Bataille pour Arcelor : la recomposition de la sidérurgie mondiale ne fait que commencer

L'avenir du sidérurgiste européen Arcelor est-il avec le Russe Severstal ou avec l'Anglo-néerlandais Mittal Steel? C'est désormais aux actionnaires de trancher. Mais une chose est sûre: les grandes manoeuvres dans la sidérurgie mondiale ne s'arrêteront pas là.

Dans une conjoncture actuellement très favorable, la demande d'acier devant croître de 5 à 6% en 2006, les grands sidérurgistes se montrent hyperactifs, multipliant les investissements massifs mais également les acquisitions. Rappelons la lutte qui opposait il y a quelques mois de cela le groupe Arcelor à l'allemand Thyssenkrupp pour l'acquisition du numéro un canadien Dofasco, et bien évidemment le feuilleton de ses dernières semaines, l'OPA de Mittal sur Arcelor. Les groupes sidérurgiques constitués sont en effet à l'affût de toute occasion de croissance externe en Europe. "Le secteur de la sidérurgie est très fragmenté et compte actuellement de multiples micro-acteurs spécialisés sur des activités spécifiques telles que l'automobile, le BTP ou encore le pétrole. La poursuite du mouvement de concentration est inévitable", explique Yan Azuelos, gérant chez Meeschaert.

En pleine OPA et après les mesures déjà prises pour contrer l'offre de Mittal, la fusion envisagée d'Arcelor et du premier aciériste russe, Severstal, ouvre une nouvelle page. Mittal n'est pas pour autant prêt à lâcher le morceau et a réaffirmé sa volonté d'aboutir. Les actionnaires d'Arcelor se trouvent désormais face à deux possibilités. Soit ils apportent leurs titres à Mittal Steel, qui a lancé une offre réévaluée le 19 mai dernier, pour former un mastodonte qui produira plus de 100 millions de tonnes d'acier par an, contrôlé à 45% par la famille Mittal. Soit ils optent pour l'alliance avec Severstal, préconisée par la direction du groupe. Cette opération, qui a le soutien du gouvernement français, créerait un sidérurgiste produisant 70 millions de tonnes, dont Alexei Mordashov, l'actuel président de Severstal, détiendrait 25% du capital après modification de son offre contre les 32% initialement prévus, après le rachat par Arcelor d'un quart de ses actions.

Surprise

En annonçant l'acquisition du sidérurgiste russe Severstal, moins d'une semaine après le relèvement de 34% des termes de l'offre de Mittal, Arcelor a créé la surprise. "Le rapprochement avec Severstal est arrivé un peu comme un cheveu sur la soupe! D'après Guy Dollé, le projet serait à l'étude depuis trois ans, mais nous n'en avons jamais entendu parler. Il n'y a eu aucune rumeur, ce qui paraît peu croyable", remarque Yan Azuelos. Le groupe russe pèse actuellement 5,1 milliards d'euros en Bourse pour 2,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, hors ses actifs miniers dans le minerai de fer et le charbon. Arcelor pourra ainsi revendiquer 22% du marché de l'automobile contre 18% actuellement. Le groupe luxembourgeois passera de la deuxième à la première place mondiale dans le tréfilage (fil en acier) et il couvrira en outre 40% de ses besoins en charbon et 45% de son approvisionnement en fer. Enfin, Arcelor ajoutera une nouvelle corde à son arc avec la position, même petite, de Severstal sur le marché des tubes, notamment ceux destinés à l'industrie pétrolière.

De nombreux courtiers jugent la valorisation de Severstal excessive. La Commerzbank évalue ainsi les actifs russes à 10,3 milliards d'euros (y compris les actifs miniers), soit 3 milliards de moins qu'annoncé par Severstal. Dans une étude d'Exane BNP Paribas, les auteurs reconnaissent qu'ils ont dû appliquer des multiples élevés pour "réconcilier les chiffres". "Il est tout à fait possible que Severstal soit surévalué. Nous n'avons jamais réussi a en faire une analyse car en plus de normes comptables différentes, il existe une certaine opacité", remarque Yan Azuelos.

Rébellion

Mais depuis fin mai, Arcelor fait face à une rébellion de près de 30% de ses actionnaires, emmenés par Goldman Sachs, la banque conseil de Mittal, qui réclament une assemblée générale extraordinaire pour se prononcer sur cette alliance. Ces actionnaires, dont l'identité n'est pas connue, voudraient que ce mariage ne puisse être validé qu'avec l'approbation des deux tiers de l'actionnariat présent lors de cette assemblée générale. Pour l'heure, Arcelor a prévu un système bien plus favorable: cette fusion ne pourra être rejetée que si la majorité du capital total se prononce contre, au cours d'une assemblée générale ordinaire convoquée le 30 juin. Seule concession aux actionnaires frondeurs, ils pourront "exprimer leur avis négatif" au cours de cette AG fin juin. Une résolution de ces actionnaires mécontents sera ajoutée à l'ordre du jour, si ces derniers représentent effectivement plus de 20% du capital. Arcelor s'est encore échiné à démontrer que son projet avec Severstal "ne bloquait pas l'offre de Mittal" qui court jusqu'au 5 juillet.

Pour Colette Neuville, présidente de l'Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), "si Alexei Mordachov n'obtient certes que 32% du capital à l'issue de la fusion, il ne peut se soustraire à l'obligation de lancer une offre. Car il est déjà acquis qu'au terme des rachats d'actions prévus à court terme par Arcelor, sa participation sera portée à plus de 38%". "Il ne peut donc prétendre franchir passivement le seuil (un tiers du capital) qui l'oblige à offrir une sortie aux actionnaires minoritaires, c'est choquant", renchérit Gérard Augustin-Normand, président de Richelieu Finance. En réponse à ces critiques, Severstal a d'ailleurs modifié son offre, proposant désormais de ne prendre que 25% du capital au lieu de 32% prévus initialement.

