Plus que le père, l'effacé Philippe de Parme, c'est sa mère, Louise-Elisabeth, fille aînée de Louis XV, qui recommande l'éducation de son fils unique, l'infant Ferdinand, à trois dignes représentants de la toute nouvelle mouvance des Lumières. Il y a l'ingénieur mathématicien Keralio, l'intendant Dutillot et surtout l'abbé Condillac, un des pères de l'Encyclopédie du XVIIIème, qui tourne en grande partie le dos aux traditions figées de l'Eglise, rejetant "l'obscurantisme pour un monde plus éclairé"

Dès l'âge de six ans, l'infant de ce duché italien géré par la France, reçoit une éducation stricte avec des méthodes des plus sévères et des cours on ne peut plus classiques. A priori docile, l'élève apprend vite et bien. Son adolescence se passe sans souci autre que de collecter quelques amulettes. Mais à peine marié, avec une princesse révoltée de cinq ans son aînée, il se rebelle lui aussi, se complait en compagnie de religieux intégristes et de paysans et manants, mettant à mal la toute puissante Etiquette qui dirige le monde d'alors. A la fin de son règne, après avoir renvoyé ses maîtres dépités, il va même jusqu'à rétablir le tribunal de l'Inquisition.

Avec la plume acérée d'une philosophe et la ténacité d'une chartiste, Elisabeth Badinter décortique ici, avec moult détails, la rudesse de l'éducation, pointe avec opiniâtreté les agissements des différents intervenants et révèle, avec l'acuité d'une hygiéniste, les difficultés sexuelles du prince. Si elle pose la question de la responsabilité de ce cuisant échec, elle ne donne pas de réponse. C'est toute l'ambiguïté de cette éducation, c'est aussi tout l'intérêt de ce remarquable livre.

"L'infant de Parme" d'Elisabeth Badinter, Fayard, 159 pages, 12 euros