Confrontée à la crise financière, la BCE choisit l'attentisme

La Banque centrale européenne (BCE) a décidé aujourd'hui de laisser inchangé son taux directeur, à 4%. Elle tire ainsi les conclusions de la tourmente qui s'est abattue cet été sur les marchés financiers, suite à la crise des crédits immobiliers américains à risque ("subprime"). Une crise qui l'a amenée à renoncer à la hausse des taux qui était programmée pour ce jeudi. Elle va maintenant suivre "avec grande attention" l'évolution de la situation avant de reprendre éventuellement sa politique de hausse des taux pour contrer l'inflation.

La Banque centrale européenne a décidé ce jeudi de laisser inchangé son principal taux directeur, qui demeure donc à 4%. De même, le taux de facilité de dépôt reste à 3% et le taux de prêt marginal à 5%. Alors que la BCE avait clairement indiqué, au début de l'été, qu'elle relèverait ses taux lors de sa réunion d'aujourd'hui, elle a donc modifié sa position, prenant en compte la crise financière qui fait rage depuis le mois d'août.

Commentant sa décision à l'occasion de la traditionnelle conférence de presse, Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a souligné que la Banque n'avait nullement abandonné son objectif de lutte contre l'inflation. Il a ainsi réaffirmé que la politique monétaire de la BCE demeure actuellement plutôt accomodante, laissant la porte ouverte à une reprise du mouvement de hausse des taux d'intérêt quand la crise actuelle sera passée. Mais dans l'immédiat, a-t-il reconnu, "la volatilité des marchés financiers et la réappréciation du risque ces dernières semaines ont entraîné une incertitude accrue. Compte tenu de ce niveau élevé d'incertitude il est approprié de réunir des informations supplémentaires et de nouvelles données" avant de prendre une décision. Dès lors, le conseil de la BCE suivra "avec grande attention" les évolutions à venir, a-t-il ajouté. Autant de formulations qui ne permettent en rien de prévoir la date de la prochaine initiative de la BCE sur les taux d'intérêt.

Dans l'immédiat, Jean-Claude Trichet a plusieurs fois lancé le message aux acteurs sur les marchés financiers d'"accroître la transparence" sur leurs engagements et risques encourus, un "maître mot" selon lui, employant le français pour l'occasion. Un message déjà lancé par des responsables politiques comme le ministre des Finances allemand.

Au coeur des interrogations figure l'impact que la crise actuelle aura sur l'activité économique de la zone euro. La Banque centrale européenne a légèrement revu en baisse ses prévisions pour cette année. Elle prévoit désormais une croissance 2007 comprise entre 2,2 et 2,8% pour les 13 pays de la zone, soit une moyenne de 2,5%. En juin dernier, la BCE prévoyait une croissance de 2,3 à 2,9%, soit une moyenne de 2,6%.

A 13 h aujourd'hui, la Banque d'Angleterre (BoE) avait de même décidé de ne pas changer son taux d'intérêt directeur, qui demeure donc à 5,75%. Selon la Bank of England, il est "trop tôt" pour juger précisément de l'impact que les turbulences sur les marchés financiers auront sur la disponibilité du crédit pour les entreprises et les particuliers au Royaume-Uni.

Alors que la BoE ne fait en principe aucun commentaire quand elle laisse ses taux inchangés, elle a dérogé à cette règle aujourd'hui. Elle a ainsi profité de l'occasion pour souligner le "léger ralentissement des dépenses de consommation et des investissements", tout en observant que le "rythme de croissance robuste constaté récemment" se maintenait.

La décision de la BCE en faveur su statu quo reflète une profonde évolution de son attitude face à la crise des marchés financiers. Lors de sa réunion précédente, la banque centrale européenne avait très clairement laissé entendre qu'elle annoncerait une hausse de son taux de référence à l'occasion de sa réunion de ce début septembre, et cela dans le but d'enrayer les tensions inflationnistes.

Et, en plein milieu de la tempête boursière déclenchée par la crise du subprime, au mois d'août, la BCE avait réaffirmé sa position laissant anticiper une hausse des taux aujourd'hui.

Mais depuis, la situation a nettement évolué. L'ampleur de la crise sur les marchés, les inquiétudes sur la solidité des établissements financiers et les craintes sur l'impact qui pourrait en résulter sur la croissance économique ont fait évoluer petit à petit la position de la BCE. Jusqu'à amener fin août Jean-Claude Trichet à souligner une évidence: la précédente prise de position de la BCE en faveur d'une remontée des taux d'intérêt avait été arrêtée avant la crise des marchés. Le contexte ayant changé, l'institution de Francfort pouvait donc sans se déjuger faire évoluer sa position...

La décision de la Banque centrale européenne intervient d'ailleurs dans un contexte de renouveau des tensions sur les marchés financiers et de grande mobilisation des banques centrales. Ces derniers jours, de vives tensions se sont manifestées sur les marchés monétaires, entraînant une flambée des taux à très court terme.

