Les dates qui ont fait l'économie allemande (2/7) : le 23 août 1521

La gloire des Fugger, 25 août 1521

Au centre d'Augsbourg, dans la Souabe bavaroise, les touristes se pressent encore vers un ensemble de quelques 60 maisons coquettes datant de la Renaissance. Ce quartier est baptisé la Fuggerei, en hommage à son fondateur, Jakob Fugger, surnommé « le riche », sans doute la première fortune de son temps. Le 23 août 1521, c'est lui qui inaugure cet ensemble de logements étonnamment modernes pour l'époque et destiné à accueillir des pauvres de sa ville natale. Aujourd'hui, ses descendants lointains regroupés dans une fondation gèrent toujours ce premier « logement social » de l'histoire allemande dans des conditions similaires à celle de 1521 : les locataires ne doivent payer que l'équivalent d\'un florin rhénan d'alors, soit 88 centimes d'euros, pour un an de loyer...

Un bienfaiteur pour sa région

Jakob Fugger a beaucoup insisté sur son image de bienfaiteur pour Augsbourg. Il a financé plusieurs églises de la région et a mis une partie (infime) de sa fortune au service de ses compatriotes. Mais l'homme n\'était pourtant pas un tendre. C'était même un des premiers requins de la finance internationale de l'histoire du capitalisme. A sa mort en 1525, il possède une fortune de quelques 2,1 millions de florins ; en 1479, à l'âge de 20 ans, il disposait de 60 florins de fortune...

Une histoire familiale

Cette évolution, Jakob Fugger a néanmoins pu la réaliser grâce à son père, Jakob l'ancien (1399-1469) qui a réussi à diversifier la petite entreprise familiale de tissage dans plusieurs secteurs, notamment l'extraction de cuivre et d'argent, la finance et le commerce. Des filiales sont créées un peu partout autour des Alpes. Après la mort de son père, Jakob le jeune montre rapidement des qualités supérieures. Sa formation à Venise, alors un des centres de la finance mondiale avec Florence, l'initie aux subtils montages financiers - souvent très risqués - des banquiers italiens.

Un coup de maître

En 1488, Jakob Fugger réalise son premier coup de maître. Installé à la filiale d'Innsbruck de l'entreprise familial, il avance à l'archiduc du Tyrol Sigismond les fonds nécessaires à ses coûteuses guerres. Sigismond ne peut pas rembourser, Jakob le sait. Il renonce à ses fonds, mais obtient les mines d'argent de Schwaz, les plus importantes d'Europe. Deux ans plus tard, Jakob Fugger fait venir des ingénieurs franconiens pour mettre au point une méthode de séparation du cuivre et de l'argent. La productivité de la mine explose : Jakob devient le maître de la maison Fugger. Il investir à tout va dans toutes sortes de commerce (épices, textiles, bijoux...) et bâtit rapidement un quasi-monopole sur le cuivre en Europe.

Financer les Habsbourg pour développer ses actifs

La fortune de Jakob Fugger est faite. Mais elle va encore grandir par sa rencontre avec celui qui sera désigné par un historien allemand comme le plus mauvais gestionnaire de la maison de Habsbourg, l'empereur Maximilien 1er. Les excès de Sigismond de Tyrol ont exaspéré la population. Jakob Fugger lâche l'archiduc dès 1490 et appuie l'annexion de la région par l'empereur qui, reconnaissant, devient son client. Et quel client ! Maximilien dépense sans compter et Jakob paie et assure les transferts de fonds nécessaires à la gestion de ses immenses domaines. Mais, comme en 1488, il exige comme garantie des mines et de terres à l'empereur. Le Habsbourg accepte, ne peut bientôt plus se passer de lui et le fait comte d'Empire sous le nom de Babenhausen en 1514.

