"Faire de la politique, c'est toujours prendre le risque d'échouer"

Wolfgang Schäuble, actuel ministre des Finances et ancien ministre de l'Intérieur d'Helmut Kohl, raconte à La Tribune comment il a vécu la chute du Mur et la réunification allemande.

Comment aconterez-vous la chute du Mur à vos petits-enfants ?

Je leur expliquerai d'abord ce que signifiait la séparation des deux Allemagnes. Nous ne pouvions vraiment pas, à l'époque, nous imaginer comment, un jour, nous mettrions fin à cette partition. De façon pacifique bien sûr, car nous ne voulions pas à nouveau risquer une guerre. Pour la plupart des gens, voir subitement les Allemands détruire eux-mêmes ce Mur, cela avait quelque chose de miraculeux. Je leur dirai qu'à la fois l'Union soviétique de l'époque, avec tous ses missiles, ses bombes atomiques, et toute l'Europe contre laquelle nous étions entrés en guerre - guerre que nous avons perdue - nous approuvaient. Et qu'à la fin tout le monde s'en était félicité.

Dans le livre que vous avez écrit sur la réunification, vous avez utilisé le terme de "révolution nachevée". Pourquoi ?

Parce que, justement, ce fut une révolution sans violence. Ce système socialiste, cette dictature exercée par un parti unique ont été éliminés sans qu'une goutte de sang ne coule. Au fond, les dirigeants de la RDA ont capitulé sans y être véritablement contraints. On a ensuite accepté qu'ils puissent se présenter de façon démocratique aux élections. Cela a généré beaucoup de problèmes et de conflits, car de nombreuses personnes avaient été auparavant opprimées, persécutées voire emprisonnées par ce système.

Peut-on appeler cela une révolution ?

La révolution allemande est une révolution à part. Elle ne s'est pas déroulé comme la Révolution Française en 1789 qui reste dans la mémoire des Français associée entre autres à la prise de la Bastille. Pour nous, le changement s'est passé de façon paisible, sans aucune effusion de sang. En cela, ce fut une révolution miraculeuse.

Le 9 novembre dans la soirée, vous avez envoyé un message à la télévision pour dire que si bien sûr les Allemands de l'Est étaient toujours les bienvenus à l'Ouest, il fallait qu'ils comprennent que les centres d'accueil étaient au bord de la saturation. Craigniez-vous alors un raz de marée humain?

Non pas du tout, mais l'accueil de ce flot d'hommes et femmes devait être organisé. Cela posait d'énormes difficultés. On devait les loger provisoirement dans des gymnases. Un peu comme cela se fait aux Etats Unis pendant les catastrophes naturelles. En quelques semaines nous avons réglé ce problème. Et à peu près tout le monde était content et solidaire.

Etes-vous, 20 ans après, satisfait de l'intégration économique des nouveaux Länder ?

On a beaucoup progressé. Bien sûr, ceux qui vivaient dans cette partie de l'Allemagne qui était autrefois la RDA, ont dû plus que les autres s'acclimater aux changements. Aujourd'hui encore, des différences persistent en terme de compétitivité, de niveau de prix et sur le marché de l'emploi. Mais elles sont bien moindres qu'avant.

Le fossé reste encore très important...

Dans tous les autres pays qui faisaient partie de bloc soviétique, l'ex-URSS, la Pologne, la Tchecoslovaquie, le PIB par habitant a baissé après la fin de la guerre froide qu'avant. Et il est resté plus bas des années durant. Passer d'une économie totalement administrée et fermée aux échanges à une économie de marché globalisée impose aux citoyens d'immenses efforts d'adaptation. Un seul pays a vu le revenu moyen de ses habitants croître dès le début : l'ex-RDA.

Ils devraient donc être satisfaits de leur sort ?

Et ils ne le sont pourtant pas. Cette question doit être posée différemment. S'ils comparent leur situation avec celles des Tchèques, des Polonais ou des Hongrois, ils constatent tous que l'Allemagne a bien mieux réussi. Cela relativise les difficultés qui persistent encore aujourd'hui.

Le taux de chomage y est deux fois supérieurs qu'à l'Ouest.

Le taux de chômage est aussi très différent d'un Land à l'autre dans toute l'Allemagne. Il y a l'Ouest, des régions où il est plus élevé que dans certains des nouveaux Länders. Ce pays est aujourd'hui durement touché par la crise économique. On ne peut plus parler uniquement des différences Est-Ouest. Il y a aussi des écarts entre le Nord et le Sud du pays. Nous ne voulons pas non plus que tout soit uniforme en Allemagne.

