Le combat des égarés

Pierre Meunier présente au Théâtre de la Bastille un spectacle saisissant élaboré à partir de son travail en hôpital psychiatrique.

Un grand et lourd rideau bleu. Un homme passe devant, l'inspecte, craque une allumette. "Ca brûle pas, ça" murmure-t-il, l'air contrarié. Alors il en craque une autre, l'approche de sa grosse doudoune verte et violette qui, elle, brûle bel et bien. Pas de réaction, tout juste un air contrit sur son visage. Les plumes de la doublure se mettent à voler au milieu des flammes, et notre homme toujours avec la même mine un peu embêtée, esquisse quelques gestes malhabiles pour tenter d'éteindre ce feu sans trop se faire remarquer, pour ne pas gêner sans doute.

L'homme est le premier de ces "égarés" qui défileront devant ce rideau qui restera longtemps baissé. Hommes et femmes qui nous renvoient à nos conceptions de la normalité du monde et que Pierre Meunier a imaginés à partir de trois années de rencontres et d'ateliers avec des patients d'un hôpital psychiatrique. L'ambition n'est pas une représentation - qui serait forcément vaine - de la folie mais plutôt de faire apparaître ce que ces personnes ont à nous apporter. Et nous rappeler, comme le dit Pierre Meunier, qu'"il ne faudrait parfois pas grand-chose pour basculer de leur côté."

Lorsque le rideau se lève finalement, après plusieurs épisodes d'un humour ravageur, le plateau dévoile un chaos resté jusque là étouffé. Ca s'agite dur entre le tonitruant marteau-pilon, la machine à tempête et les échafaudages qui se lancent dans une valse aérienne pleine de poésie. On se laisse alors emporter par le vertige. Du rire encore analysable, on passe à l'abandon des sens.

Jusqu'à se laisser transporter sans bien s'en rendre compte vers cette scène finale, brutale et douloureuse. L'homme du début (fantastique Jean-Louis Coulloc'h) est de nouveau là, nu, embarqué dans un corps à corps sauvage et primitif avec une souche d'arbre démesurée. Cette fois on ne rit plus devant l'âpre détresse qui explose dans un cri déchirant. Arrive enfin le silence. Le plateau se vide. Les six acteurs réapparaissent, s'avancent vers nous et, sobrement, saluent. On est saisi, toujours immergé dans ce que l'on vient de vivre. On comprend alors que c'est la fin. Un temps encore. On applaudit.

"Les égarés", mise en scène de Pierre Meunier. Jusqu'au 1er juillet, au Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011, Paris. Tél: 01.43.57.42.14. Site web : www.theatre-bastille.com

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