Faiseur d'empereurs et de schismes

De son côté, Jakob Fugger sait que sa fortune est désormais lié à celle de la Maison d'Autriche. A la mort de Maximilien, le roi de France François 1er se porte candidat à l'Empire d'Allemagne. Il met à la disposition des princes électeurs pas moins de 300.000 florins. La victoire du Français risque de remettre en cause les privilèges et monopoles acquis par les Fugger et, partant, les ruiner. Il faut que le petit-fils de Maximilien, le roi d'Espagne Charles soit élu. Jakob met alors 600.000 florins à la disposition de ce dernier et, mobilisant ses amis, parvient à réunir près d'un million de florins. Charles est élu et devient Charles Quint. Il reprendra les habitudes de son grand-père en offrant cette fois aux Fugger les richesses de l'Espagne - dont il a hérité par sa mère - qui, avec la découverte du nouveau monde, devient un des pays les plus riches du monde. Les banquiers d'Augsbourg sont alors partout : ils contrôlent les finances du port d'Anvers, la mine d\'argent espagnole d'Almaden et le commerce transatlantique. Le bénéfice de l'empire financier Fugger a bondi en moyenne de 55 % par an. Jakob prête à tout le monde et le pape Léon X doit, pour le rembourser, vendre des « indulgences » aux Chrétiens désireux d'éviter les flammes de l'enfer. Au grand dam d'un certain Martin Luther. Le protestantisme est né aussi de l'avidité de Jakob Fugger qui restera toujours un farouche adversaire de l'ancien moine de Wittenberg.

La décadence

Après sa mort, les héritiers de Jakob gèrent encore assez bien le groupe industriel et financier. Mais la martingale de Jakob, accorder des dettes aux Habsbourg, s'émousse. Alors que les revenus des mines se réduisent, la dispendieuse monarchie espagnole qui s'est énormément endettée est obligée de faire banqueroute. Elle annule une partie de ses dettes coup sur coup en 1557, 1575 et 1608. La perte pour la famille Fugger est de 8 millions de florins qu'il faut éponger en vendant les principaux actifs de l'empire familial. Du moins, les Fugger évitent-ils la faillite qui frappe leurs principaux concurrents. Néanmoins, la guerre de Trente ans (1618-1648) qui ruine l'Allemagne et l'émergence de la banque néerlandaise donnent le coup de grâce aux Fugger et la société familiale est dissoute en 1657. Le financement des Etats allemands passent bientôt dans d'autres mains, notamment les banquiers de Hambourg ou ceux du ghetto juif de Francfort.

L'héritage

Jakob Fugger reste une figure tutélaire de l'économie allemande. Par sa capacité à innover sur plan financier et technique, il a su s'imposer sur les marchés mondiaux. Il annonce ainsi les grandes figures de l'industrie allemande : les Siemens, les Bayer, les Delbrück (fondateurs de la Deustche Bank). Comme tous les grands patrons allemands d'aujourd'hui, il n'a jamais oublié son Heimat, sa région natale, Augsbourg. Aujourd'hui encore, de nombreuses PME familiales allemandes, leader mondiale, entendent jouer un rôle local déterminant en investissant dans des centres de formation ou des complexes sociaux régionaux. D'une certaine façon, il annonce également « l'économie sociale de marché » en mettant au service des pauvres une partie de sa fortune gagnée sur les marchés. Enfin, Jakob Fugger est une figure tutélaire du capitalisme allemand en ce qu'il préfigure cette « Deutschland AG » (« Allemagne SA »), autrement dit cette imprégnation des banques allemandes dans l'industrie allemande et qui, durant une bonne partie du 20ème siècle a dominé l'économie du pays. Aujourd'hui, Deutschland AG n'existe plus, mais l'esprit des Fugger n'est pas mort. Les entreprises familiales qui, en utilisant les financements locaux, partent à la conquête des marchés mondiaux, forment encore l'essentiel de la force de l'économie germanique. 

Demain : le 9 août 1873; l'Allemagne passe à l'or (3/7) 

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