Jean-Cyril Spinetta : "Mon obsession est qu'Air France-KLM soit dans le top ten mondial en 2025"

À l'occasion de son dixième anniversaire à la tête d'Air France, Jean-Cyril Spinetta détaille dans La Tribune les objectifs de sa stratégie. Son "-obsession-" est qu'Air France-KLM reste parmi les dix premières compagnies mondiales d'ici à 2025.

Il y a dix ans, pensiez-vous faire d'Air France le numéro 1 mondial en chiffre d'affaires ?
Jean-Cyril Spinetta: Si j'ai tant souhaité être nommé à la tête de la compagnie, ce n'était ni pour échouer, ni même pour installer Air France dans une honnête moyenne. Je pensais pouvoir ramener Air France à une place qu'elle avait souvent occupée, la première. J'ai accepté cette responsabilité pour m'installer dans la durée et réussir. Je ne doutais pas d'obtenir rapidement des résultats positifs. Des mesures prises avant moi commençaient à porter leurs fruits. Je savais ce qu'il fallait faire. Air France devait renouer avec la croissance après une phase très difficile où elle avait perdu des parts de marché, et être en permanence attentive à sa compétitivité.

Y-a-t-il une recette Spinetta ?
Je ne sais pas. Mais j'aime travailler collectivement. On est plus intelligent à plusieurs que seul. Mon équipe est stable et très soudée. Elle n'a quasiment pas bougé depuis dix ans. Par ailleurs, je pense qu'il est primordial de savoir faire passer ses idées aux salariés. Avoir de bonnes idées ne sert à rien si l'on ne sait pas les faire partager à tous. Là est le vrai défi. C'est pour cela que j'aime le social et que j'y consacre beaucoup de temps.

La fusion avec KLM marquera votre présidence. Trois ans après, où en êtes-vous ?
Une nouvelle étape va démarrer prochainement. A partir d'une coordination entre Air France et KLM, nous visons plus d'intégration dans le but d'être plus réactif, plus efficace et de dégager des synergies encore plus importantes. Plusieurs activités d'Air France et de KLM, comme la maximisation des revenus, l'organisation du réseau, le marketing, les ventes internationales..., seront placées sous l'autorité fonctionnelle d'un membre d'Air France ou de KLM. Ce responsable qui sera membre du nouveau Comité exécutif d'Air France-KLM, prendra des décisions au nom des deux compagnies, et non plus seulement pour sa propre entreprise.

Des tensions entre Français et Hollandais sont-elles à craindre?
Oui cela peut arriver, comme dans toute entreprise multiculturelle ou multinationale. Mais nous l'avons évité jusqu'ici et je pense que cela continuera. Personne n'a été lésé par cette nouvelle organisation, même si certains ont changé de fonctions. C'est important. Cela ne laisse pas des traces négatives. A Air France-KLM, en termes d'organisation, nous avons toujours fait preuve de pragmatisme. Si cette organisation doit être recalée, nous le ferons. Mais je suis convaincu du succès de notre nouvelle organisation.

Quels sont les enjeux auxquels Air France-KLM sera confronté ces deux prochaines décennies ?
C'est simple. Dans vingt ans, Air France-KLM doit être parmi les dix leaders mondiaux du secteur. Aujourd'hui nous sommes le numéro un mondial. J'espère que nous le resterons. Mais ce n'est pas l'objectif. L'important c'est de faire partie des compagnies qui comptent, celles qui organisent le secteur, définissent leur stratégie et ne se la font pas imposer. Ce n'est ni acquis, ni évident. En 2025, les compagnies chinoises seront d'une taille considérable.. Il faudra aussi compter dans ce top ten quelques grands transporteurs indiens, au moins un japonais, trois américains, peut être des compagnies du Golfe. La puissance de leur économie et de leur marché intérieur leur donnent une vocation naturelle de figurer parmi ceux qui domineront le monde de l'aérien. Il faut donc créer les conditions pour qu'un groupe européen à fortes racines françaises soit également présent. C'est mon obsession, le fil directeur de tout ce que j'ai fait depuis mon arrivée à Air France. C'est dans cet esprit que nous avons fusionné avec KLM.

Une vague de consolidation est en cours en Europe, où en êtes-vous dans les dossiers Alitalia et Iberia ?
La consolidation européenne n'est d'évidence pas achevée et nous comptons bien participer à la nouvelle phase qui s'annonce. Nous connaissons très bien Alitalia, également membre de SkyTeam. Notre système de partage de coûts et de recettes entre la France et l'Italie est d'ailleurs très rentable. Le nouveau président d'Alitalia, Maurizio Prato, compte chercher un partenaire industriel ou financier, ou les deux. Il n'a pas encore commencé à prendre des contacts. Je le redis, s'il nous contacte, nous l'écouterons attentivement. Quant à Iberia, nous évaluons le dossier.

N'est-ce pas inquiétant de ne pas avoir été déjà contacté par Alitalia?
Non pas du tout. Maurizio Prato a une urgence qui est celle de son plan de restructuration interne. Nous attendons qu'il prenne, courant octobre, des contacts avec nous et sans doute avec d'autres. Mais je souhaite préciser que tant pour Alitalia que pour Iberia, si nous n'avons pas la conviction qu'une consolidation serait fortement créatrice de valeur, nous ne la ferons évidemment pas. Depuis ma prise de fonction, Air France a racheté cinq compagnies aériennes (Britair, Cityjet, Flandre Air, Proteus, Regional), fusionné avec KLM et créé la société Transavia France. Toutes ces opérations ont un point commun : elles ont créé de la valeur ou en créeront pour Transavia. Les choses ont toujours été très claires dans mon esprit : sans création de valeur pour les actionnaires, aucune opération de consolidation n'est évidemment envisageable.

