EXCLUSIF- Emmanuel Macron : « Les Français ne perçoivent pas encore tous les changements »

EXCLUSIF- Dans un entretien accordé à La Tribune Dimanche et La Provence, le président de La République revient sur son septennat à l'Élysée et détaille ses priorités, au nombre de quatre, pour la fin de son mandat.
Au palais de l’Élysée, vendredi.
Au palais de l’Élysée, vendredi. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Le 7 mai, vous fêterez les 7 ans de votre accession à l'Elysée. Que vous reste-t-il encore à faire ?

EMMANUEL MACRON - Tant de choses. Il me reste à aller au bout de beaucoup de dossiers et en ouvrir d'autres. J'ai quatre priorités. D'abord poursuivre la réindustrialisation du pays. C'est la mère des batailles parce que c'est ce qui nous a permis ces dernières années de conjurer cette maladie profonde de la France, qui est à mes yeux aussi la source de beaucoup de ses divisions : le chômage de masse dans la durée.

Nous avons créé plus de 2 000 000 d'emplois et plus de 300 usines, en moins de 7 ans, c'est inédit. Il faut continuer en poursuivant notre politique en matière d'innovation avec France 2030 et nos réformes du marché de l'emploi. Le plein emploi, c'est-à-dire à la fois la baisse du chômage et la hausse de l'activité, est la bonne réponse à la question des finances publiques, de la cohésion sociale, de la création de richesse et de notre autonomie stratégique. Ensuite, je veux continuer à réarmer nos services publics, et en particulier l'école et la santé. Là aussi, on a fait ces dernières années de vraies évolutions grâce à un réinvestissement sans précédent. Beaucoup de transformations sont en cours pour recréer une école de qualité :  le choc des savoirs, la formation des maîtres, le pacte enseignant... Il s'agit à la fois d'élever le niveau des élèves, de transformer le système éducatif et de veiller à ce que l'école demeure un sanctuaire. C'est pour moi aujourd'hui la bataille la plus importante. Celle qui est au cœur de mon ADN : la lutte contre l'assignation à résidence.  Concernant la santé, alors que nous manquons et continuerons de manquer de médecins, avec la fin du numérus clausus, la meilleure rémunération des professions médicales, la réorganisation de l'hôpital, la délégation des actes, nous avons également enclenché une transformation profonde du secteur afin de répondre à la demande de soins et d'avoir une médecine plus préventive. Mon troisième axe, c'est le régalien. Là aussi on a fait beaucoup. A la fin de de ces dix ans, on aura doublé le budget des armées, augmenté de 60% celui de la justice, de 50% celui de l'Intérieur. Et je ne parle pas des recrutements.

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Et pourtant dans les enquêtes, c'est sur votre bilan régalien que les Français sont le plus sévère...

Parce qu'ils ne perçoivent pas encore tous les changements. Pourtant on a d'ores et déjà de manière très perceptible des réductions de délais judiciaires qui sont liées à ce réengagement de l'Etat, comme les fameuses opérations Place nette XXL pour lutter contre le trafic de drogue l'ont montré. Sur les violences faites aux femmes, on a doublé le nombre de condamnations parce que l'on a amélioré significativement l'accueil des victimes par les enquêteurs puis par la justice, et convaincu les magistrats de prioriser le traitement de leurs plaintes, de juger plus de dossiers et plus vite.. Il y a cinq ans, les mises sous protection des femmes victimes de violences nécessitaient une attente de 42 jours. C'est 6 aujourd'hui...Dans les semaines qui viennent, je veux compléter notre travail une série d'action pour traiter en profondeur la racine du mal. C'est par un nouveau volet sur les mineurs en préventif et en répressif afin d'accroître la cohésion de la Nation. J'ai demandé au Premier ministre d'engager une large concertation et qui permettra d'ouvrir une série de débats et je prendrai de premières décisions dans les prochaines semaines sur les écrans, à la suite du rapport que m'a remis cette semaine la commission d'experts qui a réfléchi à ces questions. Il y aura aussi la question du service national universel et de sa généralisation. Enfin, les grandes transitions et la transition écologique seront mon quatrième axe prioritaire- tout aussi important que les autres. La France a été condamnée pour non-respect de ses engagements climatiques en 2018. J'ai été élu en 2017... Sur la période 2018-2022, on a remis le pays dans le chemin. On a réduit nos émissions de CO 2 de 2% par an. Et depuis ce nouveau quinquennat, on est un peu au-dessus de 4,5%. Nous sommes en train de démontrer qu'il est possible de créer de la richesse en baissant les émissions : c'est cela, l'écologie à la française. Et nous devons en être fiers.

