La Banque nationale suisse bientôt prisonnière de chaînes d'or ?

Dimanche, les Suisses décideront s'ils veulent que la BNS soit obligée de détenir au moins 20 % de son actif en or, sans pouvoir jamais vendre cet or. Une initiative populaire qui inquiète.
La Suisse va-t-elle passer à une nouvelle forme d'étalon-or ?

Dans les couloirs de la Banque nationale suisse (BNS), la banque centrale helvétique, la tension monte. Car ce dimanche 30 novembre est un dimanche de votation dans la Confédération, et une de ces votations pourrait venir perturber l'ensemble de la stratégie que la BNS met en place depuis des années pour tenter de contrer l'appétit des investisseurs pour le franc suisse. Les Helvètes seront en effet appelés à se prononcer sur une initiative populaire baptisée « sauvez l'or de la Suisse. »

Le contenu de l'initiative

De quoi s'agit-il ? L'initiative se fonde sur trois grands principes : l'interdiction pour la BNS de vendre ses réserves d'or, l'obligation de stocker ces réserves sur le territoire confédéral et l'obligation pour la BNS de disposer en permanence de 20 % de son actif en or. Cette dernière disposition, notamment, donne des sueurs froides à la BNS. Au point que Thomas Jordan, le président de la banque centrale lui-même, a brisé sa neutralité en mettant en garde les citoyens helvétiques contre le « caractère dangereux » de cette initiative.

 Le « franc fort »

 Pour comprendre l'équation difficile dans laquelle cette votation place la BNS, il faut comprendre les bases de sa politique actuelle. La BNS s'est engagée depuis plusieurs années dans une politique d'expansion de son bilan afin de contenir la pression sur le franc. Le « swissie » comme le désigne affectueusement les traders en devises est en effet un refuge traditionnel pour les investisseurs en cas de tension géopolitique et de crise. Voici sept ans, à l'automne 2007, il fallait jusqu'à 1,68 franc pour obtenir un euro. Mais la crise financière, puis celle de l'euro ont provoqué un afflux de capitaux vers les coffres suisses et, alors que, à l'été 2011, la zone euro semblait au bord de l'éclatement, le franc s'échangeait non loin de la parité avec la monnaie unique, son record est de 1,02 franc pour un euro.

 Le seuil de 1,20 franc par euro

 Ce niveau avait été jugé trop élevé non seulement par les patrons suisses, mais aussi par la BNS. Car le « franc fort » ne menaçait pas seulement la compétitivité externe du pays, il conduisait tout droit le pays à une spirale déflationniste. Il fallait donc agir et c'est ainsi que la BNS a déclaré qu'elle ne tolèrerait plus un franc plus cher que 80 centimes d'euros. Mais sur le marché des devises, une telle proclamation ne vaut que si elle est suivie d'effets. La BNS a donc défendu becs et ongles son seuil, principalement en achetant massivement des devises. Et, naturellement, le bilan a explosé. Au 31 mars 2007, le total de bilan de la BNS s'élevait à 109 milliards de francs. Au 30 juin 2011, il était déjà à 262,5 milliards de francs. Mais au 30 septembre dernier, il s'élevait à 522 milliards de francs. Au sein de ce bilan, la part des devises détenues est passée de 41 % de l'actif au 31 mars 2007 à 74,8 % au 30 juin 2011 à 90,2 % au 30 septembre 2014. Parallèlement, la part de l'or dans le bilan de la BNS est passée, en sept ans, de 28 % à 7,4 %. Autrement dit, l'or est devenu un instrument de moins en moins pertinent pour la gestion de la politique monétaire suisse durant la crise.

 Ce que changerait un « oui » immédiatement pour la BNS

 Que changerait alors l'adoption de l'initiative « Sauvez l'or suisse » ? Certes, la banque centrale disposerait d'un certain temps pour satisfaire l'obligation de disposer de 20 % de son bilan en or. Lorsque le peuple et les cantons adoptent en effet une initiative qui n'est pas recommandée par le parlement (comme c'est le cas ici), ce dernier prend son temps pour voter la loi fédérale qui traduit législativement l'initiative. Mais ce serait néanmoins un casse-tête pour la BNS.

