"La France a besoin d'un syndicalisme fort et reconnu"

L'actuel président du groupe d'information professionnelle AEF et de la société de conseil Alixio revient sur la réforme des retraites adoptée cet automne. Il livre en exclusivité à La Tribune son analyse des relations sociales en France. Dépendance, salaires, emplois, TVA sociale: l'ancien expert du social de Nicolas Sarkozy, qui a quitté l'Elysée en novembre dernier, passe en revue les grands sujets de l'actualité sociale et avance ses propositions.
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Quel regard portez-vous sur l'évolution des syndicats en France ?

Prenons un peu de recul. Au début de la décennie 70, le taux de syndicalisation était de 25%. Il est aujourd'hui de l'ordre de 8 %, même si l'on inclut le secteur public. Dans les autres pays, les adhésions ont également reculé, mais on partait de beaucoup plus haut, jusqu'à 80% dans certains pays nordiques. Le syndicalisme français est non seulement pluraliste et parfois divisé, mais il s'appuie aussi sur une assise faible d'adhérents. Ce qui ne l'empêche pas d'être reconnu comme un acteur social majeur par la plupart des salariés.

Est-ce à l'Etat de favoriser la syndicalisation des Français ?

Il y a quelques années, Ségolène Royal avait proposé de rendre obligatoire l'adhésion à un syndicat...
Ce serait une mesure anticonstitutionnelle. En revanche, en 2008, le gouvernement a encouragé la réforme de la représentativité syndicale.
Celle-ci a permis d'inverser l'ordre des facteurs en faisant en sorte que la légitimité vienne de la base et non du sommet. Si on veut un système de relations sociales qui permette des accords majeurs sur les grandes réformes dont la France a besoin, il ne faut pas avoir peur de bâtir un syndicalisme fort et reconnu par les salariés.

Cela  risque de prendre du temps...

Pour atteindre cet objectif ambitieux, des années, si on y parvient ! Il ne faut pas sous estimer les difficultés. En France, le mouvement syndical s'est donné pour but, à ses origines, non seulement de défendre les salariés dans leurs luttes, mais aussi, sinon surtout, de transformer la société. Il ne s'est pas construit comme un syndicalisme de masse, encore moins comme un syndicalisme de service, à la différence de ce qui se passait dans beaucoup d'autres pays. Le mutualisme, par exemple, s'est développé en dehors de lui. On n'atteindra sans doute jamais les taux de syndicalisation de l'Allemagne ou du Royaume Uni mais on doit pouvoir enrayer la baisse ou même améliorer la situation.

De quelles armes les syndicats disposent-il aujourd'hui ?

Dans le secteur privé, par rapport au début des années 70, le nombre de jours perdus pour fait de grèves a été divisé par 20. Et sur la dernière décennie, si vous prenez de grands dossiers - par exemple, la réforme des retraites en 2003 et en 2010 -, le taux de grévistes a baissé, y compris dans le secteur public. Pour établir le rapport de force dont ils ont besoin pour se faire entendre, les syndicats s'inspirent de plus en plus des méthodes des partis politiques ou des associations, en utilisant les médias et en lançant des mots d'ordre destinés à organiser des manifestations dans la rue.

Non sans succès !

Cette stratégie leur a permis d'être bien perçus par l'opinion publique, d'apparaître comme une vraie force d'opposition. C'est à la fois légitime et nécessaire. Mais le syndicalisme a une deuxième fonction : élaborer des compromis via la négociation. Certes, des accords utiles et parfois importants sont conclus aux niveaux interprofessionnel, de branche ou d'entreprise, et cela a été le cas entre 2007 et 2010. Mais, à la différence de l'Allemagne, la France peine à élaborer des accords engageant toutes les parties pour les réformes fondamentales dont notre pays a besoin. Les autres acteurs sociaux, Etat et patronat, partagent d'ailleurs la responsabilité de cette situation.

Le gouvernement a tout de même réussi à réformer les retraites. Sur ce sujet, avez-vous le sentiment du devoir accompli ?

J'aurais préféré que la réforme passât par un accord en bonne et due forme. Le monde syndical nous a très vite fait comprendre qu'il y était opposé, y compris la CFDT, car elle ne voulait pas revivre l'épisode de 2003. Il fallait que le gouvernement soit perçu comme le seul responsable politique de la réforme. On a joué le dialogue, la concertation, l'écoute. Les syndicats ont formulé des propositions, mais en fin du compte, ils n'ont pas souhaité cautionner une réforme qui revenait sur la retraite à 60 ans. Et je peux les comprendre. Cela n'a pas empêché le gouvernement, après concertation, de modifier son projet initial sur des points importants comme par exemple la pénibilité. Mais il ne pouvait pas céder sur l'essentiel, c'est à dire le report de l'âge de départ à la retraite à 62 ans en 2018.

