La locomotive germanique est puissante mais présente d'inquiétantes faiblesses

Faible taux de chômage, industrie compétitive et budget maîtrisé, l'économie allemande se porte très bien. Mais ce tableau flatteur cache des problèmes structurels qu'il lui faut résoudre pour pouvoir conserver son avance.
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Les chiffres font rêver. Avec un taux de chômage au plus bas depuis la réunification, à 5,4 % de la population active, une croissance de 0,7 % au deuxième trimestre, ou encore un excédent de la balance courante de 7 % du PIB, tous les signaux sont au vert pour l'Allemagne de Merkel. Le pays a su protéger son industrie quand ses voisins européens l'ont vu fondre comme neige au soleil.

Le « made in Germany » fait plus que jamais recette, et la myriade de PME allemandes, à la base de la puissance exportatrice du pays, continuent de vendre machines-outils et biens d'équipement aux quatre coins du monde. L'État a quant à lui réussi à dégager un excédent budgétaire de 0,2 % du PIB l'année dernière et reste l'un des derniers pays européens à conserver son précieux triple A. Mais si l'Allemagne surfe sur une vague d'euphorie, attention à la lame de fond. Déficit d'investissement, population vieillissante ou encore faiblesse des salaires, Berlin est confronté à d'importants défis, quand la Chine commence à marcher sur ses plates-bandes.

Un déficit d'investissement et d'infrastructures

L'Allemagne épargne beaucoup, mais n'investit pas assez. C'est sa « plus grande faiblesse », alerte Marcel Fratzscher, dirigeant de l'Institut allemand pour la recherche économique (DIW) à Berlin. « En comparaison avec la production économique, ces vingt dernières années, l'investissement a chuté », écrit le chercheur. L'institut berlinois évoque un taux d'investissement tout juste supérieur à 17 % du PIB, contre 20 % en 1999.

Alors que l'État a mis le pied sur la pédale de frein des investissements, les investisseurs regardaient plutôt du côté des actifs étrangers, quand les entreprises, que la crise de la dette a rendues frileuses, réduisaient leurs dépenses. Au deuxième trimestre, les investissements en biens d'équipement étaient ainsi inférieurs de 14 % à leur niveau de 2007, selon Gregor Eder, économiste chez Allianz. « Si l'Allemagne veut continuer sur la voie de la croissance, elle doit investir », souligne-t-il.

L'innovation en pâtit-elle ? Pas pour le moment, répondent les experts, alors que l'Allemagne reste très bien classée en la matière. « Les entreprises ont préféré réduire leurs achats de machines plutôt que leurs dépenses en R&D, beaucoup plus sensibles », confirme Michael Grömling, de l'Institut IW à Cologne.

L'état des infrastructures du pays, victimes d'un sous-financement chronique, pose également problème. Ponts en mauvais état, routes truffées de nids-de-poule, voies ferrées vétustes... autant de bombes à retardement qui menacent de paralyser le trafic comme les expéditions des entreprises.

« Les investissements dans les infrastructures, après avoir connu un boom à la réunification au début des années 1990, reculent de façon continue depuis vingt ans », raconte Stefan Schneider, de l'Institut allemand d'urbanisme (Difu).

Notamment en cause : les communes allemandes, en proie à des problèmes financiers et incapables de prendre en charge l'entretien de ces infrastructures, dont elles sont en grande partie responsables. Une étude de l'institut évalue le besoin d'investissement total des communes du pays (des écoles jusqu'aux infrastructures de transport) à 128 milliards d'euros.

Un marché du travail vieillissant et une démographie déclinante

Avec un faible taux de fécondité (1,4 enfant par femme), l'Allemagne perd des habitants depuis 2003. Selon les projections de l'institut de statistique allemand Destatis, le pays comptera entre 65 et 70 millions d'habitants en 2060, contre 80,5 millions aujourd'hui. D'où le recul du nombre d'actifs. Si 50 millions d'Allemands sont actuellement en âge de travailler, ils ne seront plus que 36millions en 2060, selon Destatis. À plus court terme, il manquera dès 2025 jusqu'à 6 millions de personnes en âge de travailler outre-Rhin, estime le ministère allemand du Travail.

Outre la question du financement des pensions, entreprises et économistes s'inquiètent d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée et de la faiblesse de la demande intérieure quand les bataillons actuels d'actifs seront à la retraite. L'âge légal de départ à la retraite a été relevé à 67 ans, et le Conseil des Cinq Sages, les économistes qui conseillent le gouvernement, a d'ores et déjà proposé de le repousser à 69 ans.

Parmi les autres pistes envisagées : encourager le travail des femmes, améliorer la formation des jeunes, ou renforcer le recours à la main-d'œuvre étrangère. Une étude de l'OCDE pointait en février l'ouverture insuffisante des entreprises allemandes au recrutement étranger. Berlin met pourtant les bouchées doubles. Après avoir assoupli sa législation pour attirer la main-d'œuvre qualifiée étrangère, le gouvernement lançait l'année dernière une plate-forme Internet en langue anglaise baptisée « Make it in Germany » et destinée à séduire de potentielles recrues hors de ses frontières.