 Mise à l'épreuve par les marchés

 D'abord, parce que les marchés mettront immédiatement à l'épreuve le seuil de la BNS par des achats massifs de francs. Or, la banque centrale devra alors avoir en tête sa future obligation dans sa réponse à ce test. Elle devra donc en passer par des achats d'or pour tenter de sauver son seuil, ce qui rend la réponse moins directe et plus malaisée qu'une simple intervention sur le marché des devises par des achats massifs d'euros ou de dollars. D'autant que la première ligne de défense du franc suisse est sur l'euro et que le marché de l'or se fait surtout en dollars.

 Réduire le bilan ?

 Ensuite, la BNS devra décider de la méthode pour satisfaire à sa nouvelle obligation. Elle dispose, pour cela de deux moyens, qui sont d'ailleurs associables : l'achat d'or ou la vente de devises pour faire dégonfler le bilan. Cette dernière option semble impensable aujourd'hui. Le franc suisse est en effet sous une forte pression haussière des marchés. Les actions d'assouplissement de la BCE et les rumeurs de rachats massifs de dettes de la zone euro incite les investisseurs à jouer l'euro à la baisse et, mécaniquement, le franc remonte. Certes, la BNS veille, mais la devise helvétique frôle le seuil de 1,20 franc pour un euro (mercredi soir, il a terminé à 1,20227... Si la BNS décidait de vendre des devises, elle devrait abandonner son seuil et, partant, le franc se dirigerait rapidement vers la parité avec l'euro. L'inflation suisse, actuellement proche de zéro, n'y résisterait pas et tomberait en territoire négatif, tandis que les exportations du pays, concurrencées par leurs rivales de la zone euro dopée par l'euro faible, ne manqueraient pas d'accuser le coup. Pour la BNS, un tel scénario est impensable.

 Acheter de l'or, mais comment ?

Il faudra donc acheter de l'or. Dans ce cas, la banque centrale peut émettre des francs pour réaliser ces achats via le dollar ou les faire directement en dollars (ce qui réduit son bilan sans nuire à la parité du franc). Le montant à acheter est considérable : 43 milliards de francs, ou 35 milliards d'euros, l'équivalent de 7 % du PIB helvétique. Mais l'opération est faisable, d'autant qu'un « oui » pourrait faire monter le prix de l'or et, partant, réduire la quantité à acheter en survalorisant les réserves existantes. Du reste, en maniant intelligemment ces trois paramètres : utilisation des dollars du bilan, émission de franc et hausse de l'or, l'objectif est moins délicat qu'il n'y paraît de prime abord et il ne semble pas devoir mettre en danger la politique de la BNS.

 Des interventions plus complexes

Mais en réalité, ce qui inquiète vraiment la BNS, c'est l'avenir. L'initiative va, d'abord, singulièrement compliquer la gestion de la politique monétaire suisse dans la durée. D'abord, on l'a vu, dans son action sur le marché. En cas de baisse de l'euro, vraisemblable si la BCE persiste dans sa volonté d'assouplir encore sa position, la BNS ne pourra plus intervenir rapidement et sur le seul marché des devises. Plus question de se contenter de vendre du franc sur le marché. A chaque franc vendu, elle devra acheter 20 centimes d'or. Ceci va donc compliquer son action.

 Variation de la valeur de l'or

Mais il y a pire : l'or détenu dans le bilan n'a pas une valeur fixe. Nous ne sommes plus au temps de l'étalon-or et le métal jaune est un actif comme un autre, côté sur le marché. Il peut donc perdre de la valeur. La BNS le sait bien puisqu'elle a, en 2013, essuyé des pertes en raison de la dévaluation de son stock d'or. Du coup, la limite minimale de 20 % de l'actif peut évoluer en fonction des prix relatifs des actifs détenus. Mais désormais en cas de « oui » à l'initiative, la BNS devrait compenser cette baisse pour rester dans les clous de la future loi. Et ceci ne sera pas sans impacts sur la politique monétaire.

