"La Chine fait plonger le cuivre"

"Le phénomène le plus marquant lié à ce phénomène reste les ventes de cuivre considérables effectuées par l'entité étatique chinoise SRB"

"Le récent plongeon des cours des cours reflète simplement le fait que le marché "sent" un changement subtil dans les fondamentaux, interprète de façon un peu erronée ce changement, tout en ayant le sentiment confus que le meilleur est passé et que la bulle se dégonfle"

Ce spécialiste de la salle de trading de la Société Générale sur les matières premières revient sur le plongeon de 11 % accusé la semaine dernière par les cours du cuivre à Londres qui sont revenus à leur niveau d'il y a neuf mois. Une panique qui a entraîné dans son sillage l'ensemble des matières premières, pétrole compris, faisant craindre l'explosion d'une bulle spéculative, alors que la masse des investisseurs est en train de se convertir à la hausse irrésistible des ressources naturelles.


La Tribune .- Emblème du "super-cycle" des matières premières, le cuivre a connu la semaine dernière une baisse d'une ampleur inconnue depuis une décennie. Quelle mouche vient donc piquer les marchés ?

Stephen Briggs .- ?Première raison, les inquiétudes sur l'assise du marché, ses fondamentaux. Graduellement s'insinue la perception de besoins en cuivre sera plus modestes cette année, en raison du ralentissement aux Etats-Unis.

La Tribune - Etrange, alors que les derniers indicateurs économiques américains apparaissent plus rassurants. Et que cela fait près d'un an que les marchés se préparent à l'assombrissement de l'environnement économique aux Etats-Unis...

- Il y a en réalité un autre facteur. Les stocks de cuivre. Ceux-ci ont fortement augmenté ces derniers mois, sur le London Metal Exchange [le premier marché de métaux au monde, ndlr] mais également sur le Comex [new-yorkais] et à Shanghaï. Le marché a ainsi peu à peu acquis la perception que la période de déficit sévère de cuivre touche à sa fin. Mais selon moi, pour de mauvaises raisons...

La Tribune - C'est-à-dire ?
- Le marché, se fixe sur ces stocks, avec en tête le surplus [de production] maintenant annoncé par tous les spécialistes pour 2008. Certains pronostiquent déjà un léger surplus pour cette année, ma vision étant celle d'un marché à l'équilibre. C'est, certes un changement très important pour le marché du cuivre. Mais la seule observation du gonflement des inventaires [d'ors et déjà] dans les entrepôts du LME - une situation artificielle - exagère ce [basculement]. Le problème reste que quand le marché commence à changer d'avis, les prix réagissent très brutalement...

La Tribune - Partie visible des stocks ? Il y a donc des stocks cachés ?
- Un des phénomènes les plus marquants des derniers mois, reste la gestion de ses inventaires de cuivre par le SRB [State Reserve Bureau], l'entité étatique chinoise [en charge de la gestion des stocks de métaux]. Celle-ci a vendu des montants de cuivre considérables ces quatre dernières années : 700.000 tonnes auraient été mises sur le marché, les estimations raisonnables faisant de 250.000 tonnes sur la seule année 2006. C'est énorme, surtout au regard de la très faible marge existant entre l'offre et la demande mondiales. Là réside la véritable cause de la reconstitution des stocks mondiaux observée depuis le milieu de 2005.

La Tribune - Mais quel intérêt aurait eu la Chine à vendre des stocks de métal, alors que sa croissance en exige chaque gramme disponible ?
- Parce qu'ils voulaient essayer de remettre un peu d'ordre sur le marché. Il y a neuf mois encore, le monde entier s'inquiétait d'un manque de cuivre et les cours explosaient. Sans compter que la fin 2005 correspond également à l'épisode malheureux de ce courtier du SRB [dont les paris malheureux] ont forcé son organisation à céder beaucoup métal sur le marché [afin d'effacer les ardoises de ce dernier, ndlr]. Les détails de cette affaire n'ont jamais été éclaircis.

La Tribune - Donc en vous suivant, les ventes de cuivre de l'Etat chinois, font gonfler les stocks mondiaux et plonger brutalement les cours lorsque le marché s'en rend compte ?
- Indirectement. Car la plupart du cuivre vendu par le SRB chinois, souvent achetés il y a des années, ne sont pas d'assez bonne qualité pour être vendus sur un marché comme le LME. Cependant, il peut toujours être utilisé par des consommateurs chinois... à la place du métal importé. La substitution met ainsi des mois avant que ses conséquences n'impactent les stocks internationaux. C'est à quoi nous assistons aujourd'hui.
Pis, cela signifie soudain que toutes les estimations de la demande mondiale de cuivre l'an dernier, ont sous-estimé la consommation réelle. L'International Copper Study Group, par exemple a toujours prévenu ne pas prendre en compte les ventes du SRB. Ainsi, mois après mois, étaient fournis des chiffres sous-estimant la croissance de la demande chinoise, ce qui était irréel... alors que celle-ci explosait pour tous les autres métaux, de l'aluminium en passant par le zinc ou le plomb. La vision de tout le paysage était troublée par les ventes du SRB.

La Tribune - Cette avalanche de cuivre chinois sur le marché va-t-elle se poursuivre ?
- Personne n'a aucune idée, ni de ce qui [leurs] reste ni de ce qu'[ils] vont en faire. Mais je doute qu'[ils] continuent de vendre à ce rythme et de mettre à nouveau 200 000 tonnes [cette année].

La Tribune - Donc, la récente chute du cuivre n'est justifiée que par des arguments artificiels, liés à la gestion des chocs chinois qui amplifient la menace d'un surplus de production cette année ?
- Il y autre chose. Cela fait longtemps que nous mettons en garde contre la bulle [spéculative, ndlr] affectant une partie du marché. Celle-ci a gonflé entre mai 2005 et mai 2006 pour emmener les prix à des niveaux que ne pouvaient le justifier les seuls fondamentaux [8.800 dollars la tonne le 11 mai dernier, ndlr]. Nous assistons aujourd'hui non à l'explosion mais au dégonflement de cette bulle. Et lorsque que certains, en particulier les "hedge funds", se disent, "nous avons eu cinq années fantastiques, peut être qu'il ne reste plus grand-chose [en terme de hausse]", et arrêtent d'acheter du métal ou commencent à devenir "short" [paris sur la baisse], alors, il est très difficile de soutenir le marché. Et ceux qui perdent de l'argent sont évidemment les derniers arrivés...

La Tribune - C'est le krach du cuivre ?
- Non. Ceci ne veut pas dire que les cours vont perdre toute la remonté observée depuis la fin 2001. Personne sur le marché ne croit que le cuivre va plonger de nouveau vers 2.000 dollars la tonne. Même nous observons une poursuite de l'affaiblissement des cours cette année, quand tout sera fini, le cuivre ne devrait pas moins rester au-dessus de ses moyennes historiques. La situation actuelle reflète simplement le fait que le marché "sent" un changement subtil dans les fondamentaux, interprète de façon un peu erronée ce changement, tout ceci en ayant le sentiment confus que le meilleur est passé et que la bulle se dégonfle.

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