"Les distributeurs français ont verrouillé le marché du hard discount"

Dans une interview parue ce lundi dans La Tribune, Alain Bazot, président d'UFC Que Choisir, estime que la concurrence ne joue pas assez en France dans le secteur de la grande distribution. Soulignant que les prix des biens de consommation sont moins élevés en Allemagne, le patron de de l'une des cinq organisations de consommateurs les plus puissantes dans le monde invite les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités. L'Etat doit selon lui s'impliquer pour éviter les dérapages inflationnistes.

La Tribune - On observe en France une légère poussée inflationniste. Redoutez-vous une amplification ?

Alain Bazot - Que les prix augmentent, c'est indéniable. Et dans certains secteurs, la hausse va au-delà du raisonnable. Si on prend le cas de l'énergie c'est patent. Nous avons analysé avec objectivité les augmentations validées par le gouvernement des tarifs régulés de l'électricité. Elles ne se justifient pas. Le prix du gaz a également augmenté dans des proportions inadmissibles. (...) nous identifions des dérapages non seulement en matière d'énergie mais aussi dans de nombreux secteurs comme par exemple les produits alimentaires. Et là encore, il s'agit de hausses qui sont déconnectés des coûts de production. Qu'il s'agisse du lait, dont il a été beaucoup question ces dernières semaines, mais aussi de la viande, il n'y a plus aucune corrélation entre ce que perçoit le producteur et ce que paie le consommateur. Or je vous parle là de produits peu transformés, dans lesquels la matière première représente 70% du coût de revient. Or ce phénomène n'est pas inéluctable. La preuve pour les fruits et légumes on est bien parvenu à trouver ses solutions.

- N'est-ce pas plutôt le signe qu'il y a un problème de pouvoir d'achat ?

 

Il faudrait qu'un jour on cesse dans ce pays à aborder le problème du pouvoir d'achat en se polarisant sur les seuls revenus. Le niveau des salaires ou des retraites est une chose, mais le niveau des prix est tout aussi déterminant dans le pouvoir d'achat ; Notre expertise en tant qu'association de consommateurs se porte précisément sur la façon dont se forment les prix. Et aujourd'hui nous identifions des dérapages non seulement en matière d'énergie mais aussi dans de nombreux secteurs comme par exemple les produits alimentaires. Et là encore, il s'agit de hausses qui sont déconnectés des coûts de production. Qu'il s'agisse du lait, dont il a été beaucoup question ces dernières semaines, mais aussi de la viande, il n'y a plus aucune corrélation entre ce que perçoit le producteur et ce que paie le consommateur. Or je vous parle là de produits peu transformés, dans lesquels la matière première représente 70% du coût de revient. Or ce phénomène n'est pas inéluctable. La preuve pour les fruits et légumes on est bien parvenu à trouver ses solutions.

 

- Il a fallu que l'Etat s'en mêle...

- Eh bien il est dans son rôle. Nous n'avons jamais été pour un retour au contrôle des prix. Nous acceptons l'économie de marché mais pour éviter des dérives, il est bon que les parties prenantes aient une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Nous préconisons la mise en place d'un mécanisme étatique de régulation des marges. Il s'agit juste d'instituer, pour certaines catégories de produits, un coefficient multiplicateur maximal qui s'applique en cas de dérapages injustifiés.

- Le même pour tous les produits ?

 

Bien sûr que non. Il faut regarder comment se forme le prix, catégorie par catégorie. Mais puisque il existe en France un observatoire des prix et des marges, on pourrait s'appuyer dessus. Cet organisme qui réunit, les producteurs, les distributeurs et les consommateurs serait bien placé pour fixer une marge de référence, filière par filière. Ainsi, dès qu'un dysfonctionnement serait observé, l'Etat pourrait ponctuellement jouer son rôle sans avoir à fixer les prix de façon artificielle. A l'instar, d'un gendarme qui verbalise les automobilistes qui franchissent la limite de vitesse autorisée, il n'interviendrait que lorsque les prix dérapent à cause de marges qui d'envolent.

 

- Cette règle ne peut s'appliquer qu'aux produits peu transformés.

 

Evidemment. Mais même sur ce principe simple et équitable, notre demande reste lettre morte pour le moment.

 

- Pourquoi n'êtes-vous pas entendus ?

