Dans la jungle de l'analyse financière...

"Achat fort", "surperformance", "conserver"... Si les recommandations des analystes sont on ne peut plus explicites, les méthodes qui leur permettent de formuler une opinion sont bien souvent nettement moins accessibles. L'investisseur lambda peut même parfois s'interroger sur leur pertinence et sur leur pérennité, si l'on se souvient, par exemple, que de nombreux professionnels étaient restés à l'achat au plus fort de la bulle...A cette époque, il y a eu des aberrations, reconnaît-on dans certains bureaux (sans toutefois en endosser la responsabilité). "Pendant la bulle, des analystes en sont arrivés à valoriser des entreprises sur leur clientèle", déplore le directeur d'une équipe de recherche. "Evaluer une société par son chiffre d'affaires était aussi une logique de bulle", ajoute-t-il. Bref, la crise des marchés a bien (du moins en partie) modifié la façon d'appréhender les valorisations des entreprises. "La profession est revenue à des concepts plus basiques qu'elle n'aurait jamais dû abandonner", admet Jean-Marc Loiseau chez Dexia Securities, ajoutant que "ce sont les résultats futurs qui font la valeur d'une entreprise.".La composante croissance (consacrée par le PEG, un ratio abandonné qui a autrefois permis de justifier les valorisations les plus extrêmes) n'est donc plus la seule préoccupation. C'est désormais le couple croissance et rentabilité qui prime dans les méthodes de valorisation. "On descend plus bas dans le compte de résultats", confirme Patrick Legland, directeur de la recherche actions de la Société Générale. Une tendance qui a renforcé le rôle des valorisations par le résultat net (avec l'indémodable PER) au détriment de valorisations par l'Ebitda (un solde proche de l'excédent brut d'exploitation). Hormis quelques retouches, il n'y a donc pas eu de véritable révolution : plutôt que de changer radicalement d'outils, les professionnels sont surtout revenus à des niveaux de valorisation plus modestes (voir graphique des PER sur le CAC 40). Mais la recherche s'est tout de même adaptée à un contexte nouveau. Ainsi, les obligations des entreprises en termes de contribution aux fonds de pension sont plus surveillées. De la même façon, suite aux divers scandales qui ont agité les marchés, certains analystes retraitent les engagements hors bilan. Enfin, l'endettement étant revenu au centre des préoccupations, les méthodes d'évaluation tendent à lui donner de l'importance. "Comparer la valeur d'entreprise [capitalisation boursière + dettes] à un solde du compte de résultat permet par exemple de prendre en compte la notion dette", note Guillaume Angue, directeur de la recherche chez CIC Securities. Une préoccupation que l'on retrouve aussi à la Société Générale. "Plus qu'à la valeur de l'endettement, on s'attache surtout au financement de la dette, à sa couverture", explique Patrick Legland. Aussi la notion de cash-flow (c'est-à-dire les ressources dégagées par l'activité) est-elle revenue au premier plan ces derniers mois chez les analystes et intègre-t-elle nombre de modèles de valorisations. C'est le cas à la Société Générale où les cash-flows actualisés, la somme des parties et éventuellement un agrégat propre à un secteur servent de base pour déterminer les valorisations théoriques. Reste que si nombre de bureaux mixent plusieurs méthodes, les équipes de Patrick Legland préfèrent souvent ne retenir, pour un secteur donné, que la méthode la plus pertinente parmi celles dont elles disposent. Parallèlement, elles définissent deux valorisations : en haut de cycle et en bas de cycle.Il est toutefois important de noter qu'aucune méthode ne fait l'unanimité - ce qui peut expliquer que des bureaux affichent des avis radicalement opposés sur les mêmes valeurs. Par exemple, si certains privilégient la valorisation par l'actif net réévalué, d'autres estiment que celui-ci donne un point de vue trop statique. L'actualisation de résultats ou de cash-flow a donc elle aussi ses limites. "Le problème avec l'approche consistant à actualiser des résultats, c'est qu'elle est très sensible aux hypothèses économiques retenues ainsi qu'au taux d'actualisation utilisé", fait remarquer Guillaume Angue.Dans ces conditions, plusieurs équipes tendent à adopter un raisonnement inversé. "Un de nos axes de