Jusqu'en 1994, selon la loi fondamentale (ndr : la constitution allemande)l'Allemagne devait offrir les mêmes conditions de vie d'un bout à l'autre du pays. Depuis cette date, il n'est plus question que de conditions de vie comparables. Ce qui ne signifie pas que tout doit être pareil partout. La loi fondamentale a voulu que des différences existent, sinon nous ne serions pas un Etat fédéral mais un Etat unitaire.

N'a-t-on alors pas donné de faux espoirs aux Allemands de l'Est ?

Avec la réunification , l'union économique, monétaire et sociale que nous avons entrepris, nous avons voulu permettre aux habitants de l'ex-RDA de profiter immédiatement de toutes les garanties offertes par l'économie sociale de marché et par notre système de protection sociale. C'est ce qui a permis d'éviter que le revenu moyen par habitant plonge. Cela a couté très cher. Mais cette dépense était juste et nécessaire.

Le premier volet du "pacte de solidarité" pour la reconstruction a couté 94,5 Milliards d'euros. Le second volet qui court jusqu'en 2019, 156,5 milliards d'euros. Est-ce le bon moyen pour permettre aux nouveaux Länders de voler de leurs propres ailes?

Oui, c'est un choix politique qui a été ratifié conjointement par l'Etat fédéral et tous les Länders. C'est la preuve que la solidarité dans la République fédérale allemande réunifiée fonctionne. Nous sommes sur la bonne voie. Ce pacte va s'appliquer jusqu'en 2019.

Ces milliards d'euros ont surtout été consacrés à la construction d'autoroutes. L'emploi n'a pas été la priorité.

Il fallait moderniser des infrastructures qui étaient resté quasiment à leur niveau d'avant-guerre pour permettre à l'Allemagne de l'Est de se battre à armes égales dans la compétition économique.

Que tant de jeunes ne se voient toujours pas d'avenir dans les nouveaux Länder et partent vers l'ouest, cela ne vous inquiète pas ?

C'est insignifiant comparé aux changements démographiques que connaît l'Allemagne. Par ailleurs, beaucoup de jeunes gens viennent aussi de l'Ouest pour faire leurs études dans les nouveaux Länders. Les Allemands qui ont moins de 30 ans ne font plus la différence entre ceux qui viennent de l'Est et ceux qui viennent de l'Ouest. Pour eux, la question ne se pose même pas.

Tous les partis de gouvernement sont-ils encore attachés à l'économie sociale du marché, clé de voute de l'Allemagne fédérale ?

Oui.

Même Die Linke (ndr: le parti né de la fusion de la gauche du SPD et de l'ancien parti communiste est-allemand, la SED) ?

Die Linke n'a jamais été un adepte de l'économie sociale de marché. Je trouve qu'on ne devrait pas donner de responsabilités politiques à Die Linke et en tout cas pas lui permettre d'accéder à des responsabilités gouvernementales. Mais je dois bien sûr respecter la volonté des électeurs. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons en aucun cas l'intention de les intégrer dans la coalition gouvernementale. Ce ne serait pas non plus bon pour l'Allemagne.

A Berlin, le mur refait son apparition à chaque élection. A l'Est, Die Linke prédomine largement. A l'ouest, SPD, Verts et CDU se partagent l'essentiel des suffrages. Comment l'expliquez-vous ?

Cela fait partie de ce que j'appelle la révolution inachevée. Certaines personnes affirment que si, en 1949, on avait laissé des membres du parti national-socialiste se présenter aux élections - Dieu merci, personne n'a eu cette idée - ils auraient certainement obtenu un nombre considérable de voix. La façon dont s'est déroulée la révolution dans l'ex-RDA a permis à ceux contre lesquels elle a été engagée de ne pas avoir à répondre de leurs responsabilités passées. Ils ont eu de la chance. Cela a également été le cas dans d'autres pays. La Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, bien des pays de l'ancien bloc soviétique ont eu, depuis lors, des gouvernements post-communistes.Le caractère pacifique de cette révolution y est pour quelque chose. Et bien sûr, les gens préfèrent aujourd'hui se demander qui va apporter les meilleures solutions pour l'avenir plutôt que de se pencher sur le passé.

Vous venez d'être nommé ministre des Finances. Au 30 juin 2009, la dette publique allemande atteignait 1602 milliard d'euros. Quelle est votre marge de man?uvre ?

