L'Allemagne aussi cherche son nouveau modèle

Les recettes qui ont permis le formidable succès de l'industrie allemande sont-elles encore adaptées aux défis qui attendent la première puissance européenne dans les années 2020 ?
Philippe Mabille

La cause est entendue, dit-on. L'Allemagne, par ses performances économiques, aurait démontré la pertinence et la supériorité de son « modèle ». Plein emploi, excédents jumeaux (budgétaire et commercial), puissance industrielle symbolisée par la domination de sa filière automobile et le nombre de ses entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices... les résultats sont indéniables et remarquables. Un modèle fondé sur deux « recettes » très allemandes, difficilement réplicables de ce côté du Rhin : un dialogue social dynamique nourri par des syndicats puissants et la « flexi-sécurité » de son marché du travail, issue des réformes Hartz décidées par le social-démocrate libéral Gerhard Schröder qui ont préservé sa compétitivité et la puissance de son industrie.

Dimanche 22 septembre, Angela Merkel est donc devenue, sans surprise, et de quelle manière triomphale, le premier et le seul dirigeant européen à sortir vivant de la crise de 2008. Une bonne partie de sa popularité résulte de l'habileté avec laquelle la chancelière a su capitaliser sur les réformes de son prédécesseur, tout en en corrigeant un peu. Mais « Angela » par son bon sens et son pragmatisme politique, a aussi su à merveille capter les attentes de l'opinion, pour la rassurer malgré les concessions qu'elle a dû faire à la « culture de stabilité » pour colmater les brèches de la zone euro.

Même si des incertitudes demeurent sur la nature de la coalition que va former désormais Angela Merkel pour quatre ans à la Chancellerie, cette date est décisive pour tous les Européens. Elle pourrait libérer enfin le Vieux Continent d'une trop longue période de gel des grandes décisions politiques et institutionnelles qui freinent la résolution de la crise de la zone euro. On peut donc espérer que Angela Merkel réélue et renforcée par la confiance de son peuple saura faire preuve du même pragmatisme que celui qui lui a déjà permis, à plusieurs reprises, de convaincre une opinion frileuse et inquiète que le pari européen demeure le bon choix de long terme pour les Allemands.

On peut l'espérer, mais ce n'est pas garanti. Le score le plus regardé, le 22 septembre, au-delà du rapport de force entre les principaux partis, est celui du parti anti-euro, qui frôle de près l'entrée au Parlement, avec 4,7% des voix, plus qu'escompté dans les sondages. Pour l'instant, les eurosceptiques n'ont pas su transformer en succès électoral les réticences de l'Allemand de la rue devant l'utilisation du carnet de chèque pour sauver les pays du Sud. Mais ils ont gagné une capacité de nuisance qui risque de peser sur les marges de manoeuvre politiques d'Angela Merkel, tiraillée entre les ultra-conservateurs de la CSU et les eurosceptiques.

C'est que, à bien y regarder, l'Allemagne, qui fait tant rêver les élites politiques françaises, montre aussi par son vote de dimanche un pays frileux, qui doute de son avenir européen et s'interroge sur la pérennité de son modèle de croissance. Certes, l'Allemagne, homme malade de l'Europe au début des années 2000, a su faire à temps les efforts nécessaires pour renforcer sa compétitivité et s'adapter aux exigences de la mondialisation. En creusant un peu, on voit toutefois que cette doxa ordo-libérale, qui s'est imposée à l'Europe, présente des effets pervers, y compris en Allemagne : 7 millions de « mini-jobs », un taux de pauvreté de 16 % (trois points de plus que la France), et une demande intérieure comprimée par des salaires restés, en termes réels, au niveau de ceux de l'an 2000.

En réalité, le succès Allemand repose aussi sur des éléments qui n'ont rien à voir avec les réformes Hartz : un effet démographique (moins d'enfants, donc moins de dépenses publiques ; moins de tensions sur le marché du travail), la modération du prix des logements (stables sur dix ans là où ils ont été multipliés par 2,5 en France), qui a permis de maintenir des salaires bas. Un effet Réunification aussi, qui a agrandi la taille du marché intérieur, ainsi qu'une gestion habile de l'ouverture de l'Europe aux anciens pays de l'Est à bas salaires. L'Allemagne a su protéger le « made in Germany » en délocalisant moins que la France et en protégeant l'emploi, y compris pendant les heures sombres de la Grande Récession de 2008-2009.