 

Nous n'avons pas autant de pouvoir d'influence sur les décideurs politiques que d'autres. Et cette remarque vaut quelque soit leur couleur politique. Pourtant, les positions que nous prenons, sont raisonnables et non dogmatiques. Nous appuyons toujours sur des études sérieuses que nous menons en interne avec nos économistes, nos juristes ou ingénieurs. Le problème, c'est que nous nous attaquons bien souvent à des rentes de situation. En face à nous, il y a des lobbys puissants qui utilisent avec habilité le chantage à l'emploi.

- Les négociations entre les industriels et la distribution restent tumultueuses. Pourquoi ce rapport de force ne profite-il plus aux consommateurs ?

- On a laissé en France la bride sur le coup à la grande distribution parce qu'à ses débuts, elle a su accomplir sa mission : mettre à la disposition du plus grand nombre des bien de consommation à des prix les moins élevés possibles. Mais peu à peu, elle s'est « embourgeoisée ». Certains ont choisi de devenir des géants mondiaux et ont eu besoin de générer des marges pour payer leur développement international. D'autres se sont constitués en une génération de véritables fortunes. Je ne critique pas cet enrichissement. J'observe juste, qu'aujourd'hui, les géants de la grande distribution appliquent ce que j'appelle un Yalta du territoire : les grandes enseignes se sont réparties les principales zones de chalandise. L'intensité concurrentielle peut y devenir si faible que dans certains cas on peut parler de situation de quasi monopoles, avec des prix qui sont alors 10% plus élevés que la moyenne.

- Ce phénomène est propre à la France ?

En tout cas, chez nos voisins allemands, la concurrence joue et les prix sont nettement moins élevés qu'en France. Mais les distributeurs français ont verrouillé le marché pour empêcher les hard discounteurs allemands de se développer dans l'Hexagone. Voilà pourquoi le hard discount reste plus cher en France qu'en Allemagne.

- N'est-ce pas aussi le signe que les associations de consommateurs ne sont pas assez puissantes en France ?

 

Le consumérisme politique peine à émerger. Nous avons tout de même rattrapé notre retard en terme de puissance. UFC Que Choisir est la quatrième ou cinquième association de consommateurs dans le monde. Devant nous, il y a Consumers Union aux Etats-Unis, Wich au Royaume-Uni, Consumentenbond aux Pays-Bas - Près de la moitié des Néerlandais sont adhérents ! Les Allemands sont également puissants mais il s'agit d'une organisation très subventionnée ou encore le groupe belge Conseur avec Test achat qui s'est développé hors de ses frontières.

 

- UFC Que Choisir n'a que 141.000 adhérents sur 60 millions de consommateurs...

 

Notre puissance de feu ne se mesure pas qu'à cette aune. Notre revue est achetée par près de 600.000 consommateurs par mois. Par ailleurs, les syndicats ou les partis souffrent eux aussi de ce manque d'implication des Français. Nos compatriotes sont réputés râleurs mais ils restent individualistes et la conscience politique trop peu développée. Cela induit des comportements qui, souvent, se retournent contre eux. Prenez le cas de la téléphonie mobile. On fait miroiter aux consommateurs le prix très bas du téléphone en l'obligeant en même temps à s'engager sur de longues périodes - un voire deux ans avec des forfaits. Résultat : la concurrence ne peut jouer que tous les deux ans et les tarifs de la téléphonie mobile sont parmi les plus élevés d'Europe.

 

- Justement, Free veut mettre fin à cette logique...

 

C'est qu'il a annoncé. Vous savez que nous ne sommes pas en bon terme, mais je dois reconnaître qu'ils ont innové sur le plan économique en étant notamment les premiers à lancer le triple play (abonnement télé , Internet, téléphone). Ca a fait bouger les autres. Je leur reproche en fait de maltraiter leurs consommateurs, avec des hotlines sous-dimensionnées ou en aillant des pratiques contractuelles contestables. Nous ne sommes pas une association qui défend les prix bas à tout prix.

 

- Revenons à votre magazine. C'est une activité rentable ?

 

Oui. Elle contribue au financement de nos activités plus politiques. Nous assumons complètement le fait de commercialiser un organe de presse qui se vend bien. Notre vocation est de diffuser au maximum des informations dont le consommateur a besoin. Les lecteurs ne sont pas prioritairement intéressés par le « consumérisme politique ». Ils apprécient les tests totalement indépendants que nous menons. Nous achetons les produits, nous n'acceptons jamais aucun prototype. Ces tests nous coûtent plusieurs millions d'euros par an.