Au plus fort des manifestations, avez vous eu des doutes sur le succès de la réforme ?

Depuis le début de cette réforme, j'avais trois convictions. D'abord, que tout le monde avait compris la nécessité pour notre pays d'engager une vraie réforme des retraites. Ensuite, que personne ne voulait venir au secours du gouvernement pour l'aider. Ce qui peut s'expliquer ! Et pour finir, que la clé du succès était d'éviter les écueils de 1995, c'est-à-dire un embrasement du secteur public des transports. Cela a été possible grâce notamment à l'instauration du service minimum en 2007.

Donc vous avez joué la montre ?

Non, pas du tout. Le calendrier appliqué a été celui qui avait été prévu. Il n'a pas été modifié en cours de route. Il fallait un temps pour le constat du Conseil d'orientation des Retraites, un pour la concertation, un pour la consultation des organismes de Sécurité Sociale, un pour l'avis du Conseil d'Etat et naturellement un pour les débats et votes dans les deux assemblées parlementaires. Et, sur le plan social, s'il y a eu des manifestations de forte ampleur qui se sont progressivement réduites, les taux de grèves sont restés historiquement bas. En vérité, le gouvernement a porté la plus grande attention aux mécontentements qui se manifestaient. Il a été à leur écoute mais il n'y a jamais eu de pression telle sur lui qu'il se soit senti en état de risque majeur. Ajoutons que les syndicats savaient, même s'ils étaient en désaccord sur les choix proposés, que la réforme était nécessaire et que jamais le président de la République y renoncerait.

N'avez-vous pas eu peur de l'impact de l'affaire Woerth ?

Elle a, il est vrai, rendu plus difficile la communication sur la réforme.

La réforme de la dépendance vous semble-t-elle bien partie ?

La dépendance est un sujet grave pour les personnes et les familles concernées. Il faut améliorer la situation actuelle. Le Président et le gouvernement ont ouvert un large débat sur les mesures à prendre.

Mais cela coûtera plus d'argent ?

C'est là que les divergences vont apparaître. Il y a ceux qui militent pour créer une cinquième branche de la sécurité sociale. On imposerait de nouvelles cotisations obligatoires, qu'on affecterait à un régime dépendance. Il y a ceux qui proposent d'instaurer une assurance privée obligatoire, certains la préférant facultative. D'autres préconisent l'alignement de la CSG des retraités sur celle des salariés, c'est à dire une augmentation des impôts les concernant. Dernière possibilité : une récupération sur succession de tout ou partie des dépenses engagées par les collectivités publiques. Et bien sûr, il serait toujours possible de faire un mix de quelques unes de ces options.

C'est votre thèse ?

C'est sans doute la plus raisonnable.

Mais Nicolas Sarkozy a promis une loi avant 2012, le fera-t-il ?

Le président a dit que ce sujet devait être traité avant l'élection présidentielle. On peut imaginer une première étape avec un effort financier limité. Mais, avec les marges de man?uvre réduites de nos finances publiques, je vois mal comment on va pouvoir consacrer à la dépendance un effort financier de grande importance.

En matière d'emploi, on assiste au retour du traitement social du chômage, auquel la droite semblait opposée...

Le traitement social du chômage a été pratiqué par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, depuis plus de 30 ans. Le sujet de l'emploi renvoie à trois problématiques majeures dont aucune ne relève de ce traitement social. La croissance d'abord, indispensable. Lorsqu'on est autour de 2%, on stabilise le chômage. En dessous, c'est plus difficile. Le deuxième enjeu, c'est la formation des jeunes. On s'aperçoit que dans les pays, où l'Education nationale et l'entreprise travaillent la main dans la main, cela marche mieux. C'est vrai en Allemagne, c'est moins vrai en France. Il faut, bien sûr, développer les formations en alternance.

Le troisième sujet, sans doute le plus grave, c'est que, selon les enquêtes internationales (Pisa), le système scolaire est totalement incapable de former correctement 20% des jeunes français, avec des conséquences dramatiques pour leur entrée sur le marché du travail. Ces Français sont, pour une grande partie d'entre eux, des enfants d'immigrés de la deuxième génération. Dans leur cas, la situation est terrible : près de 40% d'entre eux ne trouvent aucun emploi au bout de trois ans, 30% au bout de 7 ans. Les politiques actives de l'emploi doivent avoir pour objectif prioritaire de traiter les personnes les plus éloignées du marché du travail. Quant aux méthodes comme celles du recours aux contrats aidés, elles ne sont pas inutiles dès lors qu'elles permettent aux chômeurs de trouver un job mais elles n'ont pas un caractère structurant.