Hors Europe, des prises de participation sont-elles possibles dans des compagnies locales pour profiter de la croissance des très gros marchés ?
Oui. Le transport aérien va rapidement devenir un métier entièrement libéralisé où chaque compagnie pourra voler et investir où elle le souhaite. Aussi, si nous voulons figurer parmi les dix premiers transporteurs mondiaux à l'avenir, il ne suffira plus d'être une compagnie qui relie l'Europe au reste du monde comme nous le faisons de manière quasi exclusive aujourd'hui. Il faudra que, à l'instar d'industriels comme Schneider, Saint-Gobain ou les banques, nous devenions un transporteur possédant des établissements et des activités en Asie, en Amérique Latine, partout dans le monde où un trafic se crée et se développe. Ceci en utilisant nos savoir faire, nos capitaux, notre expertise, nos ressources humaines. La prochaine mutation dans l'aérien est là. Et il faut commencer à la préparer.

Dans ce processus de libéralisation, l'accord de ciel ouvert entre l'Europe et les Etats-Unis, qui entrera en vigueur le 1er avril 2008, est une étape fondamentale. Comment Air France-KLM va-t-elle en profiter ?
Cet accord bouleverse en effet les règles du jeu. N'importe quelle compagnie européenne pourra relier les Etats-Unis au départ de n'importe quelle ville européenne. Le gros du sujet porte sur l'aéroport londonien d'Heathrow dont les vols sur l'Atlantique Nord étaient réservés jusqu'à présent à British Airways, Virgin Atlantic, American Airlines et United. Nos partenaires Delta et Northwest vont certainement ouvrir des lignes au départ d'Heathrow vers leur pays et Air France et KLM mettront leurs codes sur ces destinations afin de pouvoir vendre des billets entre Londres et Atlanta ou New York par exemple. Nous examinons par ailleurs encore la possibilité d'assurer des vols transatlantiques au départ de Londres avec nos moyens propres, mais à ce stade aucune décision n'est prise.

Votre mandat expire en 2010. Souhaitez-vous aller au-delà ?
Je vais répondre différemment. Ce qui commande de continuer ou d'arrêter, c'est ce que l'on ressent. Je considère que j'exerce le plus beau métier de France et j'ai sincèrement l'impression d'être arrivé à Air France hier. Tant que j'aurai le même plaisir et la même passion, je continuerai. J'ai encore plein de projets. Statutairement, je peux présider Air France-KLM jusqu'à 70 ans, soit jusqu'en 2013.

Préparez-vous votre succession ?
Bien sûr. C'est un devoir de la préparer de manière minutieuse. J'aimerais faire partie de ceux qui font cela très bien. Et j'anticipe votre prochaine question... je n'ai pas de favori.

L'action Air France-KLM dégringole depuis deux mois. Ressentez-vous les conséquences de la crise financière?
Absolument pas. La demande est toujours très dynamique. Nous n'observons aucun signe de fléchissement. Nos réservations pour les quatre prochains mois sont excellentes tant en termes de trafic que de recette unitaire, qui continue d'ailleurs à progresser. De plus, l'activité cargo, en difficulté l'année dernière, montre des signes de redressement. Les volumes ainsi que la recette unitaire recommencent à s'améliorer. Dans ces conditions, nos objectifs financiers pour l'année en cours seront très facilement respectés.

La nouvelle flambée du prix du baril ne vous inquiète-t-elle pas ?
A l'inverse de 2006, cette année est marquée par une extrême volatilité du prix du baril. Il était au plus bas à 55 dollars, pour dépasser 80 dollars aujourd'hui. Pour autant notre politique de couverture carburant concerne actuellement 77% de notre consommation. Nous sommes donc largement protégés. Et l'euro fort permet en outre de limiter encore l'impact de la cherté du prix du baril, payé en dollar.

Craignez-vous un ralentissement de la croissance économique mondiale comme d'aucuns le prédisent ?
La croissance économique mondiale est très forte depuis 2004, de l'ordre de 4 à 5% par an. Les locomotives asiatiques ne vont pas s'essouffler. Au contraire. Un groupe comme Air France-KLM dépend de moins en moins des conjonctures nationales ou européennes, voire même américaines, mais de la croissance mondiale. Et selon nous, elle reste très fermement orientée.

Avec le niveau élevé de commandes d'avions et de livraisons à venir, y-a-t-il un risque de surcapacité et de baisse des prix ?
En long-courrier, nous ne voyons pas de déséquilibre entre l'offre et la demande au cours des prochaines années. Ce qui nous permet de tabler sur une recette unitaire en progression. Celle ci s'est améliorée en 2005 et 2006 et certains pensaient qu'elle chuterait en 2007. Ce n'est à l'évidence pas le cas. Le prix du baril a fortement joué dans la bonne gestion des capacités et l'ajustement offre-demande. Beaucoup de commandes d'avions ont été passées pour renouveler des flottes que la cherté du kérosène a rendues obsolètes.

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