Le Brésil veut défendre son industrie menacée par le real fort

Les performances économiques du géant sud-américain reposent davantage sur l'exportation de matières premières que sur des produits manufacturés, pénalisant son industrie.
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Acheter une voiture "100% importée" a longtemps été un privilège au Brésil, réservé à une élite fière de ses véhicules de luxe. Mais la donne vient de changer. Aujourd'hui, la coqueluche des classes populaires s'appelle J3, un modèle bien équipé et à bas prix du fabricant chinois JAC. Quatre mois après son lancement, début 2011, la compagnie revendiquait déjà 1% du marché brésilien. Et elle n'est pas la seule. Entre janvier et août, le nombre de voitures étrangères a augmenté de 45%, et le montant total des licences d'importation pour 2011 atteint 19,3 milliards de dollars. "Le chiffre nous a fait peur", déclare le ministre du Développement, Fernando Pimentel. "Si on ne fait rien, tous les fabricants du monde écouleront leurs stocks ici", poursuit-il. Le gouvernement vient de réagir en annonçant la hausse de 30 points de l'imposition sur les véhicules dont la production n'est pas à 65 % effectuée sur le territoire national ou dans le Mercosur - la zone économique du cône sud-américain - et ce jusqu'à la fin de 2012.

Ce n'est ni pour créer de l'emploi ni pour augmenter les capitaux que la présidente Dilma Rousseff a pris cette décision. Le Brésil est une des rares puissances en croissance cette année, le chômage a atteint son plus-bas historique (6%), les investissements directs affluent - près de 40 milliards de dollars sur les sept premiers mois - et le solde commercial est excédentaire. Ces chiffres camouflent toutefois une réalité préoccupante. En 2005, 55% des exportations venaient de l'industrie, contre 39% en 2010. Les produits phares sont aujourd'hui le minerai de fer, le pétrole brut, le soja, le sucre et le café. Selon l'Institut Acier Brésil, qui réunit les entreprises sidérurgiques, le poids de l'industrie dans l'économie est tombé de 19,2% en 2004 à 15,8% l'année dernière. Le spectre de la désindustrialisation hante le Brésil.

C'est avec la Chine que la tendance est la plus marquée. Devenue en 2009 le premier partenaire commercial du pays, en absorbant 15,2% de ses exportations, contre 2% en 2000, elle reste déficitaire. Mais 88% des ventes brésiliennes à la Chine sont composées de matières premières, alors que 96% des importations chinoises sont industrielles, selon la Fédération des entreprises de São Paulo (Fiesp), principale entité patronale.

Plan "Brésil plus grand"

Les économistes montrent du doigt la survalorisation du real. La monnaie a plus que doublé de valeur face au dollar depuis 2003. Elle est dopée par la croissance, les investissements, mais surtout les taux d'intérêt réels, qui restent les plus élevés du monde. Pour compenser ce que le ministre de l'Economie, Guido Mantega, a qualifié de "guerre des monnaies", le gouvernement vient, outre la surtaxe des voitures importées, de lancer le plan "Brésil plus grand", pour protéger les secteurs les plus fragiles comme le textile et le mobilier avec des avantages fiscaux, et une aide à l'innovation.

Parallèlement, le gouvernement tente de s'attaquer au "coût Brésil" : la pauvreté des infrastructures qui limite les exportations. Les 30.000 kilomètres de chemin de fer sont sous-utilisés, les routes sont dans un état déplorable - à peine 10% sont pavées - provoquant un surcoût en termes de vieillissement des véhicules et d'accidents. Et lorsque les camions parviennent aux ports, encore trop concentrés dans le sud du pays, l'attente provoque de grosses pertes de marchandises périssables. L'inauguration de nouveaux terminaux portuaires dans le nord - plus proches de deux à trois jours de bateau de l'Europe et des États-Unis - devrait diminuer en partie la pression.

Baisse des taux d'intérêt à 12%

Dilma Rousseff a également décidé de faire baisser le real. Le mois dernier, la banque centrale, qui n'est pas formellement indépendante au Brésil, a annoncé une baisse du taux d'intérêt, ramené à 12%. Cette décision a pris par surprise le marché, provoquant des pertes pour les spéculateurs, qui pariaient sur un durcissement de la politique monétaire. Le message semble être passé : le dollar est en hausse continue face au real depuis dix jours (1,77 real pour 1 dollar lundi). Reste toutefois au gouvernement à faire face au problème de l'inflation, qui flirte avec 6,5% et devrait croître l'année prochaine du fait d'une forte augmentation du salaire minimum. Pour Dilma Rousseff, une croissance élevée est un impératif. Son intransigeance face à la corruption, qui a fait tomber trois ministres depuis le début de l'année, a fragilisé sa base politique. Mais elle sait que tant que l'économie continuera de caracoler, sa popularité sera indéboulonnable.

Commentaires 3
à écrit le 21/05/2012 à 22:13
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Excellent article, lapidaire et limpide. C'est rare, sur le Brésil.

à écrit le 20/09/2011 à 15:51
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Les socialiste délirants brésiliens vont encore préférer les multinationales qui les arrosent et les ont financés -déjà sur place- aux nouveaux émergents qui voudraient profiter de l'aubaine. Efficace.

le 20/09/2011 à 19:06
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Si "les nouveaux emergents" signifie "la Chine", merci, mais on n' a vu le desastre de la désindustrialisation en Europe et aux US: plus personne ne sait que faire pour combler des déficits générés par des cotisations inexistantes puisque les gens n'...

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