Casinos : rien ne va plus sur les bords de la Manche

Deux nouvelles autorisations d'ouverture ayant été récemment données dans la Somme, on comptera bientôt sept établissements de jeux sur un axe long de seulement 92 km...
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«Les usines et les commerces ferment, mais on ouvre des casinos ! » Sandra Blachère, cogérante du casino municipal de Cayeux-sur-Mer (Somme) et ancienne coproductrice de l'émission La Classe, de Guy Lux, fait allusion aux deux nouveaux casinos autorisés dans la Somme en 2012 par Claude Guéant, alors ministre de l'Intérieur, situés à Mers-Les-Bains et à Fort-Mahon.

« On n'est pas à Las Vegas, ici ! » soupire un élu

« Nous avons maintenant des casinos très rapprochés les uns des autres. Où est-ce que l'on va trouver les nouveaux joueurs ? » Des casinos très rapprochés, c'est le moins que l'on puisse dire : un casino au Tréport (Seine-Maritime), un à Mers-Les-Bains (Somme) qui vient donc d'ouvrir, un à Cayeux-sur-Mer (Somme), un à Fort-Mahon (Somme) dont l'ouverture est prévue pour juin 2013, un à Berck (Pas-de-Calais) et deux au Touquet (Pas-de-Calais). « C'est aberrant d'avoir autant de casinos dans un mouchoir de poche, avec la baisse du pouvoir d'achat. On n'est pas à Las Vegas ici ! » soupire le premier adjoint à la mairie de Cayeux, Bernard Blouin.
Au chapelet de casinos entre Le Touquet et Le Tréport, il faut encore ajouter les établissements voisins de Dieppe et de Forges-Les-Eaux, en Seine-Maritime, et un peu plus loin ceux de Lille et de la côte normande... Sans oublier le casino de l'unique station thermale d'Île-de-France, Enghien-les-Bains (Val d'Oise), premier casino de France, pas si éloigné.
Sandra Blachère qui a bâti son affaire en vingt ans avec sa famille estime que ces nouvelles autorisations « risquent d'envoyer certains casinos au tapis. Les petits finiront par être mangés par les plus gros ».Du fait de l'engouement des jeux en ligne, les casinotiers français sont aux abois, qu'ils soient de grands groupes ou de petits indépendants. Le dernier exercice montre une légère augmentation de leur chiffre d'affaires, mais cette dernière n'était due qu'à quelques établissements, la moitié enregistrant une baisse d'activité. Ainsi, le chiffre d'affaires des casinos du groupe Partouche affichait en juillet 2012 une baisse de 3,3 % par rapport à la même période de 2011. Dans un communiqué, le groupe faisait état d'une « grande morosité dans le secteur au cours des deux derniers trimestres » et annonçait que les « prévisions de l'exercice 2012 ne pourraient être tenues ». Le casino de Cayeux-sur-mer (3,8 millions d'euros de chiffre d'affaires, 25 salariés) a fait ses calculs. Avant l'ouverture de son concurrent de Mers-Les-Bains en septembre 2012, il enregistrait déjà une chute de son chiffre d'affaires de 10 %. Pour autant, il ne fera pas de recours contre l'arrivée de ce concurrent. « Mers est une station touristique qui est fondée à ce titre à avoir un casino », explique Sandra Blachère. Mers a d'ailleurs vécu avec un casino pendant plus d'un siècle. D'autres ne sont pas aussi beaux joueurs. Le groupe JOA, qui exploite le casino du Tréport, est entré en guerre contre le casino de Cayeux (distance : 21 km) en allant coller à Cayeux des affiches publicitaires vantant le casino du Tréport !

Attaques et contre-attaques entre groupes

Il vient de les retirer. Il faut dire que le « danger » s'est rapproché, avec l'ouverture en septembre 2012 du casino de Mers, à 2 km du Tréport. Il a déposé un recours auprès du tribunal administratif d'Amiens contre l'arrêté ministériel autorisant ce casino.
Au Tréport, ni le maire (PCF), ni le directeur du casino, ne souhaitent évoquer l'actualité. « Je ne ferai aucun commentaire sur le sujet et le groupe JOA vous fera la même réponse », a répondu à La Tribune Jean-Marie Grosse, le directeur du casino. Sébastien Guivarch, le propriétaire du bowling qui accueille le casino de Mers, éclate de rire : « Le groupe JOA nous attaque, mais il ne veut pas que cela se sache ! Il nous a d'abord attaqués en référé et a été retoqué. » Et ce qui ne manque pas de piquant, pointe-t-il, c'est que « le groupe JOA est lui-même attaqué par Partouche pour sa nouvelle implantation de La Seyne-sur-Mer ! » De son côté, le groupe Partouche (464 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé, dont 417 dans les casinos) attaque tous azimuts. Dans le Sud-Est, il a saisi le tribunal administratif de Toulon pour empêcher l'ouverture des casinos de Sanary-sur-Mer et de la Seyne-sur-Mer ; en Picardie, celui d'Amiens pour barrer la route à l'autorisation accordée au casino de Fort-Mahon plage, à 17 km. Mais Annie Partouche, PDG du casino de Berck (65 machines à sous), refuse d'expliquer sur quoi se fonde son recours. Silence radio aussi au siège du groupe. Marie-Claude Lagache, première adjointe à la ville (PS) de Berck (16.000 habitants) relativise l'âpreté de la concurrence. « Il y a déjà deux casinos au Touquet ; cela n'empêche pas les uns et les autres de fonctionner. » Elle met en avant « l'attractivité » que représentent pour Berck, son casino et son restaurant La Verrière.