 Un bilan peu flexible à l'avenir

Surtout, si la BNS engage un processus de réduction de son bilan, elle risque de se retrouver face à un mur. Il lui sera en effet interdit de vendre son or. Le stock existant ne pourra donc baisser que si le prix de l'or baisse. Et comme elle aura dû augmenter son stock d'or à mesure qu'elle augmente son bilan, la capacité à réduire le bilan sera rendu difficile. Par exemple, si la BNS veut ramener son bilan au niveau de 2007 (environ 100 milliards d'euros), après avoir satisfait son obligation en 2014, elle devra conserver ses 85 milliards de francs d'or. Ses autres instruments seront alors limités à une quinzaine de milliards de francs. Pas évident, dans ces conditions, de gérer au mieux la liquidité et la politique monétaire.

Quelles chances pour l'initiative ?

On comprend donc l'opposition de Thomas Jordan. Mais qu'en est-il des vraies chances de cette initiative ? Les sondages la donnent perdante à coup sûr. Il faut cependant se méfier : l'or fascine en Suisse comme ailleurs et les précédentes votations, sur les minarets ou l'immigration, ont montré que les sondages ne sont guère fiables compte tenu des faibles participations. Rappelons cependant qu'une double condition est nécessaire : non seulement l'initiative doit emporter 50 % des voix, mais elle doit aussi avoir été majoritaire dans une majorité des 26 cantons.

Commentaires 14
à écrit le 29/11/2014 à 18:52
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les suisses ont decidement une culture démocratique unique au monde . immigration, or, ils ne s interdisent aucun sujet . ce serait impensabnle chez nous, ou les "elites" pleines de mepris pour le peuple confisquent le pouvoir tel que l avait voulu ...

à écrit le 29/11/2014 à 18:27
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Bravo la Suisse. poser ce genre de question au peuple, c'est pas chez nous que ça arriverait.

à écrit le 29/11/2014 à 8:55
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La Banque nationale suisse bientôt libérée de la planche à billet ? La Banque nationale suisse bientôt libérée des hommes politiques mauvais gestionnaires ?

à écrit le 29/11/2014 à 8:05
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Article très intéressant et bien détaillé. En tant que français travaillant et vivant en Suisse, je constate que cette gestion de la BNS a un impact considérable sur l'activité du pays. 90% du bilan en devise, ils ne tiendront pas longtemps (que l'in...

le 29/11/2014 à 11:53
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Voila du court-termisme typique. Pourtant un peu de memoire permet de se souvenir de ce qui s'est passé quand le cours du CHF est passé de 1.40 a 1.20 € : baisse sauvage et non negociée de salaire sous pretexte de ce nouveau change. Si le cours passe...

le 30/11/2014 à 3:52
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totalement d'accord avec Steph, évoquer ici "le tourisme d'achat" de quelques dizaines de frontaliers français face aux enjeux, me laisse perplexe sur la formation économique du rédacteur...

à écrit le 29/11/2014 à 1:32
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En bon gestionnaire, Nicolas Sarkozy en 2004 a vendu plus de 500 tonnes d'or de la banque de France au taux de 400 $ l'once (aujourd'hui à 1180 $ l'once) . Il était alors Ministre des finances de Raffarin. Bravo l'artiste !

le 29/11/2014 à 11:16
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pour compléter, c'est 589 tonnes d'or transformés en portefeuille de devises , donc en papier. Un sacré alchimiste, cet avocat...d'affaire !

le 29/11/2014 à 17:09
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DSK l'économiste distingué n'a pas non plus eu la main heureuse avec son entreprise de "spéculation" qui a périclité. Ce ne sont pas des "sciences exactes".... Malheureusement.

à écrit le 28/11/2014 à 18:47
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Quelle classe ce pays ! lire "Une initiative populaire qui inquiète" ça fait bon au coeur, le peuple qu décide waooo ça existe encore !! Pour les donneurs de leçons qu'ils se rassurent les banques Françaises sont dans tout dans tout les paradis fisca...

à écrit le 28/11/2014 à 17:08
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Tous les pays essayent de récupérer leur or, surtout s'il est à la Fed ....qui n'a plus que le ....papier....d'emballage.

le 28/11/2014 à 21:46
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Tout est dit...

à écrit le 28/11/2014 à 17:01
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La Suisse a les moyens de posséder autant d'or ! Nous, on le vend pour payer les fins de mois....

le 29/11/2014 à 14:18
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Non, sauf sous Sarkozy pour faire joujou, la BdF ne vend pas son or car il permet la stabilité de la nation, on ne paye jamais nos dettes avec l'or.

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