Des salaires compétitifs au prix d'une demande intérieure comprimée

La précarisation du marché de l'emploi, avec le phénomène croissant des travailleurs pauvres, constitue la face cachée de la prospérité allemande. La libéralisation du marché du travail menée il y a dix ans par Gerhard Schröder est souvent mise en avant pour expliquer l'impressionnant recul du chômage, alors que l'Allemagne compte un nombre d'actifs record (41,6 millions en 2012). Mais près de 7 millions d'entre eux occupent des « mini-jobs », ces petits boulots non soumis à cotisations dont la rémunération mensuelle est limitée à 450euros. Le nombre des travailleurs intérimaires a quant à lui presque triplé au cours de la dernière décennie. Et environ un quart des salariés allemands touchent un bas salaire (moins de 9,54 euros brut de l'heure), dans un pays où le smic n'existe pas.

Même si elles ont commencé à grimper en 2012, les rémunérations ont longtemps plafonné. Consentie par les syndicats, leur longue stagnation a permis à l'industrie allemande de gagner en compétitivité mais a également dangereusement comprimé la demande intérieure, au détriment notamment du secteur des services. La demande intérieure a progressé de 7 % depuis 2000, quand le PIB du pays gagnait 14 % sur la même période, indique Karl Brenke, de l'institut DIW.

« L'Allemagne vit en dessous de ses moyens. En France, les salaires ont grimpé trop vite, en Allemagne pas assez », explique le chercheur qui a comparé les évolutions des industries française et allemande. « L'Allemagne peut vite perdre sa position. Elle doit doper sa demande intérieure », prévient-il.

Une forte dépendance aux matières premières et à l'énergie

Pas d'industrie sans matières premières. Or, l'Allemagne, qui doit presque tout importer, se retrouve très dépendante des fluctuations de prix du marché mondial. Outre le virage énergétique lié à l'abandon du nucléaire qu'il lui reste à négocier, Berlin veut assurer à ses usines un approvisionnement régulier et de qualité en cuivre, molybdène, chrome, niobium, ou encore terres rares, ces matériaux indispensables à la fabrication de produits de haute technologie.

L'Allemagne regarde donc d'un œil inquiet la Chine mener la danse sur le marché mondial des matières premières. L'empire du Milieu a déjà la mainmise sur les terres rares (95 % de la production mondiale) et consomme par exemple 40 % de la production mondiale de cuivre. Et Pékin, qui commence à exporter des produits de haute technologie comme les panneaux solaires, a déjà conclu de nombreux accords avec l'Afrique du Sud, l'Australie et autres pays d'Amérique du Sud aux riches sous-sols.

Selon un sondage réalisé auprès des entreprises, la question des matières premières est leur souci numéro un, un thème dominant », rappelle Michael Grömling, de l'institut IW. Si Berlin a déjà passé des accords avec la Mongolie ou le Kazakhstan, l'industrie se mobilise : 12 groupes, parmi lesquels des constructeurs automobiles (BMW, Daimler), l'industrie lourde (ThyssenKrupp) ou encore des géants de la chimie (BASF, Bayer), ont fondé en 2012 l'« Alliance matières premières ». Le groupe, soutenu par le gouvernement et coordonné par la fédération allemande de l'industrie (BDI), a pour objectif de mettre en œuvre des projets d'exploration ou de production des matériaux dont les entreprises ont besoin.

Commentaires 9
à écrit le 25/09/2013 à 16:19
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Si la France avait la moitié des bons résultats constatés aujourd'hui en Allemagne, l'on peut imaginer les articles triomphalistes et sans réserve de la presse française... :-) Bien sûr l'Allemagne est confrontée à des défis, dont celui du vieillis...

le 28/09/2013 à 16:14
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Pas tous les chefs d'entreprises, exemple : Schweitzer qui a "lancé" Dacia et sa Loogan, trop seul !

à écrit le 21/09/2013 à 19:50
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Article ridicule qui démontre bien la tendance des journalistes à tout voir en noir et à plomber les économies par leurs pseudos-prévisions en permanence pessimistes... Jamais compris pourquoi, mais je suppose que d'annoncer des choses positives ne f...

à écrit le 21/09/2013 à 12:11
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Il y a des metaphores ferroviaire a ne pas utiliser quand on parle de l'allemagne .

à écrit le 20/09/2013 à 21:43
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La France est mal placee pour commenter ou jalouser l'Allemagne. Le "Deutschland über alles" est aujourd'hui comme hier d'actualite. L'Allemagne a toujours ete la plus forte dans tous les domaines surtout devant la France. Avant et apres la 1 ou 2 ...

le 21/09/2013 à 9:58
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Un pays qui vieillit à vitesse grand V et dont les générations ne se renouvellent plus ... Hé hé hé

le 27/09/2013 à 12:45
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Ils ont quand même été battus en 1918 et en 1945...

le 28/09/2013 à 16:15
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ça leur évite comme en Suisse de payer des chômeurs venus de l'étranger !

à écrit le 20/09/2013 à 18:18
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Un peu à contre-courant du tableau idyllique que l'on nous sert habituellement.

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