La situation de l'emploi s'améliore-t-elle ?

En 2010, l'économie française aura créé près de 100.000 emplois. Ce qui n'est pas si mal pour une année d'après crise, même si cela reste insuffisant. En ce début d'année 2011, on voit une montée des heures supplémentaires, ainsi que le recours croissant à l'intérim et aux CDD. Les entreprises recommencent à embaucher, mais de manière prudente.

Jean-Claude Trichet a plaidé pour un gel des salaires, alors que les augmentations sont reparties à la hausse outre-Rhin. Ca vous semble habile ?

Jean-Claude Trichet est le président de la BCE qui, d'après le traité de Maastricht, a pour mission d'éviter les dérapages inflationnistes. Dans un passé récent, La France a connu des hausses de pouvoir d'achat bien plus fortes qu'en Allemagne, même si ce n'est plus le cas aujourd'hui. Mais les Français n'ont pas cette perception et beaucoup d'entre eux souhaiteraient une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Ce chantier, que le Président avait souhaité ouvrir, mériterait de l'être vraiment par les partenaires sociaux, et en particulier par le patronat.

Serait-il opportun de lâcher du lest ?

En 2010, les profits des entreprises du CAC 40 ont augmenté de 85 %. A l'inverse, beaucoup de PME peinent et ont du mal à dégager des bénéfices. Les premières sont pour l'essentiel des sociétés mondiales, les secondes produisent et vendent uniquement sur le marché français. Il n'est bien sûr pas possible d'avoir la même politique salariale partout. Celle-ci ne peut donc être que décentralisée au niveau des entreprises et dans certains cas à celui des branches. Je le répète : quand il y a négociation annuelle sur les salaires, il doit aussi y avoir examen des conditions du partage de la valeur ajoutée. Le SMIC est un outil de protection pour les salariés les plus défavorisés. Il ne peut pas être aujourd'hui un instrument aux mains de l'Etat pour orienter la politique générale des salaires.

Quelles sont les préoccupations des Français ?

Sur les sujets habituels, comme le pouvoir d'achat ou l'emploi, ils sont inquiets, et c'est normal dans cette période. Mais sur des sujets plus fondamentaux, ce que j'observe est plus inquiétant. Premièrement, il y a un rejet des élites, que ce soit les politiques ou les chefs d'entreprises... Deuxième observation, dans certaines entreprises, on assiste à une distanciation nouvelle entre le top management et le management intermédiaire et à une diminution de l' «affectio societatis». Enfin, nos concitoyens ont le sentiment que l'ascenseur social ne fonctionne plus aussi bien. Même si certains travaux montrent l'inverse. Près de 40 % de la génération des 20-30 ans sont aujourd'hui diplômés de l'enseignement supérieur, alors que 20% seulement de la génération des 45-55 ans sont dans ce cas. Beaucoup de jeunes ont l'impression que leurs diplômes ne donnent pas droit aux mêmes emplois que ceux auxquels la génération précédente avait accès.

La majorité réfléchit à une nouvelle fiscalité du patrimoine. Quelles pistes privilégiez-vous ?

Ce débat nous renvoie aux questions suivantes : faut-il taxer le patrimoine au moment de sa détention ou au moment de la succession ? Les actifs détenus ou les revenus qu'ils génèrent ? Ce n'est pas simple de trancher surtout si l'on veut que les solutions soient cohérentes avec celles mise en ?uvre par les autres pays. En matière de protection sociale, on peut aussi se demander s'il ne faudrait pas changer partiellement l'assiette des cotisations, pour favoriser l'emploi. Celle-ci doit-elle porter uniquement sur le travail ? Ou bien aussi sur la consommation, et donc sur les produits importés ? Les opposants à cette idée jugent que cette forme d'imposition desservirait les bas revenus. A l'inverse, on peut dire que si elle permet de rendre l'économie compétitive et plus créatrice d'emplois, au final les salariés s'y retrouveraient.

Le projet reste pourtant dans les cartons...

Faut-il entamer une telle réforme ? Faut-il alléger les cotisations des salariés en même temps que les charges des entreprises ? J'y serais, pour ma part, favorable. Pourquoi d'ailleurs, ne pas tester une première étape, puis évaluer ses résultats avant d'aller plus loin ? En France, en matière de réforme, on défend généralement tout ou rien. Les réformes progressives suscitent des rejets de la part de ceux qui y sont hostiles et ne sont même pas soutenues par ceux qui souhaiteraient des modifications plus ambitieuses. Il faut sortir de cette situation.

Donc vous êtes favorable à une petite TVA sociale ?

