Quels impôts pour quelle croissance ?

Par Christian Valenduc Professeur à l'université de Louvain-la-Neuve et de Mons
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Les questions simples n'ont pas nécessairement des réponses simples et ceci vaut, notamment, pour celle qui est posée en titre de cet article. Commençons par une évidence : il n'existe pas de politique fiscale qui soit dirigée contre la croissance. Il en est cependant qui ont des effets négatifs sur la croissance et s'il en est ainsi, c'est parce que les décideurs ont dû arbitrer entre des objectifs contradictoires, par exemple entre croissance et redistribution.

En fait, la réponse à la question est loin d'être simple. Elle est même pleine de réponses trop simples qui ont souvent des allures de « fausses évidences », ou « d'évidences » à tout le moins discutables. Au premier rang de celles-ci se trouve la relation entre le niveau global des prélèvements et la croissance. La fausse évidence est celle d'une relation inverse et bien établie entre ces deux variables : trop d'impôt tue la croissance. Pourquoi est-elle fausse ? Il y a d'abord un problème dans le sens de la causalité. Les impôts financent des dépenses publiques qui peuvent générer de la croissance et la croissance génère une demande supplémentaire pour des dépenses publiques, par exemple dans le domaine de l'éducation, de la santé, de la protection de l'environnement. En fait, la plupart des économistes, qui ont investigué la question de manière sérieuse, ont bien dû conclure que la relation entre le niveau global des prélèvements et celle du taux de croissance, si elle existe, est très fragile.

Un autre aspect de la question concerne la relation entre la structure des prélèvements et le taux de croissance d'une économie. Le débat est actuellement dominé par une récente étude de l'OCDE qui classe les impôts sur base de leur caractère pro-croissance : les impôts sur la propriété immobilière sont alors les premiers, suivis des impôts sur la consommation, puis des impôts sur le revenu des particuliers, l'imposition des bénéfices des sociétés étant le type de prélèvement le plus néfaste du point de vue de la croissance. Toute modification de la structure des prélèvements du bas de ce classement vers le haut serait donc favorable à la croissance. Tel serait le cas, par exemple, d'une baisse de l'impôt des sociétés ou encore de l'impôt sur le revenu, financée par une hausse de la taxation de la consommation. En clair : vive la TVA sociale, ou la TVA antidélocalisation, pour reprendre la dernière découverte sémantique française ! Les recommandations de l'OCDE rejoignent un argument classique de la théorie économique : en optant pour une taxation de la consommation plutôt que du revenu, on détaxe l'épargne, ce qui l'encourage et permet que l'investissement soit financé à moindre coût. Ce raisonnement suppose que le niveau de l'épargne dépende de l'effet de la taxation sur le rendement de l'épargne, ce qui est loin d'être vérifié en pratique. De plus, aujourd'hui, les investisseurs se financent sur le marché de l'euro et l'effet négatif que pourrait avoir la taxation de l'épargne dans un pays de cette zone est donc forcément réduit... Bref, voici encore une évidence qui est moins évidente qu'elle n'en a l'air. Ainsi en est-il aussi de la thèse selon laquelle la progressivité de l'impôt a des effets négatifs sur la croissance. D'autres économistes ont prouvé que l'inégalité pouvait avoir un effet négatif sur la croissance et la progressivité de l'impôt réduit l'inégalité.

 

Quoi qu'il en soit, ces thèses et recommandations sont devenues le nouveau catéchisme de quelques institutions internationales, OCDE et Commission européenne en tête. Mais au fait, de quelle croissance parle-t-on ? De celle du PIB bien sûr !... Au pays des évidences, cela ne se discute pas. Et qu'en serait-il de ces recommandations si le concept de croissance était modifié ? Que deviendrait la thèse « La progressivité de l'impôt nuit à la croissance », si on mesurait celle-ci par la croissance du revenu médian plutôt que par celle du PIB par tête, ou si on substituait à cette dernière un concept de croissance inclusive ? Et quelles seraient les recommandations de politique fiscale si le concept de croissance était celui d'une croissance durable ? Dans la question : « Quels impôts pour quelle croissance ? » la définition du second terme a toute son importance...

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