Animation nocturne pour les personnes âgées...

La commune de Fort-Mahon Plage (1.300 habitants) est, elle, impatiente de retrouver son casino fermé en 1998, dans le sillage de l'affaire Jean-Michel Delefortrie, l'ancien directeur du casino (aujourd'hui décédé) condamné et incarcéré. La commune s'est démenée pour reprendre le dossier de zéro et décrocher le statut de « station touristique et balnéaire ». Elle a obtenu le précieux sésame en novembre 2007, ayant répondu favorablement aux différents critères, dont ceux sur l'offre hôtelière. L'étape suivante était le lancement de la procédure de délégation de service public (DSP) et le choix d'un délégataire, le groupe Viking. Ce dernier va raser l'ancien casino et le reconstruire. L'ouverture est prévue en juin 2013 avec 50 machines à sous, une table de blackjack et une vingtaine d'emplois. Le maire de Fort-Mahon, Alain Baillet, est convaincu que ce casino va « dynamiser la station », et mettre un peu de vie le soir. « Cela va faire une animation nocturne ; notamment pour des personnes âgées après un bon petit repas ! » Il est convaincu du fort potentiel touristique de Fort-Mahon doté de « l'un des plus beaux golfs de France », (Belle Dune), et d'un village Pierre & Vacances. « Les gens sortent de plus en plus ; ils ont plus de vacances et de temps libre?; ils partent plus souvent le week-end qu'autrefois ; ils viennent ici au moindre rayon de soleil. » Il dit avoir vécu ces changements en tant que restaurateur à Fort-Mahon : « Quand j'ai démarré en 1974, nous n'étions que deux ou trois restaurants ouverts toute l'année. Aujourd'hui, il y a entre 12 et 15 établissements de métiers de bouche. ».Emmanuel Maquet, le maire UMP de Mers-les-Bains, a lui aussi travaillé d'arrache-pied pour décrocher le label de « station touristique et balnéaire ». « Le casinotier ne peut pas s'installer n'importe où ; la commune où il veut s'installer doit être classée station touristique. »
Il estime avoir mis en ?uvre une stratégie touristique globale. « Le casino est un élément de rayonnement très fort, associé au bowling, au billard et au restaurant. »

Aller au casino en sortant du supermarché

Le casino de Mers a, en fait, pris ses quartiers, le 7 septembre 2012, à l'intérieur du bowling de Mers. Provisoirement. « Nous avons obtenu le permis de construire pour un bâtiment dans le prolongement du bowling », explique le propriétaire, Sébastien Guivarch, qui a grandi dans les machines à sous, puisque son père était, il y a dix ans, le propriétaire du casino d'en face... au Tréport! Le complexe bowling-casino de Mers se trouve en lisière du « Parc commercial des grands marais », où est installé Auchan. Un casino en bordure de zone commerciale, voilà qui n'est pas très glamour, ricanent les concurrents : « Les gens vont aller au casino après avoir rempli leur caddy chez Auchan?! » Le maire de Mers se défend : « Mes prédécesseurs ayant vendu le site historique du casino en front de mer, il fallait proposer un autre emplacement. Nous en avons proposé un autre, mais aucun candidat n'a répondu. Nous avons donc choisi la seule proposition qui nous était faite. »Que les communes défendent leurs casinos, cela se conçoit bien. La loi prévoit en effet que les casinos reversent un minimum de leur chiffre d'affaires (7,5%) à la commune qui les accueille. Le pourcentage (souvent autour de 10%) se négocie dans le cadre du contrat de délégation de service public ; il est notamment fonction des animations proposées par le casino dans la commune.
Le principe d'un prélèvement par la commune se comprend, explique Marie-Claude Lagache, première adjointe au maire de Berck, « car la commune doit faire face à des dépenses en tant que commune touristique ». En 2011, la commune de Berck a perçu 760.000 euros de recettes en provenance du casino, pour un chiffre d'affaires de 7,6 millions d'euros. Fort-Mahon annonce un chiffre d'affaires compris entre 4 et 5 millions d'euros, tout comme son concurrent de Mers qui table sur 5 millions d'euros, dont 10% versés à la commune. « Ces recettes vont nous permettre d'augmenter notre budget culturel », explique le maire. Il ne manque qu'un petit détail : il va falloir faire revenir les joueurs à Mers.

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Repères :

2,32 milliards d'euros : c'est le chiffre d'affaires des casinos français, du 1er novembre 2010 au 31 octobre 2011.
200 : c'est le nombre actuel des casinos français, dont 197 en fonctionnement.
Statut : les casinos sont placés sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère des Finances.


Quatre des cinq ouvertures des « casinos Guéant » sont attaquées en justice

En tant que ministre de l'Intérieur (février 2011-mai 2012), Claude Guéant a autorisé l'ouverture de cinq casinos : trois sur la Côte d'Azur et deux dans la Somme. Sur ces cinq arrêtés ministériels autorisant ces ouvertures, quatre sont attaqués, dont les deux de la côte picarde, devant les tribunaux administratifs. Ainsi, l'arrêté ministériel autorisant le casino de Mers-Les-Bains, qui a ouvert le 7 septembre, est contesté par le groupe JOA, exploitant le casino du Tréport (à 2 km). L'arrêté autorisant le casino de Fort-Mahon (Somme), qui doit ouvrir en juin 2013, est attaqué par le groupe Partouche qui exploite le cas

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