Laissons la sémantique de côté, et acceptons au moins d'ouvrir le débat.

A l'approche des élections présidentielles, allez-vous donner des conseils à Nicolas Sarkozy ?

Si le président me demande mon avis, je le lui donnerai bien volontiers. Mais, j'ai quitté la maison Elysée et on n'est pas à la fois dedans et dehors. 

Commentaires 17
à écrit le 09/03/2011 à 21:21
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Lors de la réforme de la retraite, Sarko a démontré qu'il n'avait pas besoinde discuter avec les syndicat6s malgré 71 % de gens opposés à son plan. Pourquoi son conseiller nous dit-il le contraire aujourd'hui ? Serait-on déjà en campagne pour les pré...

le 10/03/2011 à 16:27
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Bonjour Patrickb, La démocratie a ses limites! les 71% de gens opposés disposent ils des informations pertinentes pour avoir une opinion réaliste?

à écrit le 08/03/2011 à 16:37
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Dans un Etat démocratique , il ce doit d'y avoir un débat qui peut être contradictoire .Les syndicats en font partis ,mais leur fonctionnement actuel pose problème.Il doivent être apolitique ,vivre des cotisations ou de leurs propres activités tels l...

à écrit le 08/03/2011 à 9:45
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la France n'a besoin que d'un seul syndicat, mais il devra être apolitique et impartial, et surtout qu'il n'y ai pas besoin d'une carte pour être bien défendu!

à écrit le 08/03/2011 à 9:42
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sa suffit pas question ces des faiseur de grèves et la perte de marché pour les entreprises n'en déplaise au PS!!!!!!!!!!!!!!!!

le 08/03/2011 à 13:02
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et stop aux personnes qui ne savent pas écrire..:)

à écrit le 08/03/2011 à 2:08
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OUI aux syndicats, mais à plusieurs conditions : Ils doivent vivre des cotisations de leurs membres et non des subventions de l?état, collectivités et de la société dans laquelle ils sont implantés. Ils doivent être neutres, c'est-à-dire sans a...

le 08/03/2011 à 12:51
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Exemple: 80 000 fonctionnaires de l'Education nationale travaillent pour les syndicats et sont payés.........avec nos impôts!!! cf. rapport cour des comptes.

le 15/07/2011 à 6:51
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Tout à fait d'accord. Le syndicalisme idiot doit cesser en France, il est néfaste pour ceux qu'il prétend défendre et donc à la société ! La connivence avec la gauche est un vrai fléau et sape l'économie du pays.

à écrit le 07/03/2011 à 22:04
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Ses théories et projets nous ont conduits dans la situation que l'on connait

à écrit le 07/03/2011 à 20:42
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Tout-à-fait d'accord avec CASONNECREUX, mensonge et langue de bois. Ce que l'augmentation de la TVA sociale provoquerait c'est une baisse de la consommation (d'autant plus avec les prix très chers de l'alimentation), donc l'inverse de l'effet recher...

à écrit le 07/03/2011 à 16:42
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Quand le politique parle du social, il tient à distance les acteurs réels et avec compassion ; la médiocrité élevée au rang de la suffisance : c'est irresponsable

à écrit le 07/03/2011 à 15:33
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depuis que les syndicats existent , c'est 1 zizanie permanente et 1 atteinte aux libertés du travail, remplissez les usines et autres organismes au lieu de les vider avec vos grèves qui peinalisent les 4/5ème de la France

à écrit le 07/03/2011 à 11:11
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d'un côté ce conseiller met en garde les décideurs contre la défiance du peuple à leur égard et de l'autre côté il conforte le conservatisme actuel jusqu'à proposer la hausse de la TVA, c'est à dire l'impôt sur les classes moyennes et défavorisées. C...

à écrit le 07/03/2011 à 10:50
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c'est ce qu'on appelle la langue de bois, le discours conventionnel, l'absence de remise en cause réelle; certes on ne peut faire abstraction de l'environnement international, mais le pouvoir doit il ouvrir les yeux seulement lorsque les crises éclat...

le 07/03/2011 à 16:36
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Pour moi, tout est dans le symbole! la CGT (communiste) encaisse avec l'aide d'EDF, le 1% prélevé sur chaque facture d'électricité (y compris sur celle des plus pauvres). ces 530 millions sont engrangés par la CGT sans, en contre partie, fournir aucu...

le 07/03/2011 à 20:57
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mon pauvre vieux si tu savais ce qu'on toucher les financiers et les cadres dirigeants, à ce niveau là il n'existe aucune différence entre nous, les russes et les amerlocs. Tout ça va se terminer dans le sang, y a des chances et ou dans le fascisme. ...

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