se vaccine. Mais si les premières doses pourraient être distribuées en Europe avant la fin janvier 2021, ces vaccins seront-ils vraiment sûrs ? Lequel choisir parmi les différents candidats autorisés ? Combien de temps protégeront-ils ? Autant de points sur lesquels planchent les bâtisseurs de la future campagne de vaccination.
1. Y aura-t-il un seul vaccin disponible ?
Le premier candidat attendu devrait être celui de l'alliance Pfizer/BioNTech qui vient de déposer une demande d'autorisation auprès des autorités de santé américaines FDA. La biotech Moderna devrait arriver juste derrière, puisqu'elle déposera sa demande d'autorisation FDA cette semaine. Ces deux premiers devraient être suivis rapidement par AstraZeneka et Janssen, la filiale vaccin de Johnson & Johnson. Derrière ce premier quator, l'Américain Novavax et la biotech allemande CureVac se rapprochent aussi de la ligne d'arrivée. Pour le Français Sanofi qui travaille sur deux candidats, le précieux cocktail devrait arriver en cours d'année 2021, peut-être à l'été. Rapidement après la FDA, l'agence européenne du médicament devrait délivrer ses autorisation en accéléré comme l'a affirmé la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen. En fait, trois autres vaccins sont déjà utilisés : le Spoutnik V du centre de recherche russe Gamaleïa, et ceux des chinois Sinovac et surtout CanSino Biologics, autorisé au Pakistan, en Arabie Saoudite et au Mexique. Pourquoi pas chez nous ? Parce que l'agence européenne n'a pas encore reçu leur demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et que, de toute manière, ils n'en produisent pas encore assez pour exporter autant. A voir si et quand ils arrivent.
2. Pfizer et Moderna peuvent-il se laisser dépasser ?
Depuis quinze jours, l'alliance de Pfizer/BioNTech et Moderna surenchérissent sur leurs résultats préliminaires. Au départ, ils n'étaient pourtant pas plus en avance que le groupe anglo-suédois AstraZeneka, allié à l'université d'Oxford, et à peine plus que la filiale vaccin Janssen du groupe Johnson & Johnson. Mais, AstraZeneka a perdu plus d'un mois cet été en raison d'une maladie inexpliquée chez un participant et Janssen a suspendu son essai pendant dix jours suite à un effet secondaire pour lequel le vaccin a finalement été mis hors de cause.
Ces quatre candidats vaccin utilisent deux technologies génétiques un peu différentes : ARN Messager pour Pfizer et Moderna et vecteur viraux adenoviral pour les deux autres. Ces cocktails adenoviraux qui ont connu des suspensions d'essais provisoires sont-ils plus dangereux que les ARN ? Pas forcément, puisque les laboratoires pharmaceutiques se sont assuré de leur sécurité avant de reprendre leurs essais et n'ont pas eu depuis d'autres « stop and go ». Ces retards fréquents dans les essais cliniques peuvent être seulement dus au hasard.
3. Les vaccins génétiques sont-ils vraiment une révolution vaccinale ?
Sur les candidats les plus avancés - à part l'un des deux développés par les chinois -, tous utilisent la nouvelle technologie de vaccins génétiques. Une technologie qui a l'avantage de produire des vaccins beaucoup plus vite tout en maîtrisant bien le contenu des doses. Les médecins n'ont pas encore beaucoup de recul sur les nouvelles technologies qui injectent des morceaux du patrimoine génétique du virus ou leurs instructions. Seuls deux vaccins contre le virus Ebola développés avec cette technologie par Merck et Janssen ont été finalisés et récemment autorisés.
Pourquoi ? « Les vaccins génétiques à ARN mess ont déjà été développés dans le cadre de différentes épidémies comme le SARS CoV1 et le virus Zika, explique le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef du Service d'immunologie clinique & maladies infectieuses de l'hôpital Henri Mondor à Créteil. Mais comme ces épidémies n'avaient pas duré, les candidats n'ont jamais pu passer en phase 3 car ils ne disposaient plus de risques infectieux importants pour mesurer leur efficacité à large échelle. Mais sur les premiers essais phase 1 et 2, ces vaccins provoquaient déjà de bonnes réponses immunitaires. » De plus, au regard des résultats communiqués la semaine dernière par Moderna, les effets secondaires ne sont pas plus importants que pour les vaccins que l'on utilise déjà. Avec de tels avantages, ces technologies génétiques pourraient être désormais privilégiées dans l'élaboration des vaccins.
4. Ces cocktails concoctés à la hâte en un temps record seront-ils sûrs ?
Une recette vaccinale est un équilibre délicat entre deux extrêmes : être suffisamment corsée pour réveiller le système immunitaire du patient qui va produire des anticorps, mais pas trop pour éviter que ce système immunitaire ne s'emballe et que le patient tombe malade. Suivant les technologies utilisées, les cocktails seront plus ou moins corsés. Les vaccins classiques utilisant un virus atténué de la maladie produisent une bonne réponse immunitaire, mais peuvent donner mal à la tête et de la fièvre chez certains patients. Les deux autres technologies de virus inactivé et de la "protéine recombinante" sont des recettes peu épicées, il faut y ajouter des adjuvants pour doper le système immunitaire afin de protéger vraiment le patient. Des ajouts qui ont parfois fait polémique, car certains adjuvants abandonnés en Occident sont considérés comme "à risque", tel l'aluminium ajouté à l'un des candidats chinois inactivé. Comme tous les autres, les vaccins contre la Covid-19 présenteront des protections plus ou moins développées, avec des effets secondaires sans réelle gravité - selon la majorité des médecins - mais toujours possibles.