Notre chance, pour rééquilibrer la politique européenne, c'est que cette même Allemagne, si implacable avec les pays sous programme d'aide, veut désormais tirer les fruits des efforts énormes consentis pour faire du pays l'un des gagnants de la compétition mondiale. Mais ne rêvons pas à un grand soir de la relance allemande. Au faîte de sa puissance, l'Allemagne a bien conscience qu'elle doit désormais résoudre ses propres faiblesses : la démographie est devenue une obsession outre-Rhin, au point que Angela Merkel copierait bien notre politique familiale pourtant très coûteuse ! Dans un article publié par le New York Times, l'économiste américain Paul Krugman prédit même que la France, grâce au baby-boom des années 1990-2000 est bien positionnée pour devenir l'économie star des années 2030-2050. Un danger que l'Allemagne industrieuse tente de corriger en accentuant le recours à l'immigration pour résoudre son manque de main d'œuvre. L'Allemagne des années 2010-2020 a aussi une énorme soif d'énergie. Or, la brutalité de la transition vers les énergies renouvelables (arrêt de la dernière centrale nucléaire en principe en 2022) pousse les prix de l'électricité à la hausse, ce qui pèse sur la compétitivité et commence à affoler les industriels outre-Rhin. Même avec un part du nucléaire ramenée à 50% en 2025, comme l'envisage François Hollande, la France apparaît sur ce terrain aussi mieux placée que son puissant voisin.

Alors qu'elle célébrera l'an prochain les 25 ans de la chute du Mur de Berlin, c'est une nouvelle ère qui s'ouvre pour l'Allemagne. Le modèle qui a fait sa réussite depuis dix ans est-il encore pertinent pour préparer les années 2020 et au-delà ? Ce n'est si sûr. L'Allemagne a, comme la France, des choix cruciaux à faire pour maintenir sa compétitivité et sa capacité d'innovation, à l'heure où son principal client, la Chine, change aussi de régime de croissance. L'Allemagne sait que ce qui lui a formidablement réussi, la forte spécialisation de l'industrie et la qualité du made in Germany, ne sera pas forcément adapté à l'heure de la mondialisation 2.0. Si la Chine ralentit, ou fabrique elle-même les machines-outil que lui a vendu l'Allemagne pour développer l'usine du monde, le géant européen devra trouver d'autres sources de croissance pour assurer sa prospérité. Et une question, absente de la campagne électorale, demeure posée : que lui apporte encore l'Europe, à l'heure où les trois quarts de son excédent commercial viennent désormais de l'extérieur de la zone euro (c'était strictement l'inverse il y a dix ans...) ? Des réponses qu'elle apportera à ces défis dépend notre destin commun. Ce sera le défi des années Merkel III.

Philippe Mabille

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Commentaires 46
à écrit le 23/09/2013 à 10:16
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http://petiteschosesgrandtout.eu/lavenir-de-lallemagne-ne-sera-pas-forcement-rose/

à écrit le 21/09/2013 à 10:20
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ils cherchent? ne cherchez plus camarades Allemands on en a un! on va vous le donner ,gratuit, cadeau, que même si vous le prenez on peut même vous donner un peu de fric, avec le premier ministre qui va avec (comme chez l'opticien un acheté un gratui...

à écrit le 20/09/2013 à 23:43
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Les Français sont pour Madame Merkel !!! Ah bon ils ont envie que leur enfant ou petit-enfant soit payé à 400 euros par mois, sans sécurité social, ni retraite... La France peut se redresser si les chefs d'entreprise arrête de se regarder le nombril...

à écrit le 20/09/2013 à 18:26
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L' Allemagne est un pays sans imagination ! Les Allemands ont inventé le "Nazisme" et les Français "les droits de l homme"

à écrit le 20/09/2013 à 16:23
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Bien d'accord avec Philippe Mabille sur ce point. Si la France fait l'effort actuellement, notre voisin roule sur son erre. Il doit réformer ses banques et plus généralement tout son système de crédit qui est en retard et sur cette question Merkel n'...

le 20/09/2013 à 16:48
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Incroyable un franchouillard qui les deux pieds et la tete dans la merde se permet encore de donner des leçons au seul pays européen qui réussit. Incroyable arrogance française bien illustrée par Corso. L'Allemagne a fait les réformes qu'il fallait f...

le 20/09/2013 à 17:13
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il y en a qui prennent leurs désirs pour des réalités

le 20/09/2013 à 18:00
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Encore corso et ses théories farfelues.

le 20/09/2013 à 18:25
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Et tout particulièrement sur l'euro, omis par Mabille, alors que c'est très certainement l'élément déterminant qui explique ce leadership allemand actuel alors que le pays se traînait il y a encore moins de dix ans, malgré ses valeurs intrinsèques. U...