Dans ce contexte, les banques centrales des grands pays ont multiplié les initiatives. Mercredi, par exemple, la BCE a affirmé être prête à intervenir de nouveau, après avoir constaté une augmentation de la volatilité sur le marché monétaire européen. L'institution de Francfort a publié hier un communiqué dans lequel elle affirmait que "la volatilité sur le marché monétaire de l'euro a augmenté et la BCE surveille de près la situation". Et la BCE de préciser que "si cela persistait demain (jeudi), la BCE se tiendra prête à contribuer à (remettre) les conditions du marché monétaire européen en ordre."

Ce matin, de fait, elle a injecté 42,245 milliards d'euros de liquidités dans les marchés monétaires dans le cadre d'un appel d'offres rapide à un jour, afin de calmer les tensions qui s'y manifestaient. Cet appel d'offres constituait la première injection d'urgence de liquidités au jour le jour réalisée par la BCE depuis le 14 août, mais elle est la cinquième depuis un mois.

Autre initiative prise mercredi: celle de la Banque d'Angleterre, qui a annoncé qu'elle allait augmenter aujourd'hui de 6% le montant de ses réserves disponibles pour les banques commerciales. Ce qui revient à accroître sensiblement la liquidité disponible sur les marchés. Elle a en outre précisé qu'elle se tenait prête, si nécessaire, à augmenter de 25% ses liquidités le 13 septembre. Autant d'annonces qui marquent un changement net d'attitude de la Bank of England, qui affectait jusqu'ici de se comporter comme si la situation était parfaitement normale.

Et jeudi, la Réserve fédérale américaine est intervenue elle aussi massivement en injectant 31,25 milliards de dollars dans le circuit bancaire. Réalisée par le biais d'opérations de prise en pension d'effets commerciaux, cette intervention était la plus importante depuis le 10 août, en pleine crise du subprime.

Dans ces conditions, les pressions exercées sur la BCE pour qu'elle renonce à relever ses taux d'intérêt se sont multipliées. Les responsables politiques, français en tête, ont plaidé en ce sens. De nombreux économistes ont fait de même, comme les dix experts qui s'exprimaient mercredi dans La Tribune. Enfin, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) elle-même a demandé hier à la BCE de ne pas relever ses taux, tout en reconnaissant le bien-fondé de ses inquiétudes en matière de pressions inflationnistes.


Nous sommes "in-dé-pen-dants", ou la réponse cinglante de Trichet au président Sarkozy
Le déroulé bien tranquille de la conférence de presse du président de la BCE a soudain connu quelques instants d'hilarité, le fait déclencheur en étant les propos tenus dans l'après-midi par Nicolas Sarkozy. En marge d'un déplacement à Mulhouse, le président français a réagi à la décision de la banque centrale de laisser les taux inchangés, en affirmant: "ça prouve quand même qu'à force de parler et de porter des débats, ça progresse un petit peu". La BCE serait-elle donc influençable, voilà la question de fond qui se pose entre les lignes. A Francfort, dans la salle de conférence de la BCE, une journaliste de l'agence de presse Bloomberg lit la dépêche rapportant ces propos. La nouvelle vient de s'inscrire sur son blackberry et elle souhaite entendre une réaction de Jean-Claude Trichet. Ce dernier semble d'abord incrédule. "Comment le savez-vous?... Ah, vous l'avez lu sur votre appareil?...". Premier mouvement de rire dans la salle et sourire épaté chez le président. "C'est une bonne question", ajoute-t-il. Deuxième rire dans la salle. Mais son visage se crispe dans l'instant suivant. "Nous sommes in-dé-pen-dants en vertu du traité européen", martèle Tichet en prenant le soin de détacher chaque syllabe. C'est inscrit à l'article 1.0.8 du traité, rappelle-t-il à bon entendeur. Puis un silence se fait. Puis un complément de réponse est débité sur le rythme de la dictée. "Personne ne songe que l'on peut être influençable". Silence. "Ceux qui le prétendent sont en dehors de l'article 1.0.8". En clair, des hors-la loi! "Tout le monde sur les marchés sait que nous sommes indépendants!". Fermez le ban. "Encore merci d'avoir posé la question", conclut Jean-Claude Trichet en déclenchant un dernier rire dans la salle. Plus tôt, il avait rappelé les pays de la zone euro à revenir à l'équilibre de leurs finances publiques au plus tard d'ici 2010. "Tous les pays s'y sont engagés à Berlin" au printemps, rappelle-t-il. La France, qui laisse entendre que cet objectif pourrait éventuellement n'être atteint qu'en 2012, reçoit ici encore un avertissement. S'il fallait s'en persuader encore, les relations entre les deux présidents français, à Paris et Francfort, ne risquent pas de se détendre.
Jean-Philippe Lacour, à Francfort

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