Imposer la propriété, est-ce du vol ?

Par Alain Trannoy Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
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La dégradation très importante des comptes publics rend nécessaire l'analyse des impôts pesant sur le patrimoine et plus particulièrement le patrimoine immobilier des ménages en vue de proposer une taxation modernisée et adaptée à ces exigences. Trois raisons motivent ce choix. En premier lieu, le patrimoine net des Français (l'actif moins les dettes) est constitué pour deux tiers d'actifs immobiliers. Ensuite, l'immobilier peut être moins facilement dissimulé à l'administration fiscale que les actifs financiers. Enfin, les taux de taxation sur l'immobilier constituent une borne supérieure des taux de taxe pesant sur les autres types d'actifs.

Au total, les propriétaires dans leur ensemble acquittent, bon an mal an, quelque 40 milliards d'euros, soit 80 % de l'impôt sur le revenu, dont moins de 10 % au titre de l'ISF. Le prélèvement étant acquitté au titre de quatre impôts (l'ISF, les taxes foncières et les droits de mutation à titre onéreux ou gratuit), il peut sembler mieux accepté que s'il passait par un seul truchement fiscal. Les collectivités locales sont destinataires de 70 % de cette manne, ce qui la rend également moins visible.

 

Que pèse cette somme de 40 milliards ? Si l'on met bout à bout l'impôt sur le patrimoine et l'impôt sur le revenu du patrimoine, on aboutit à un taux de taxation moyen de 30 % de taxation du loyer brut. Dès lors, la rémunération du patrimoine immobilier ne peut guère dépasser 2,8 %, desquels il faut déduire les réparations et charges d'entretien. Le revenu du travail est taxé, à peu près, à hauteur de 45 % lorsque l'on cumule l'impôt sur le revenu, la CSG et les cotisations sociales. La comparaison classique entre l'impôt sur le travail et l'impôt sur le capital, pour la partie « actif immobilier », ne se révèle pas réellement défavorable à l'immobilier, loin de là.

Si le niveau du prélèvement sur le patrimoine immobilier n'est pas franchement choquant, il apparaît nécessaire de procéder à une refonte de l'ensemble de nos impôts fonciers et immobiliers pour aller vers une « property tax » à la française afin de remédier aux défauts des instruments existants. À titre d'exemple, les bases des contributions foncières sont complètement obsolètes, car assises sur des valeurs cadastrales qui n'ont pas été revalorisées depuis 1970 et n'ont qu'un lointain rapport avec les valeurs vénales.

 

Notre proposition consiste à fusionner l'actuelle contribution foncière des propriétés bâties, l'ISF et les droits de mutation à titre onéreux, pour créer un impôt sur la propriété immobilière et foncière progressif assis sur la valeur vénale, afin de financer les collectivités locales. La totalité des propriétaires, en France, paierait cet impôt à due concurrence de la valeur de leurs biens dans les différentes communes. L'intégration de l'ISF dans l'impôt local sur la propriété immobilière serait naturelle à condition qu'il soit également progressif. L'idée repose sur un impôt à deux tranches, avec une surtaxe pour les biens dont la valeur dépasserait un certain seuil qui alimenterait en priorité les départements supportant des charges de solidarité particulièrement lourdes, les dépenses au titre du RMI et de l'APA. Cela ferait vraiment sens que les propriétaires les plus riches s'acquittent d'un supplément d'impôt pour financer de telles dépenses au titre de la « solidarité » ! Cette réforme présente cependant un inconvénient apparent : 50 % du montant de l'ISF concernent des contribuables implantés en Île-de-France, et les départements pauvres de province bénéficieraient relativement peu de cette surtaxe des propriétaires riches. La seule bonne réponse consiste à réactiver le fonds de péréquation entre collectivités locales et à intégrer la base d'imposition pour cette surtaxe dans les paramètres de calcul. L'efficacité commande enfin de supprimer le bouclier fiscal dans un tel système. Comme tout impôt sur le capital, l'intérêt d'un impôt immobilier, à part le fait de remplir les caisses de la collectivité, est de favoriser la rotation du capital.

Il est inutile de souligner la difficulté, non pas technique mais politique, de conduire une telle réforme, celle-ci comme toutes les autres.

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