Début juin, Arcelor a accepté de rencontrer Mittal afin de discuter de son projet industriel. "On peut s'interroger sur le bien fondé de cette rencontre. En effet, pourquoi discuter avec Mittal du plan d'action si la direction d'Arcelor rejette l'offre de l'Indien et est persuadée que le mariage avec Severstal aura lieu?", s'interroge Yan Azuelos. Le sidérurgiste européen Arcelor a d'ailleurs ensuite une fois de plus repoussé son rival Mittal Steel, tout en se disant prêt à discuter en cas de nouveau renchérissement de l'offre - une hypothèse rejetée pour le moment par Mittal. Poussé par une bonne partie du conseil, Arcelor a finalement engagé en parallèle des négociations avec Mittal. En retour, ce dernier semble avoir accepté d'importantes concessions en matière de gouvernance et de stratégie industrielle.

Minorité de blocage

Le vote du 30 juin permettra aux actionnaires de choisir leur camp. "Les gros actionnaires vont apporter leurs actions au plus offrant. Sur le plan industriel, les deux opérations vont permettre des synergies semblables. Tout va donc se décider sur le plan financier. De ce point de vue, l'offre de Severstal est très alléchante pour les actionnaires mais Mittal nous semble beaucoup plus fiable financièrement", analyse Yan Azuelos.

Il ne faut pas exclure l'hypothèse selon laquelle Mittal se contente dans un premier lieu de la minorité de blocage pour ensuite amorcer un travail de fond et récupérer des titres. "Si Lakhsmi Mittal avait l'intention de se retirer, je pense qu'il n'aurait pas mis en place un tel lobbying et fait son coup d'éclat en augmentant son offre", souligne Yan Azuelos. En bref, tout peut encore arriver!

Cependant, la date du 30 juin, jusque là date fatidique, semble à la lueur des nouveaux développements nettement moins cruciale. En effet, les décisions pourraient être prises dès ce week-end, lors du conseil d'administration du 25 juin. Mittal et Arcelor pourrait bien aboutir à un accord, mettant ainsi fin à cinq long mois de lutte.

Marché morcelé

Si ce mariage aboutit, le nouvel ensemble Mittal-Arcelor représentera au total à peine 10% d'un marché en croissance. Une fusion qui accélérerait le mouvement de concentration mais ne changerait que peu la donne, d'autant que les deux groupes n'ont pas de clients communs. En effet, aujourd'hui les cinq premiers acteurs mondiaux représentent moins de 20% du marché. Une situation qui contraste avec la concentration en amont, où trois acteurs - deux Australiens et un Brésilien - verrouillent 80% du marché du minerai de fer, et en aval où les grands clients, comme l'automobile, sont très puissants. Pris en sandwich, les sidérurgistes ne pèsent pas suffisamment pour influer sur les prix de leurs fournisseurs et bien négocier avec leurs clients. Une seule solution: multiplier les alliances entre acteurs.

L'annonce du mariage entre Severstal et Arcelor a, par exemple, fait ressurgir les rumeurs de rapprochement entre Evraz, un autre grand producteur russe, et le britannico-néerlandais Corus. Le rapprochement aurait lieu sous l'égide du milliardaire russe Roman Abramovitch, en discussion pour prendre 40% dans Evraz, le numéro deux russe avec 13,9 millions de tonnes par an, et auquel on prête l'intention d'acquérir aussi des parts dans Corus. Un groupe toujours à la recherche d'un partenaire pour la production d'acier à bas coût. Ces mouvements donnent des ailes aux autres sidérurgistes russes, tel que Magnitogorsk (11,4 millions de tonnes), Novolipetsk (8,5 millions de tonnes) ou Mechel (5,9 millions de tonnes) qui sont à l'affût d'acquisitions en Europe et en Amérique du Nord. Un mouvement qui devrait s'accélérer.

Russes et Chinois sur les rangs

"Les producteurs d'acier russes cherchent des débouchés pour leur vaste réserve de matières premières, leur capacité de production de demi-produits à bas coût et aussi maintenant des produits plus élaborés. Leur stratégie est de se renforcer dans les métiers en aval de la sidérurgie", explique Georges Kirps, directeur général d'Eurometal, association européenne des distributeurs de métaux. "Les producteurs de la CEI, fortement dépendants de l'exportation, actuellement tournés à 75% vers l'Asie et le Moyen-Orient où la pression de la concurrence est croissante, souhaitent se réorienter vers l'Europe et l'Amérique du Nord", souligne Georges Kirps.

La Chine, qui produit plus de 28 millions de tonnes d'acier, est actuellement également l'un des marchés les moins efficients avec plus de 800 aciéristes. Elle ne compte que deux sociétés, Baosteel et Ansteel, parmi les géants mondiaux capables de fondre plus de 10 millions de tonnes d'acier par an. En comparaison, Arcelor dispose du double des capacités de Baosteel. Conscientes du gaspillage engendré par la fragmentation de la production, les autorités ont décidé d'accélérer la concentration du secteur. Leur objectif: aboutir à la constitution de géants de types chaebols autour d'une dizaine de producteurs, qui représentent actuellement moins de 40% de la production nationale.

"Il faut s'attendre dans les années à venir à une restructuration du paysage avec l'émergence de nouveaux acteurs, essentiellement des pays émergents dont le poids va aller croissant, contrairement aux Européens", estime Gérard Augustin-Normand. Le marché asiatique étant le plus morcelé, c'est là que la concentration sera la plus spectaculaire et la plus efficace. Cependant même si ce mouvement est actuellement souhaitée par tous, personne ne veut en être la victime!

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