le 20/09/2013 à 21:29
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Les 2 problèmes véritables en France c'est le racisme général et le nombre de fonctionnaires.

le 20/09/2013 à 22:36
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Mais oui Madame Irma et que vous dit d'autre votre boule de cristal ? Ca rassure les français de penser que dans 20 ou 25 ans l'Allemagne ne se portera pas bien, en attendant la France meurt et ça c'est du réel.

le 25/09/2013 à 16:55
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allemandes et ce que dit Corso sur les produits polonais estampillés "made in Germany" pour les vendre à l'export, hors CE, est parfaitement exact. Tous mes fournisseurs le font. Certains m'ont même proposé de faire les estampiller "made in France" s...

à écrit le 20/09/2013 à 15:13
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Cette construction mentale de la" recherche d'un modèle", n'existe pas en Allemagne. Personne n'en recherche un, cela ne se dit pas. La recherche de solution à un ou des problèmes existe bien, il existe également un processus d'une modélisation d'une...

le 20/09/2013 à 16:08
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Vous avez raison, le "modèle allemand" n'existe pas. C'est plutôt une attitude qui consiste à gérer, gérer les choses et les faire évoluer en fonction de la situation. En France, on légifère, on se lamente de la tournure que prennent les choses, on v...

à écrit le 20/09/2013 à 14:42
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Je suis très curieux de connaître leur modèle alternatif...

à écrit le 20/09/2013 à 13:58
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Les minijobs ,tant décriés par les gaucho bob franchouillard ou par les gens gavés d'une info médiatique proche du pouvoir, sont bien mieux que les RMISTES français qui n'ont aucun avenir. La première chose est que cela concerne très peu de monde et ...

le 20/09/2013 à 16:18
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Tout à fait d'accord. Oui l'Allemagne est confronté à des difficultés réelles, mais elle les affronte au lieu de se lamenter sur son propre sort en accusant les autres d'en être responsable comme le fait la France. Et en plus ce sont les mêmes qui cr...

le 20/09/2013 à 17:34
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@Pierre. Et dans le futur, vu le déclin démographique de l'allemagne (endémique de surcoît), qui va payer les charges de la dette allemande ? Les vieillards ? Par ailleurs, la locomotive allemande a déjà joué ses atouts en tirant moult profits des pa...

à écrit le 20/09/2013 à 13:29
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"la France, grâce au baby-boom des années 1990-2000 est bien positionnée pour devenir l'économie star des années 2030-2050" Sans blaque ? Si la natalite faisait la puissance d un pays, le niger serait une puissance majeure et l allemage ou le japon d...

le 20/09/2013 à 13:38
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En tous cas, un peuple de vieillards est condamné. Regardez la mort lente du Japon ...

le 20/09/2013 à 14:13
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La vivacité de la natalité française s'explique (pas totalement) mais en grande partie par l'immigration, notamment des français d'origine Africaine et Maghrébine. N'importe quel pays peut faire la même chose. Après il faut savoir si on est capable d...

le 20/09/2013 à 14:32
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Oui sauf que l'Allemagne a un fort taux d'immigration et aussi d'immigration choisie. En attendant ce pays est le plus prospère d'Europe et entre les suppositions de chacun et les faits il y a un monde. Les allemands ont eu le courage de faire les bo...

le 20/09/2013 à 14:45
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Citez vos sources !!! Votre opinion ne fait pas la réalité !

le 20/09/2013 à 16:16
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Comme nous serons d'ici 2020 dans la situation de la Grèce en 2010, pas de souci, de nombreux Français iront vivre en Allemagne. Problème démographique en partie résolu.

à écrit le 20/09/2013 à 12:15
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Des syndicats puissants qui si ils ne se positionnent pas sur la ligne du patronnat, doivent se taire et accepter les mesures du patronnat car la greve est interdite en Allemagne. Pour le dialogue social on repassera. L'article met en lumiere, et pou...

le 20/09/2013 à 13:03
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C'est en train de changer : L'Allemagne est obligée d'augmenter les salaires de sa population. Comme les clients de l'Allemagne vont plutôt mal, il y a un moment où le mercantilisme a ses limites et où il faut redonner du pouvoir d'achat aux actifs ...

le 20/09/2013 à 13:06
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Encore un idéologue de la gauche qui ne connait rien de ce qu'il prétend savoir. Dommage.

le 20/09/2013 à 13:39
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Encore un rentier communiste (pour encaisser les APL et toucher sa retraite indexée) qui fait semblant de ne pas comprendre ...