travail est de calculer le taux de croissance implicite donné par un cours et de le comparer avec les perspectives", explique Jean-Marc Loiseau. Une façon d'appréhender les valorisations qui est également en place chez CIC Securities. "On part du résultat d'exploitation actuel, on le considère comme rente perpétuelle et on l'actualise pour obtenir une valeur à croissance zéro", commente Guillaume Angue, ajoutant : "on peut ainsi trouver des valeurs comme Peugeot qui sont moins chères que leur valeur à croissance zéro". Dans le cas contraire, cela revient à dire que le cours de Bourse valorise la croissance future de la société. Il suffit donc de calculer quelle hypothèse de croissance bénéficiaire fait ressortir la valorisation et enfin de vérifier si la société est capable de réaliser cette croissance. Pour Guillaume Angue, cette méthode recèle un avantage de taille : "elle s'adapte à tous les secteurs". Néanmoins, peu de bureaux utilisent aujourd'hui la même démarche d'un secteur à l'autre. Ne serait-ce que pour mieux coller aux spécificités de chaque activité. Pour les compagnies pétrolières, "le plus significatif, à notre avis, est le rapport entre le cash-flow disponible [après dividende] et la valeur d'entreprise. Les compagnies ont en effet besoin de cash pour investir", indiquait Aymeric de Villaret, analyste de la Société Générale, dans une interview récente à La Tribune.Autre particularité, "dans le secteur bancaire, on utilise le retour sur fonds propres (ROE) comparé aux fonds propres rapportés à l'actif net", souligne pour sa part Jean-Marc Loiseau. Enfin, l'Ebitdar (voir tableau) est un indicateur privilégié pour le secteur aérien, où les compagnies louent souvent une partie de leur flotte. Les méthodes de valorisation du secteur se basent donc sur cet indicateur. Les particularités peuvent aussi évoluer avec le temps. Les opérateurs de téléphonie mobile, auparavant classés parmi les valeurs de croissance, sont de plus en plus vus comme des entreprises de services collectifs. Les analystes tendent par conséquent à regarder leur capacité à dégager des bénéfices et à verser des dividendes. Pour Patrick Legland, c'est bien là la preuve que "ce ne sont pas les méthodes qui ont changé, mais bien les entreprises qui ont évolué".Des évolutions, il faut d'ailleurs s'attendre à en voir de nouvelles dans les mois à venir avec la mise en place des normes comptables IFRS en 2005 (lire ci-contre). Mais quels que soient les principes et les précautions adoptées, l'analyse financière ne sera jamais une science exacte. "En Bourse, on achète le futur raisonnablement envisageable", résume Jean-Marc Loiseau. Une façon de rappeler qu'en Bourse, le risque zéro n'existe pas...Olivier DecarreLe sentiment de marché pour la gestionSouvent réputés plus prudents que les analystes, les gérants ont également développé leurs propres méthodes d'analyse. Si les outils restent globalement les mêmes que chez les analystes, certaines particularités sont néanmoins intéressantes. Ainsi State Street Banque prend en compte une composante "sentiment du marché", c'est-à-dire la façon dont les analystes perçoivent l'action. "Pour résumer, notre ratio sentiment de marché mesure l'évolution des prévisions moyennes de résultats pour les deux prochains exercices fiscaux, le ratio de révisions à la hausse par rapport aux révisions à la baisse sur le passé récent et la façon dont révisent les analystes qui ont des anticipations très éloignées du consensus", explique Frédéric Dodard. Les équipes déterminent par ailleurs une valorisation d'équilibre pour chaque titre de l'univers européen à l'aide d'un modèle se fondant sur la combinaison du retour sur fonds propres et du prix sur actif net ainsi que le prix sur cash-flow. La pondération de tel ou tel facteur va ensuite prendre en compte les spécificités de chaque industrie. "Pour l'énergie, la valorisation fondamentale entre en ligne de compte pour 85% et le sentiment de marché pour seulement 15%. Pour les télécoms et la santé, la balance se fait à 50-50. Enfin pour le secteur technologique, le sentiment de marché représente 50% de l'opinion et la valorisation 25%. Les 25% restants tiennent comptent des perspectives de croissance de l'entreprise", conclut Frédéric Dodard.
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