Nous l'avons défini dans nos accords de coalition (ndr, entre la CSU-CDU et le FDP). La situation est exceptionnellement tendue. Mais bien plus qu'à l'unité allemande, nous devons cette situation à la crise financière mondiale. Voilà pourquoi nous allons pour l'instant nous focaliser sur la sortie de crise. Après, viendra le temps où nous devrons à nouveau tout faire pour réduire cet endettement trop important. Ca ne sera pas facile, il faudra se donner du mal.

Cette mission vous réjouit-elle ?

On m'a fait confiance et je m'en réjouis. Cette fonction est pour moi un défi extraordinaire. C'est une charge lourde. Je n'ai jamais envié Monsieur Steinbrück (ndr, son prédecesseur) et désormais, je ne m'envie même pas moi-même.

Ne craignez-vous pas d'échouer ?

Ecoutez ce que vous dit l'homme relativement âgé que je suis : faire de la politique, c'est toujours prendre le risque d'échouer. Cela fait partie de la vie. Si par peur de l'échec, vous ne faites rien, à quoi utiliserez-vous vos talents? Tout cela figurait déjà dans la parapole biblique des talents. On sait ce qu'il advint du serviteur infidèle qui dans cette parabole n'osa pas utiliser ses talents par peur d'échouer. Ceux qui connaissent un peu la Bible comprennent bien ce que je veux dire.

Quand vous étiez ministre de l'Intérieur, vous aviez la réputation d'être strict. Le ministre des Finances sera-t-il plus doux ?

Mais je suis un homme doux. Ma devise c'est "fortiter in re, suaviter in modo" ce qui signifie clair dans ce qu'il convient de faire, mais aussi aimable que possible dans la manière de le faire.

La Réunification n'a-t-elle pas modifié quelque chose dans les relations franco-allemandes ?

La France a toujours soutenu l'idée que l'Allemagne puisse réunir son peuple dans une même communauté afin que nous allions tous ensemble vers une Europe Commune. Cela les Allemands ne l'oublient pas. De même que les Français ont toujours été favorables à ce qu'on trouve une solution pour mettre fin la partition de l'Allemagne. Bien entendu, au tout début, partout en Europe, on s'est demandé ce qui allait se passer. L'Allemagne, devenue plus grande, allait-elle changer de rôle ? Nous, les Allemands, avons fait très attention à ne pas dire : "Nous sommes plus importants que les autres", mais au contraire : "Nous sommes attachés à l'amitié et à la coopération".

La coopération franco-allemande a connu beaucoup de couacs ces dernières années ...

Ce que je sais c'est que le président Sarkozy et la chancelière Merkel sont déterminés á poursuivre leurs efforts pour que l'amitié et le travail commun entre la France et l'Allemagne continue à favoriser le développement conjoint de nos deux pays comme celui de l'Europe. Que la France organise (ce lundi, ndr) une grande fête à Paris pour commémorer la chute du Mur ne peut qu'émouvoir tous ceux qui en Allemagne ont un tant soit peu le sens l'histoire. Cela va au-delà du simple symbole. C'est l'expression d'une véritable amitié sur laquelle nous pouvons compter.

20 ans après la chute du Mur, la CDU et le FDP se retrouvent au gouvernement. Vous avez été ministre sous Helmut Kohl et maintenant sous Angela Merkel. Est-ce différent?

D'abord on n'est pas ministre sous un chancelier. On a un chancelier et on lui est loyal. La démocratie ne repose pas sur la hiérachie et la subordination, mais sur des responsabilités de nature diverses. Ensuite, le monde n'est plus le même qu'il y a 20 ans. Tout a changé. Y compris dans la façon de gouverner.

C'est-à-dire ?

Beaucoup plus de choses se décident au niveau international et en Europe. Cette interdépendance est plus forte que par le passé. La globalisation

nous touche beaucoup plus que nous ne l'imaginions il y a 20 ans. La vie offre désormais davantage de possibilités. surtout pour les jeunes génerations. Il y a aussi des défis nouveaux à relever. Les jeunes gens devraient savoir qu'ils n'ont aucune raison d'être nostalgiques. Jamais la vie ne leur avait offert autant de possibilités.

La chancelière Merkel a grandi en RDA. Elle y a vécu jusqu'à la chute du Mur. Cela se ressent-il dans sa façon d'être ?

Je crois qu'elle n'apprécie pas les mêmes petits plats que moi qui, comme tout Bade-Württembergeois qui se respecte, raffole des Maultaschen (ndr, sorte de gros raviolis farcis à la viande servi dans un bouillon) des Schaüfele (spécialité badoise à base de porc) , les lentilles et les Spätzle (nouilles fraîches préparées avec des oeufs).

 

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