à écrit le 20/09/2013 à 12:06
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Encore un Français qui ne comprend rien en Minijobs ni en définition de "pauvreté" mesuré en relation avec les salaires dans un pays. Les coûts de vie beaucoup moins inférieurs en Allemagne - qui en parle? Centrale nucléaire déjà toutes en arrêt et l...

le 20/09/2013 à 13:48
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Ce qui dérange pas mal de commentateurs dont beaucoup de conservateurs-sociaux (PS et grande partie de l'UMP.. je ne parle même pas du FN), c'est que l'Allemagne évolue et s'adapte. Elle le fera sans doute encore dans les années à venir car le monde ...

le 20/09/2013 à 21:43
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Ce n'est pas stupéfiant. La France n'avait pas beaucoup changé non plus entre Henri IV et 1789, idem entre le second empire et 1945...Par contre quand elle est en vrai danger elle a des traits de génie mais sous la Vème république (du moins depuis196...

à écrit le 20/09/2013 à 11:10
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Allemagne, par ici la misère ! http://www.rts.ch/emissions/temps-present/international/5166460-allemagne-par-ici-la-misere.html

le 20/09/2013 à 11:28
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par ici la bonne propagande!! rappelez nous le nombre de rmistes, on a la memoire courte...on commencera par ca, apres on epluchera le reste...

le 20/09/2013 à 12:07
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Les taux de pauvreté sont comparables ; arrêtez la votre de propagande ...

le 20/09/2013 à 12:18
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@Propagande: Rmistes: Un peu plus de 2 millions pour un cout total de 9 milliards euros....Quand l'evasion fiscale represente a elle seule 60 milliards de trou dans les caisses de l'etat, pour un nbs d'evades fiscaux largement moindre que le nbs de r...

le 20/09/2013 à 13:52
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Dans les 9 milliards, vous comptez la CMU ?

le 20/09/2013 à 13:58
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"...par ici la misère", vous croyez qu'un Smicard à Paris est riche? rien que de payer le loyer, il ne lui reste plus rien, même pas pour aller boire un "rouge" au comptoir du bistro au coin!

le 20/09/2013 à 17:20
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L'ai-je prétendu ? Non. Mais si c'est le titre qui vous dérange (et le sujet), je peux vous en donner un autre: Allemagne, le vieillard de l'Europe ! [http://www.lapresse.ca/international/europe/201309/19/01-4691029-lallemagne-le-vieillard-de-leurope...

à écrit le 20/09/2013 à 10:57
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"" des syndicats puissants"" <-- vous vouliez dire " des syndicats puissants dont l'objectif n'est pas de couler les entreprises dans un cadre de lutte des classes dans la justice pour tous" ?

le 20/09/2013 à 11:19
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Réforme du travail outre-Rhin : Elle met en garde la France ! [http://french.ruvr.ru/2013_05_13/Reforme-du-travail-outre-Rhin-Elle-met-en-garde-la-France/]--Onze ans après l'introduction de la réforme allemande Hartz IV ? : [http://www.wsws.org/fr/ar...

le 20/09/2013 à 13:12
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au lieu de passer votre temps a faire des commentaires livresques dans des postures epistemologiques pour le moins discutables, vous devriez vivre en allemagne qques temps...

le 20/09/2013 à 15:30
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En Allemagne et ailleurs...s'est déjà fait '' Churchill ''. Puis-je vous suggérer de vous rappelez un extrait du discours de votre homonyme, au congrès de La Haye, le 07 mai 1948 ? '' ...L'Europe ne pourra s'unir que par le désir sincère des peuples ...

à écrit le 20/09/2013 à 10:50
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très bon article.

à écrit le 20/09/2013 à 10:38
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L'Allemagne s'est servi de l'Europe comme marchepied. C'est très bien joué ! L'Europe n'est maintenant plus que son paillasson...

à écrit le 20/09/2013 à 10:30
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Tres bon article. La bonne nouvelle c'est que la france regarde a l'exterieure au debut elle est subjuguee puis elle reprend son esprit et utilize ces elemnts de comparaison pour evaluer ses forces et faiblesses. Bien sur l'allemagne doit se reinvent...

le 20/09/2013 à 13:33
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C'est sans doute vrai l'Allemagne doit se réinventer. Elle l'a fait début 2000 et doit le refaire à nouveau. Le souci, c'est que la critique est facile mais que depuis les années 80, la France, elle, n'a rien fait laissant passer un maximum d'opportu...

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