Y-a-t-il un échec que vous reconnaissez ?

Bien sûr, j'ai fait de nombreuses erreurs  en 7 ans. Mais qui peut dire, en politique comme dans la vie, qu'il n'en commet jamais ? Le tout est de les reconnaître, ce que je fais et d'avoir des engagements qui sont respectés. C'est la fierté d'un travail collectif avec la majorité et mes gouvernements.. J'aurais voulu faire la réforme des retraites par points promise pour le premier quinquennat. La crise des gilets jaunes puis le covid nous en ont empêché. En fait, elle était plus difficile à mener que celle qu'on a faite l'an passé car elle refondait plus fondamentalement le système. Je pense que c'est un élément qui aurait changé en profondeur les choses. Et j'aurais aussi aimé mener à son terme la réforme institutionnelle stoppée en 2018. A côté de ça, il y a également des mots que j'ai pu avoir, et qui ont pu être mal interprétés et blesser. Ça, ça ne fait jamais avancer le schmilblick. Donc honnêtement, je les regrette. Il faut avoir l'humilité d'apprendre chemin faisant.

Il faut avoir l'humilité d'apprendre chemin faisant

 Au bout de sept ans, le « en même temps » est-il toujours votre mantra ?

Quand je regarde les sept années qui viennent de s'écouler, je crois vraiment qu'on a fait des choses que tous nos prédécesseurs n'avaient pas osé faire. Le « en même temps », ce n'est pas un mauvais compromis ou faire tenir ensemble des choses irréconciliables, c'est de refuser d'opposer des choses de manière artificielle pour des raisons politiciennes. C'est d'assumer que la question n'est pas de savoir si une proposition est de gauche ou de droite mais de savoir si elle est efficace. Ce n'est pas une dilution, c'est une double radicalité. Au fond, c'est une formule gaulliste. J'assume donc d'avoir fait des réformes beaucoup plus audacieuses que mes prédécesseurs de droite sur les questions justement de sécurité, de défense, de retraite, d'emploi, de fiscalité, qui ont permis de lancer notre réindustrialisation, d'être numéro un en matière de création de start-ups en Europe et d'être depuis cinq ans, chaque année, le pays qui attire sur le continent le plus d'investissements étrangers. J'assume aussi d'être beaucoup plus audacieux que mes prédécesseurs de gauche en matière de politique sociale, notamment en investissant comme personne ne l'avait jamais fait avant moi dans la santé ou l'éducation. La plus grande injustice, c'est quand l'école n'est pas au rendez-vous. C'est pourquoi nous avons décidé le dédoublement des classes, l'accompagnement en groupes au collège, l'évaluation afin de ne plus laisser des enfants passer automatiquement d'une classe ou l'autre... C'est parce qu'on a eu de la constance et de l'audace , qu'on n'a pas faseyé. Ces dernières décennies, ce qui a pu abîmer le pays et créer de la défiance à l'égard des dirigeants, c'est quand certains de mes prédécesseurs ont été élus sur une promesse et fait, six mois ou un an plus tard, le contraire. Je ne prétends pas avoir fait les choses de manière parfaite mais à chaque fois, j'ai dit ce que je voulais faire et je me suis tenu à faire ce que j'avais dit, au premier comme au deuxième mandat. Et tout cela, malgré les crises, les gilets jaunes, le Covid, la guerre en Ukraine, la crise énergétique. Tenir bon la vague et tenir bon le vent, pour paraphraser les grands auteurs ; faire preuve à chaque instant d'un optimisme lucide. Penser que la France et les Français ont tout pour réussir. C'est cela qui pourrait définir notre aventure collective depuis 7 ans.

 La dette est au plus haut. Votre fin de mandat sera-t-elle dominée par des économies à tout va ?