 

- Cela peut avoir un impact négatif, mais aussi positif, non ?

 

Evidemment. Après notre étude sur les désodorisants d'intérieur qui mettait en avant les risques pour la santé, les ventes auraient globalement chuté de 30% s'est plaint la profession. A l'inverse, un produit bien noté se vend mieux. Je me souviens être allé faire mes courses chez Leader Price au moment de Noël. Il n'y avait plus de champagne J'ai compris pourquoi ensuite. Le champagne le mieux noté par nos spécialistes était celui d'un petit producteur que cette enseigne avait référencé. Je l'ignorais. Notre pouvoir de prescription est important, pourquoi le nier.

 

- Max Havelaar vend son label pour défendre la cause du développement durable. Permettre aux industriels de mettre en avant les notes que vous attribuez à leurs produits, ce serait aussi un bon moyen pour défendre votre cause, non ?

 

Jusqu'à maintenant, nous nous y sommes toujours refusés. Chaque fois qu'un professionnel utilise nos tests pour se valoriser, il se retrouve au tribunal. C'est notre crédibilité qui est en jeu. Je vous rappelle qu'un industriel peut avoir, dans une gamme donnée, des produits de qualité différente et nous n'avons pas de maîtrise sur le contenu de sa communication. Il pourrait en profiter pour mettre en avant d'autres produits de moindre qualité. C'est donc un non de principe, mais nous sommes capables d'évoluer sur ce sujet.

 

- Ce serait une source de revenus supplémentaires non négligeable.

 

Pour le moment, nous ne tirons nos revenus que de nos abonnés et de nos adhérents. Prendre un risque alors que ce n'est pas indispensable à notre survie ou même à notre développement, mérite réflexion. C'est une décision qui mériterait un débat au Conseil d'administration !

 

- Les class actions n'ont toujours pas vu le jour en France. Arriverez-vous un jour à convaincre les politiques sur ce sujet ?

 

C'est un combat de longue haleine. Les politiques sont dans leur ensemble convaincus que les actions de groupe sont nécessaires dans une économie libéralisée. Mais nous avons un opposant systématique et irraisonné : le Medef. Du coup, alors que les tribunaux sont encombrés, on oblige les consommateurs à mener des actions individuelles. Résultat : En fait, les victimes ne sont jamais indemnisées.

 

- Si les actions de groupe étaient possibles, ne redoutez-vous pas que des avocats y voient un moyen de multiplier les actions judiciaires ?

 

Nous sommes favorables à une procédure qui aille dans l'intérêt des victimes et non des avocats ou des associations ! Aujourd'hui il est économiquement rentable pour une entreprise de violer le droit de la concurrence ou de la consommation. Les sanctions sont minimes, la réparation jamais assurée. Quand un litige concerne une masse de personnes, il faut bien qu'il puisse y avoir en face une procédure de masse ! Et qu'on ne nous dise pas que cela s'oppose à la Constitution. Nous avons fait travailler des juristes renommés sur le sujet. Il n'y a aucun problème. La communauté universitaire n'est pas hostile à cette réforme, le Président de l'autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, l'a aussi appelée de ses v?ux

 

- Comment comptez-vous faire bouger le gouvernement ?

 

Peut-être via l'Europe. Les commissaires à la Justice, à la Concurrence et à la consommation travaillent sur ce dossier. Car côté français, tant la ministre de l'Economie, que Matignon et l'Elysée y restent obstinément opposés. On n'y arrivera sans doute pas sous ce quinquennat.

 

- Cela pourrait devenir un argument électoral en 2012. Pourquoi ne pas faire signer une charte sur la consommation aux candidats à la présidentielle ?

 

On y songe. La consommation est au carrefour d'enjeux majeurs : le développement durable, le pouvoir d'achat, l'éthique, les libertés individuelles, la santé... pourtant elle reste le parent pauvre des débats politiques. Aux dernières présidentielles, l'écologie a fait son entrée dans le débat grâce à Nicolas Hulot. Il est temps maintenant de faire émerger le rôle politique des actes du consommateur. Alors, oui, un pacte consumériste à la présidentielle de 2012, ce serait une bonne chose et un signe de plus grande maturité de la société.

 

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