Et si féminiser l’économie devenait obligatoire pour obtenir un prêt du FMI ?

Par Marina Torre  |   |  1164  mots
Pour faire de la place aux femmes dans l'économie, il existe aussi des incitations économiques. (Reuters)
Un taux d'activité féminin plus important serait un gage de croissance selon le FMI. Mais comment rendre le marché du travail plus mixte? Le Fonds dispose de moyens d'encouragement originaux.

La parité pourrait-elle s'acheter ? De toutes les incitations à l'égalité femmes/hommes, des encouragements pourraient s'avérer peut-être plus efficaces que ceux qui existent déjà.

 

Le gouvernement distribue les bons points

 

 Afin de pousser les entreprises à faire de la place aux femmes, les recettes sont nombreuses. En France, la ministre des droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem distribue des bons points aux entreprises.

 

>> Egalité professionnelle : qui sont les bons et mauvais élèves parmi les entreprises

 

Plus largement, Pour faire avancer l'égalité femmes/hommes sur le marché du travail d'autres leviers sont étudiés qui vont de la formation aux congés parentaux en passant par l'organisation du travail... Une réflexion commune à bien d'autres pays de l'OCDE, qui s'accompagne de débats plus ou moins houleux sur le degré de coercition associées à chacune de ces mesures.

 

Une femme sur deux le monde a un emploi rémunéré

 

Reste que, dans le monde, les femmes restent moins largement nombreuses que les hommes à occuper un emploi rémunéré. La main d'oeuvre mondiale est composée de 60% d'hommes. et près de 50% des femmes travaillent dans le monde, tandis que les hommes ont un peu plus de 75% dans ce cas, avec bien sûr de très fortes disparités selon les pays, d'après des chiffres de l'Organisation mondiale du travail.

 

Face à cette situation, et parce que la participation féminine au marché du travail est considérée comme l'une des clés de la croissance, le FMI a suggéré une autre incitation pour le moins originale et passée inaperçue.

 

Des politiques "female-friendly" en contrepartie d'un prêt du FMI?

 

Quelques semaines avant le Women's forum de Deauville, qui s'achève ce 17 octobre Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international proposait d'imposer aux gouvernants de fournir plus de données sur le travail féminin. De là à en faire la contrepartie d'un prêt ? Elle n'est pas allée jusque là. Mais selon des économistes de l'organisation, cette éventualité n'est pas exclue. Kalpana Kohchar, économiste chargée de la région Asie du Sud l'a expliqué à la Tribune :

 

"Le fait d'imposer des politiques favorables aux femmes ne peut être une condition attachée à un prêt que si elles sont critiques du point de vue macro-économiques. Ce qui est déterminé au cas par cas".

 

L'économiste ajoute que :

 

 "Le fonds peut émettre des conseils sur des politiques favorables aux femmes si elles sont jugées critiques du point de vue macro-économique. En conséquence, il ne serait pas impossible que le Fonds exhorte un pays à les mettre en œuvre. "

 

Autrement dit: si féminiser l'économie est considéré comme un enjeu crucial pour la croissance d'un pays qui demande de l'aide au FMI, ce dernier pourrait très bien lui imposer - parmi toutes les autres conditions - de faire un effort sur ce plan.

 

 Le précédent japonais

 

Jusqu'à présent, sans être allé jusqu'à en faire la condition d'un prêt, le FMI a déjà "fortement conseillé" un Etat à agir pour que les femmes aient davantage de place dans les entreprises. L'an dernier, l'organisation internationale publiait un rapport intitulé : "les femmes peuvent-elles sauver le Japon  (et l'Asie aussi ?) L'OCDE avait émis une recommandation similaire quelques mois plutôt. En novembre, Tokyo annonçait une série de mesures visant à féminiser la population active nipponne.

 

>> Le Japon remet les femmes au travail

 

"J'aime à penser que nous avons eu quelque influence sur la nouvelle politique, mais nous n'avons pas toujours le même impact immédiat", commente Kalpana Kohchar.

 

Le FMI conseille à la France d'individualiser la fiscalité

 

A côté des solutions politiques, le FMI suggère un autre moyen, toujours financier mais plus direct et plus concret, pour faire avancer la parité : réformer la fiscalité. Sa solution ? Qu'elle devienne individuelle et non plus attachée au foyer.

 

Puisque le revenu des femmes est, le plus souvent, plus faible que celui des hommes, le taux marginal d'imposition sur ce second revenu est plus élevé. Il peut parfois apparaître moins intéressant pour elles de travailler, explique Monique Newiak, une autre économiste du FMI. Autrement dit : pour pousser les femmes à occuper un emploi rémunéré, il faut qu'elles payent toutes seules leurs impôts ! Bien sûr, pour que cet effet soit efficace, cela suppose que l'impôt sur le revenu soit progressif.

 

La France, ainsi que le Portugal et mais aussi les Etats-Unis font parties des pays à qui le Fonds suggère d'agir ainsi dans un rapport sur la part des femmes dans l'économie publié fin septembre.

 

Travailler plus pour gagner quoi?

 

Problème : œuvrer pour que les femmes travaillent plus, c'est une chose. Mais agir pour qu'elles gagnent plus en est une autre. Aux yeux d'une partie des spécialistes de ces questions, insister sur l'importance de la féminisation du marché du travail ne suffit pas car les inégalités persistent même quand les femmes y ont accès. Les postes occupés, les secteurs dans lesquels les femmes travaillent leur valent bien souvent une rémunération plus faible.  C'est l'opinion de Florence Jany-Catrice, professeur d'économie à l'université Lille 1 qui pointe le fait

 

 " qu'il existe une ségrégation sectorielle. Les femmes sont davantage assignées sur le marché du travail aux emplois consacrés au 'care' "

 

Pour aller plus loin, une parité réelle sur le marché du travail supposerait... une parité réelle dans la sphère privée. Avec la sociologue Dominique Méda, l'économiste est l'auteure d'une étude baptisée "Femmes et richesse : au-delà du PIB" dans laquelle elle tentait d'évaluer quel serait notre niveau de production si les activités domestiques, non rémunérées et le plus souvent réalisées par des femmes, étaient prises en compte.

 

D'après ses calculs, le PIB français serait beaucoup plus élevé. Une fiction servant à démontrer, d'une part que les activités non monétaires et non marchandes des ménages déjà intégrées au calcul du PIB par l'Insee sont essentiellement masculines (il s'agit de la production des ménages pour usage final propre comme le jardinage, l'élevage familial). L'objet de cette comparaison servait surtout à démontrer l'inégalité entre le "travail" domestique des femmes et celui des hommes. Florence Jany-Catrice en conclue:

 

"Il ne faut pas vouloir à tous prix plus de croissance, plus de femmes sur le marché du travail, sans penser au bien-être."

 

Ces pays où les femmes doivent demander pour travailler

 

 Des considérations qui restent encore bien lointaines dans de nombreux pays le statut juridique des femmes constitue le premier obstacle à leur entrée sur le marché du Travail, comme le rappelle la Banque mondiale. Dans quinze pays du monde elles doivent ainsi demander à leur mari, leur père ou leur frère la permission pour travailler...