Non. Là aussi, j'essaie d'être cohérent. Depuis 2017, nous avons toujours eu une approche de sérieux tout en donnant la priorité aux réformes, à la transformation de l'économie. Avant la crise des gilets jaunes, nous avons beaucoup baissé les dépenses publiques. Les périodes du covid puis de la guerre en Ukraine et de l'inflation, où on a protégé les Français et l'économie, ont accru notre dette. Mais le décalage en la matière par rapport à la moyenne européenne ne s'est pas fait dans cette période. Il est le résultat de 30 ans de désindustrialisation et de relances par la demande plutôt que par l'offre, lorsqu'il y a eu des crises. Depuis 2017, notre politique est très constante, c'est celle de la politique de soutien à notre appareil productif et des réformes. Elle nous permet de redevenir une grande nation industrielle et de reconverger avec les Allemands. Maintenant qu'a-t-on vécu ces derniers mois ? Un choc conjoncturel en Europe. La France s'est mieux tenue que les autres, mais nous avons connu une croissance et surtout des rentrées fiscales moins importantes à la fin de l'année, en raison notamment du ralentissement brutal qui touchait l'Allemagne et l'Italie. Est-ce que la réponse doit être de changer de politique ? Il y a eu ce débat. Certains l'ont poussé. Je ne l'ai pas souhaité parce que notre politique donne des résultats et parce que je vais vous expliquer ce que s'appelle changer de politique en France lorsqu'on est confronté à une telle situation. Ça s'appelle augmenter les impôts. On a baissé de 60 milliards d'euros les impôts à travers nos réformes au bénéfice des ménages et des entreprises, et malgré cela, on est encore sur le podium de l'OCDE en matière de fiscalité. Nous avons plutôt décidé de répondre de manière conjoncturelle à un choc conjoncturel, c'est-à-dire de faire des économies sur le budget sans changer les équilibres et nos priorités, en limitant certaines des marges d'augmentation qui étaient prévues. Si on arrive au plein emploi, si les entreprises tirent parti de la stabilité de notre politique de l'offre et investissent, on règlera une bonne partie de notre sujet de finances publiques. C'est l'objectif qu'on poursuit depuis 2017. Nous avons des résultats. Nous devons aller plus loin.

Dans cette campagne, je vous défie de me donner une seule idée du Rassemblement national

 Contrairement à votre premier mandat, vous ne disposez plus depuis 2022 d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Reconnaissez-vous que cela rend votre action plus difficile ?

Ça en change la nature. C'est la démocratie, c'est ce que les Français ont voulu. Ça change totalement la perception et la manière d'avancer. Est-ce que jusqu'ici ça nous a empêché de faire des réformes ? L'honnêteté me conduit à vous dire non. Est-ce que ça a pu brouiller les choses parce que le débat parlementaire est dilué par des considérations politiciennes, comme sur la loi immigration ? La réponse est oui. Mais c'est à nous de clarifier. Durant tout mon premier mandat, les gens ont dit : « Ils ont trop de pouvoir, une majorité écrasante... » Si j'avais eu à nouveau une majorité aussi large, je ne suis pas sûr que les gens dans la rue, socialement, auraient été moins mobilisés contre certaines réformes. Moi j'ai toujours eu confiance dans l'intelligence politique des Français. C'est le peuple le plus politique au monde. Ils m'ont reconduit, mais ils ont voulu aussi quelque chose qui ressemble davantage à un système proportionnel. Cela nous oblige à trouver des compromis et c'est une bonne chose.

 Mettrez-vous en place la proportionnelle avant la fin de votre mandat ?

Si une majorité se dégage pour introduire une part de proportionnelle, oui. C'est l'engagement que j'ai pris. Je pense que ce serait bon pour la démocratie.

 Vous êtes le premier locataire de l'Élysée qui doit composer avec la règle limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. Etait-ce une bonne réforme ?

Elle est là et je ne vais pas changer la Constitution. Si vous me demandez mon avis personnel : je pense que c'est toujours mieux quand on laisse le choix aux électeurs. Je suis pour le renouvellement en politique et j'ai porté la limitation du nombre de mandats dans le temps, donc je ne suis pas forcément en train de vous dire que j'aurais aimé être candidat à un troisième mandat. Mais je pense avec le recul qui est aujourd'hui le nôtre que quand on met des interdictions dans la loi, on capture en quelque sorte une part de la liberté des électeurs qui sont souverains. Donc je regarde devant avec la volonté d'être utile au pays et audacieux jusqu'au bout.

J'ai toujours eu confiance dans l'intelligence politique des Français. C'est le peuple le plus politique au monde

 Mais vous sentez que déjà aujourd'hui, ça vous entrave ?

Non. J'ai encore tellement de choses à faire pour les Français. Nos institutions sont claires. Les pouvoirs du président de la République, la Constitution de la Vème République en a voulu ainsi, sont forts. Les formations de la majorité sont loyales et engagées. Dans mes responsabilités, il y aura celle de préparer la suite et de garder la force et l'unité de ce bloc central né en 2017.

Si une motion de censure à l'automne était adoptée, décideriez-vous de dissoudre l'Assemblée nationale ?

Si une motion de censure devait être votée, j'en tirerais les conséquences politiques et institutionnelles qui dépendront des circonstances.

C'est-à-dire ?

Je ne vais pas vous les donner à froid. Mais une motion de censure, est un fait dans la vie politique et parlementaire. Cela ne peut donc en aucun cas être sous-estimé.

