Relations inhumaines

Sans craindre la polémique, "La question humaine", de Nicolas Klotz, établit un parallèle entre la langue technicienne des relations humaines dans une grande entreprise et celle des nazis dans la Shoah. Mathieu Amalric joue magnifiquement le rôle d'un psychologue froid et zélé, chargé de tailler dans les effectifs d'une multinationale, peu à peu gagné par le trouble.

Nicolas Klotz n'a de cesse de titiller la bonne conscience occidentale, d'en pointer les exclusions, d'en démasquer les faux semblants, d'en décortiquer le langage et d'en mettre à jour les abus de pouvoir. Autant de problématiques qu'il mène non pas en termes abstraits mais en les inscrivant dans le vécu et les corps de ses personnages qui les ressentent en termes physiques (en témoigne le titre de son précédent film "La Blessure").

Inspiré du livre éponyme de François Emmanuel, "La question humaine" suit la carrière d'un jeune psychologue du département des ressources humaines d'une grosse société pétrolière, Simon, remarquablement incarné par Mathieu Amalric. Simon est un employé zélé et performant qui vient de faire ses preuves en menant la restructuration de la multinationale dont la maison mère est en Allemagne, taillant un tiers des effectifs français. Attaché désormais à motiver le personnel restant, Simon n'a pas d'états d'âme.

La nuit, il montre un autre visage, se défonce et s'oublie dans la musique, la drogue, la danse, libérant lors de rencontres toujours très physiques des pulsions qu'à son travail il tient par la bride, menant une histoire d'amour compliquée avec sa petite copine.

Au bureau, le zèle de Simon lui a valu la considération de sa hiérarchie, ce qu'il ressent comme un juste retour, convaincu qu'il est du bienfondé de sa position, comme d'ailleurs tous ses camarades, cadres dynamiques de l'entreprise. Jusqu'au jour où le directeur général adjoint (inquiétant Jean-Pierre Kalfon) le convoque pour lui confier une étrange mission: surveiller le directeur général et faire un rapport sur sa santé mentale. Dans le but bien sûr de l'éjecter et de prendre sa place.

Simon se jette à corps perdu dans cette nouvelle mission. Sauf qu'en face du DG, il se sent gagné par le trouble. C'est en effet un personnage hors normes (fascinant Michael Lonsdale), un homme immensément intelligent, cultivé, fin musicien, en proie à une solitude poignante et à une détresse sans remède. Absolument pas dupe de la manipulation dont il est l'objet, il lui en apprend de belles sur son adjoint, homme sans scrupules, tenant de l'idéologie nazie. Croyant trouver en Simon un allié, il lui dévoile aussi des pans de son passé (qui sont aussi des pans de l'histoire collective), quand son père était un technicien nazi de l'extermination des juifs en Pologne, pauvres hères qu'il entassait dans des camions pour les asphyxier avec les gaz d'échappement.

Simon accuse mal le coup et sent toutes ses assurances vaciller, physiquement atteint dans son sommeil par ces révélations auxquelles il ne trouve pas de dérivatif. D'autant plus que des lettres anonymes lui parviennent régulièrement qui reproduisent le langage froid et technicien de l'extermination lors des mêmes opérations en Pologne. Simon peut y mesurer tout le fossé qui sépare la description technique de ces opérations et la réalité inhumaine qu'elle recouvre, toute la distorsion entre le langage froid des ingénieurs soucieux d'augmenter la rentabilité et l'horreur réelle de la torture et de l'assassinat.

Prenant enfin en main son destin, le psychologue va alors s'attribuer sa propre mission: retrouver l'expéditeur de ses lettres et l'entendre s'expliquer. Démarche salutaire dont dépendent son propre équilibre et sa santé mentale.

On objectera que comparer une restructuration dans une société libérale à l'extermination menée par les nazis est pour le moins abusif. Certes. Mais Nicolas Klotz n'a pas tout à fait tort non plus lorsqu'il se dit convaincu que "la Shoah est un des actes fondateurs de la modernité, elle a révélé la part maudite de la société industrielle".

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