Docteur Wolfgang and Mister Schäuble

Wolfgang Schäuble est assez populaire en Europe. Il s\'est construit habilement une image de « ministre le plus européen » du gouvernement allemand. Une vision qu\'il entretient avec non moins d\'habileté. Le 19 août par exemple, à Berlin, le ministre badois, victime d\'un attentat en 1990 et cloué depuis dans un fauteuil roulant, a participé à un « débat » avec la chanteuse grecque la plus populaire en Allemagne, Nana Mouskouri.Rêve avec NanaLa chanteuse aux lunettes noires narrait comment, députée européenne conservatrice, elle s\'était vue rabrouée par un commissaire qui lui reprochait de « trop rêver ». Et Wolfgang Schäuble de défendre le rêve en politique et de décrire le sien : une Europe « qui se bâtirait comme une maison commune. » Avec ce genre de sortie, on se forge une image indélébile. Tout comme lorsque le ministre a rappelé les membres de la coalition gouvernementale à la retenue envers la Grèce en rappelant cette évidence : « nous aussi, nous contrevenons aux règles ». Au final, Wolfgang Schäuble est devenu pour les fédéralistes européens le héros allemand qui leur manquait, l\'exact pendant de sa chancelière. « Wolfgang Schäuble est un authentique européen, pas comme Angela Merkel », martelait début août sur ARD, la première chaîne allemande, l\'ancien chancelier Helmut Schmidt, 94 ans.La querelle avec AngelaCette image cache en réalité une personnalité beaucoup plus complexe. En politique intérieure, Wolfgang Schäuble est sans doute l\'allié le moins sûr d\'Angela Merkel. Les deux ne s\'aiment guère. Il est vrai que l\'actuel ministre des Finances était, dans les années 1990, promis à la succession de Helmut Kohl avant d\'être emporté en 1999 par un scandale financier qui a ruiné ses espoirs de devenir chancelier. Et c\'est alors Angela Merkel qui s\'est imposée au sein de la CDU et qui a finalement pris ses quartiers à la chancellerie en 2005. Mais Wolfgang Schäuble est resté très influent au sein du parti chrétien-démocrate. Sa figure de martyr, son esprit de fermeté, ses citations bibliques fréquentes en font une référence incontournable pour l\'électorat conservateur allemand. Aussi Angela Merkel l\'a-t-elle toujours ménagé : ministre de l\'Intérieur de la grande coalition de 2005 à 2009, il est devenu ensuite grand argentier de la république fédérale.Le pari de la chancelièreMais Wolfgang Schäuble n\'a jamais été le « second » de la chancelière. Il n\'hésite pas à prendre ses distances vis-à-vis d\'elle, voire à entraver son cours politique en s\'appuyant sur les adversaires conservateurs d\'Angela Merkel. Et la politique européenne de la chancelière ne fait pas exception dans cette tactique de guérilla voilée que mène le ministre. A son retour de vacances, le 13 août, la chancelière semblait déterminée à trouver une solution à la crise européenne, au prix même de l\'abandon des dogmes ordolibéraux allemands : stabilité monétaires et autonomie budgétaire au sein de la zone euro. Le 16, à Ottawa, elle adresse un feu vert clair à Mario Draghi pour une intervention de la BCE et lance un signe encourageant à Athènes concernant le délai que réclame Antonis Samaras. Le pari est risqué, c\'est une forme de déclaration de guerre aux dogmes de son camp. La chancelière aurait alors eu besoin de tout le soutien de son gouvernement, en particulier de « l\'Européen » Wolfgang Schäuble.La BCE critiquéeIl n\'en aura rien été. Le 20, au lendemain de son larmoyant concert avec Nana Mouskouri, Wolfgang Schäuble profite d\'une information fort opportunément sortie par Der Spiegel sur l\'établissement d\'un possible « seuil » d\'écarts de taux fixé par la BCE pour son intervention pour se distinguer. « Ce serait problématique », fait savoir la Wilhelmstrasse, rue dans laquelle est sis le ministère fédéral des Finances. La coalition libérale-conservatrice en profite pour lancer l\'hallali sur les projets de la BCE. La chancelière doit alors se faire plus discrète sur la BCE qu\'elle n\'a pas évoquée en public lors de ses rencontres avec François Hollande et Antonis Samaras. Et la BCE songe désormais à des « seuils secrets ».Fermeté sur la GrèceEst venu ensuite la question grecque. Devant l\'offensive conservatrice qui ne veut plus rien céder aux Grecs, la chancelière, prête à se montrer conciliante aurait dû là aussi pouvoir compter sur son ministre des Finances. Mais Wolfgang Schäuble a donné maint interviews pour appuyer sa fermeté vis-à-vis d\'Athènes. « Plus de temps ne sert à rien », a-t-il martelé mercredi. Là encore, la chancelière a dû reculer et repousser toute décision à après le remise du rapport de la troïka.Offensive sur AngelaVoilà comment le héros des fédéralistes européens a agi pour faire reculer Angela Merkel sur une politique plus fédéraliste. Progressivement, Wolfgang Schäuble semble avoir lancé une offensive contre la chancelière. Feutrée, comme toujours, mais indéniable. Et si, ce vendredi, l\'information concernant la préparation d\'une sortie de la Grèce de l\'euro sort dans la presse, le jour de la rencontre entre Antonis Samaras et Angela Merkel, précisément en provenance, affirme le Financial Times Deutschland, du ministère des Finances, ce n\'est pas une surprise. Le ministre agit également en sous-main, par son compatriote badois Volker Kauder, le chef du groupe CDU/CSU au Bundestag, jadis considéré comme le bras droit de la chancelière et qui, depuis un mois, n\'a pas de mots assez durs contre elle. « La politique de la chancelière est de plus en plus italienne », a-t-il ainsi déclaré ce vendredi au Handelsblatt. Selon ce même quotidien, c\'est justement Volker Kauder qui prépare actuellement la fête d\'anniversaire pour les 70 ans de Wolfgang Schäuble le 18 septembre prochain...Indispensable Angela ?Angela Merkel n\'est guère appréciée dans ses rangs, mais elle a un argument : c\'est la seule à pouvoir faire gagner la droite en septembre 2013. C\'est précisément cet argument que Wolfgang Schäuble pourrait vouloir miner en jouant sur ces deux visages, d\'ami de l\'Europe et de soutien à la fermeté. La guerre feutrée entre les deux caciques de la CDU n\'est sans doute pas terminée. Et l\'Europe pourrait en faire les frais.
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