Le théâtre politique de Yasmina Reza

Pendant un an, Yasmina Reza a suivi le candidat Nicolas Sarkozy, alors en campagne pour l'élection à la présidence de la République. Cette proximité est devenue un livre, "L'aube le soir ou la nuit", qui s'inscrit dans sa façon théâtrale de décrire les mondanités et ses dérapages. Flinguer comme nécessité existentielle.

Pourquoi ce livre au titre romanesque appuyé, "L'aube le soir ou la nuit", de Yasmina Reza? Comment qualifier l'ouvrage qui tient à la fois du reportage théâtralisé, de l'entretien décalé, de l'enquête romancée, de la fiction biographique, de l'analyse commentée? Après la salve de critiques déjà publiées depuis fin août, il est un point sur lequel il nous faut insister. Yasmina Reza, femme de lettres et surtout de théâtre (à succès), est aussi femme d'un monde très en vue. Cette conjonction d'intérêts, ou d'art de vivre si l'on préfère, surgit comme une évidence dans ce livre qui nous fait voir et entendre, par le témoignage et le commentaire, une année dans le sillage du candidat Sarkozy à l'élection présidentielle.

Toute son oeuvre, enfin celle que nous connaissons, est baignée de "méchants" mots que l'on s'échange entre amis, de milieux sociaux où la culture joue en permanence à cache-cache avec les mondanités et ses dérapages. "Art", sa célèbre pièce aux deux "Molières" (en 1995) se pique d'interroger la modernité (un tableau totalement blanc) et son prix exorbitant (pourtant, le Russe Malevitch déjà en 1917, avec ses tableaux 'suprématistes'... !). Dans "L'homme du hasard", un écrivain (Philippe Noiret était dans le rôle au début de 2001) croise dans un train une femme qui n'est pas moins cultivée et les deux ne ratent pas le bon mot acide sur les soirées de bourgeois un peu snobs ou désabusés.

Cette manie de flinguer gentiment les "autres" est comme un substrat, une marque d'écriture que l'on retrouve, bien sûr, dans "Une pièce espagnole", "Trois versions de la vie", "Conversations après un enterrement" ou encore "Dans la luge de Schopenhauer". Et, aussi, dans "L'aube le soir ou la nuit". L'écume d'une société où l'on juge vite, à l'emporte pièce. Où la représentation vaut action. Et où le voyeur/scripteur reste dans le champ de vision de la scène. Dans "L'aube....", Reza n'oublie pas, par exemple, de faire savoir que le couple Sarkozy est venu assister à une représentation de "Dans la luge d'Arthur Schopenhauer", une adaptation pour le théâtre de son livre, et dans laquelle elle joue une femme analysant l'échec de son mariage.

Pas surprenant qu'en page 11 du livre, elle écrit: "A la fin de la garden party du 14 juillet, il [Nicolas Sarkozy, NDLR] étreint Christian Clavier. Ils s'étreignent à la manière des acteurs. Fous de joie de s'aimer, de se désigner toi mon copain à la face du monde. C'est une étreinte que j'ai vue mille fois, sous toutes les latitudes, des acteur qui ont à coeur de s'étreindre publiquement, ivres de leur prestation, de cette surhumaine chaleur et ce rire démonstratif". Nous sommes bien dans le "comediante, tragidiante...", dans la représentation théâtralisée.

Plus loin, Yasmina Reza relate une conférence de presse et un jeu de question-réponse à Nicolas Sarkozy ("Qu'est-ce qui vous sépare de George Bush?", "... Il a été élu deux fois président des Etats-Unis"). Elle ajoute ce commentaire: "Aucun des journalistes présents dans ce salon du Sofitel ne paraît mesurer l'intelligence de cette réponse, et je ne la verrai nulle part reproduite dans la presse française".

Bien sûr, elle ne rate rien des réactions épidermiques du candidat. On sait déjà tout sur l'histoire des Bretons. Mais il y a aussi (page 89) cette anecdote du candidat, arrivant à TF1, "De quoi j'ai l'air? Je veux être seul! C'est quoi cette image du type qui arrive avec une armée de publicitaire à la con!"... Ainsi va le livre. Des saynètes qui, naturellement, ne manquent pas de sel, comme ce dîner entre Luc Ferry et Alain Minc: "J'ai le malheur d'affirmer que Nicolas n'est pas gros. Ma pauvre, dit le premier, tu es rentrée dans une logique totalitaire, ton livre risque de manquer légèrement d'objectivité! Vous avez le choix, dit le second, entre être amoureuse ou être ambitieuse". Que reste-t-il de tout cela, de ces potins de la commère? Un peu du théâtre de ce début de XXIè siècle français sûrement.

"L'aube le soir ou la nuit" de Yasmina Reza. Flammarion, 190 pages, 18 euros

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