
Les magistrats français sont appelés ce vendredi par les syndicats à une grève nationale des audiences pour protester contre les propos de Nicolas Sarkozy les menaçant de faute dans l'affaire Laëtitia et annonçant des sanctions.
Ce mouvement, qui fait suite à plusieurs autres passes d'armes ces dernières années entre le chef de l'Etat et les juges, intervient en pleine crise du système judiciaire, un des plus pauvres du continent.
Le litige porte sur le dossier où un homme sorti de prison en février 2010, Tony Meilhon, est accusé d'avoir tué et dépecé près de Nantes une jeune fille de 18 ans, Laëtitia Perrais.
"Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute", a dit Nicolas Sarkozy jeudi.
Le tribunal de Nantes a commencé le mouvement de grève des audiences dès jeudi et a été immédiatement suivi, selon les syndicats, par Bayonne, Créteil, des juridictions d'outre-mer et de petits tribunaux normands.
Une quinzaine de syndicats du monde judiciaire et de l'administration pénitentiaire appellent à la généralisation de ce mouvement, en vue d'une journée de mobilisation jeudi prochain, où des rassemblements seraient organisés partout, avec un point d'orgue à Nantes.
"Nous n'accepterons pas que des agents soient sanctionnés, alors qu'ils sont les premiers à devoir subir les conséquences d'une inflation législative conjuguée à une indigence budgétaire", écrivent-ils dans une déclaration commune.
L'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) parle de "populisme de bas étage".
UN SYSTÈME AU BORD DE L'IMPLOSION
Sur le dossier Tony Meilhon, les syndicats nient toute faute. Le suspect avait purgé durant onze ans toutes ses peines, sans réduction, et il n'était en théorie astreint, dans le cadre d'une dernière condamnation pour outrage à magistrat, qu'à une "mise à l'épreuve".
Malgré une ancienne condamnation pour viol d'un codétenu, il n'était pas considéré comme dangereux. Son suivi léger - obligation de rechercher un emploi et de voir un médecin - n'a pas été appliqué faute d'effectifs, dans le cadre d'accords écrits validés par la hiérarchie judiciaire et administrative, disent les syndicats, preuves à l'appui.
Il n'y a que trois juges d'application des peines à Nantes et dix-sept agents de probation pour suivre 3.300 détenus, ce qui a amené la probation à laisser de côté plus de 800 dossiers.
Alors que les cinq lois votées depuis 2007 sur la récidive ont introduit de nouveaux dispositifs de suivi, cette situation est souvent beaucoup plus dramatique ailleurs en France, comme en Essonne, où chaque juge d'application des peines doit traiter un millier de dossiers.
Le système judiciaire français a été classé en 2010 par le Conseil de l'Europe au 37ème rang continental pour le pourcentage du produit intérieur brut (PIB) par habitant consacré à la justice. Le budget pour 2011 pour la justice est de 7,1 milliards d'euros, soit environ 2,5% du budget de l'Etat.
Dans ces conditions, les syndicats qualifient de "grotesque" les mesures annoncées en début de semaine, l'appel aux retraités de la justice pour renforcer la probation et la création d'un nouveau service de police d'ici le 15 février.
Le Parti socialiste soutiendra le mouvement du monde judiciaire et entend proposer pour la présidentielle la remise à niveau financière du système judiciaire, a dit à Reuters Marie-Pierre de la Gontrie, secrétaire nationale chargée des questions de justice. "M. Sarkozy cherche à se défausser de sa responsabilité en cherchant un bouc émissaire. Il ne cherche déjà plus à agir, il est déjà en campagne", a-t-elle dit.
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