5. Cette vitesse exceptionnelle de conception de vaccin va-t-elle perdurer ?
Avec plusieurs vaccins mis au point en un an, on se sent un peu rassurés quand on entend l'ONU affirmer qu'il y aura d'autres pandémies au cours des vingt prochaines années. Pour ce challenge vaccinal, la mobilisation a été sans précédent : « La rapidité de développement du vaccin est liée au choix de la technologie d'ARN messager, sur lequel quelques biotechs comme BioNTech travaillent déjà depuis quelques années (en particulier pour la recherche contre le cancer), et qui met beaucoup moins de temps à être développé qu'un vaccin "classique" fondé sur un virus inactivé ou atténué, observe Patrick Biecheler, associé en charge du secteur pharmacie santé au sein du cabinet Roland Berger. Et puis l'univers de la pharmacie s'est mis en effervescence, en multipliant les coopérations entre petites équipes et gros labos, entre public et privé et même entre big pharmas habituellement en concurrence Comme chacun a collaboré avec tous les autres pour apporter une partie de son travail, cela a accéléré les découvertes et les développements bien au-delà de ce qui se fait habituellement. On l'oublie un peu vite mais le vaccin contre la grippe saisonnière lui-même ne prend pas plus de 7 mois à être élaboré, depuis l'identification de la mutation virale jusqu'à la pharmacie.» Et puis, cette fois, l'enjeu principal était d'arriver à combattre ce nouvel ennemi microbien, plus que d'être à tout prix le premier sur la ligne d'arrivée. Même si personne ne méprise les valorisations record de sa capitalisation boursière suite aux différentes annonces. Reste à savoir si ces réjouissantes coopérations résisteront au déconfinement.
6. Quel type de vaccin et pour qui ?
Les différents vaccins seront plus adaptés à tel ou tel profils de personnes, comme le précise Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations à la Haute Autorité de Santé (HAS) : « Suivant les formules, ces vaccins ont des profils d'efficacité et de tolérance différents. Pour les personnes âgées, nous serons surtout attentifs au niveau d'efficacité de la protection contre la maladie. Mais pour les professionnels de santé chez qui le souci principal est d'éviter d'être contaminants, nous serons plus attentifs aux formules qui réduisent le risque de transmission. Quand l'AMM sera délivrée, nous aurons les données médicales principales, mais peut-être pas toutes les caractéristiques sur le risque de transmission du virus par les personnes vaccinées. Ces données arriveront sans doute un peu plus tard et nous adapterons la stratégie vaccinale au fur et à mesure en fonction des nouveaux éléments. »
Vaccinera-t-on d'abord plutôt comme c'est envisagé actuellement les personnes à risque et les soignants, ou plutôt les actifs soumis aux risques de contamination dans leurs activités ? Ou encore les jeunes moins soucieux de ne pas se contaminer ? On peut s'attendre à des ajustements dans les trois premiers mois de l'année 2021 au regard du suivi des personnes vaccinées : « Suivant les caractéristiques du patient, on aura une campagne de vaccination différente, assure Alain Fischer, Professeur d'immunologie pédiatrique et membre de l'Académie des sciences. Si le vaccin est efficace chez les jeunes mais pas chez les plus âgés, s'il bloque le phénomène de transmission du virus, on aura intérêt à vacciner les soignants et les familles pour éviter qu'elles ne contaminent les plus âgés et les publics fragiles. C'est ce que l'on fait aujourd'hui avec la vaccination grippale qui ne marche pas très bien sur les personnes âgées. » Il faudra donc voir quel labo produit quel vaccin qui convient le mieux à qui.
7. Y aura-t-il assez de doses ?
Alors que l'Union européenne a réservé 1,1 milliard de doses et les États-Unis 800 millions, on peut espérer pouvoir déjà vacciner une partie de la population en 2021. Mais ces réservations semblent bien supérieures à ce qui va pouvoir être réellement produit l'an prochain au vu des capacités de production actuelles et de la demande. Attention donc à la fronde contre une éventuelle pénurie. D'où d'ailleurs l'attention portée par les autorités de santé au dispositif de vaccination qui sera déployé.
8. Combien de temps ces vaccins nous protégeront-ils ?
L'immunité provoquée par le vaccin durera-t-elle longtemps ? Faudra-t-il des rappels fréquents ou mitonner de nouveaux vaccins chaque année à cause des mutations qui créeront des Covid saisonnier comme avec la grippe ? Avec cinq mois de recul sur les premières injections du candidat Pfizer, les anticorps sont toujours là. Mais au-delà, difficile à dire. « La maladie développe deux types de réponses immunitaires : l'une cellulaire, l'autre par phénomène neutralisant, explique le Pr Alain Fischer. Mais nous ne savons pas encore quels sont les rôles de ces deux réponses immunitaires dans le développement de la maladie Covid-19 chez les patients. » Avec ces premiers vaccins, la protection durera-t-elle jusqu'à la prochaine pandémie et évitera-t-elle un prochain reconfinement, là est la question.