Après quatre mois à Matignon, Gabriel Attal répond-il à vos attentes ?

Quatre mois, c'est très court. Le Premier ministre est engagé sur tous les chantiers sur lesquels je lui ai demandé d'avancer. Il est à l'action, au combat avec les qualités qui sont les siennes, que je lui connais et pour lesquelles d'ailleurs j'ai décidé de le nommer à ce poste. Avec le gouvernement, il fait bouger les choses sur beaucoup de sujets.

Souhaitez-vous que Gabriel Attal s'engage davantage dans la campagne européenne, avec un débat par exemple ?

Je souhaite qu'il s'engage au maximum dans la campagne en faisant des débats, des meetings, en allant sur le terrain. C'est ce que je lui ai demandé, comme aussi à l'ensemble du Gouvernement.

Commentaires 14
à écrit le 10/05/2024 à 20:07
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Distiller quelques faits dans une montagne de renoncements et d'injustices, de dissimulations et de déficits de discernement, est faible. Il révèle, au mieux, un strabisme et un manque de lucidité sur la situation dramatique du pays, entre fragilisa...

à écrit le 08/05/2024 à 13:32
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Je trouve qu'il faudrait plutôt se féliciter que la réforme par points n'ait pas été à son terme, puisqu'il en aurait résulté une baisse des pensions pour des millions de nouveaux retraités. Il suffisait d'ailleurs de se donner la peine de recherc...

le 11/05/2024 à 9:22
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Le système de retraites par points j'y suis favorable, mais il ne faut pas faire croire aux Français que ça va régler le problème des retraites. Le système par points, en réalité, ça permet une chose, qu'aucun politique n'avoue : ça permet de baisser...

à écrit le 08/05/2024 à 11:12
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les commentaires sont tristes comme l'entretien avec Mr Macron. Mettre 67 millions de Français à travailler, c'est vraiment très difficile, pour ne pas dire impossible au vu des résultats. Encore plus de fonctionnaires en tous genres , ça n'améliorer...

à écrit le 07/05/2024 à 8:00
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Pour Macron le changement c'est la dégradation.

à écrit le 06/05/2024 à 9:19
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On pense bien comprendre le projet de Macron . Dilution de la France dans L'Europe et diffusion d'une dictature light dans notre sociéte . on tolère tout à condition que vous obéissez sans broncher . le monde de Macron c'est un super marché à ci...

le 06/05/2024 à 10:18
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Non pas le "projet" le "praugeait" ! C'est McKinsey les gars qui a fait le programme économique de la France n'oubliez pas ! ^^ D'ailleurs bientôt ce ne sera plus la France mais la Phrensse ! ^^ Ah moi je m'adapte au cauchemar néolibéral pur en rigol...

à écrit le 06/05/2024 à 8:15
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Si si je pense qu'ils ont bien vu arriver les changements, je discutais avec une dame hier, une bosseuse, qui doit aller vivre avec ses 3 filles chez sa mère parce qu'elle ne peut plus payer le loyer et la hausse du prix de l'énergie, elle l'a bien v...

à écrit le 05/05/2024 à 19:22
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Qui l'eut cru? Le mécontentement des français est perceptible, mais il attend des sourires ! Autiste il doit être ! ;-)

le 06/05/2024 à 10:14
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"Autiste il doit être" Non, définitivement, les autistes eux sont honnêtes et compétents.

à écrit le 05/05/2024 à 19:04
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Bonjour, après deux mandats a la tête de la France et 1000 milliards de dette en plus , le constat de sa présidente est bien faible... Au niveau européen, rien aucun grande dossiers n'as vraiment progressé... Aucune défense collective, militaire et...

à écrit le 05/05/2024 à 17:38
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En ce qui concerne le marché de la drogue, j'ai une idée toute simple : soigner les consommateurs de toutes drogues illicites. Le Portugal a commencé à le faire et je pense que les habitants de ce pays en voient des résultats concrets. En effet, le g...

à écrit le 05/05/2024 à 17:37
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Si si je pense qu'ils ont bien vu arriver les changements, je discutais avec une dame hier, une bosseuse, qui doit aller vivre avec ses 3 filles chez sa mère parce qu'elle ne peut plus payer le loyer et la hausse du prix de l'énergie, elle l'a bien v...

à écrit le 05/05/2024 à 17:34
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["Parce qu'ils ne perçoivent pas encore tous les changements"] Sans doute qu'à ses yeux nous sommes tous des billes, de quoi en attérer plus d'un 😤 J'invite alors ce triste personnage à se procurer aux éditions du Seuil l'ouvrage éclairant du profess...

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