Se mettre aux abonnés absents

Chaque semaine, découvrez les chroniques sur la vie au bureau réalisée par Sophie Peters. Anecdotes, conseils, expériences : pour sourire mais aussi mieux se sentir dans son job.

 

J'en connais qui, désormais, ne décrochent plus leur téléphone sur leur bureau quand il sonne. D'autres confient ne plus ouvrir les mails. Sauf quand ils viennent de l'entreprise. Sait-on jamais?? À un chef, c'est quand même mieux de répondre. D'autres encore qui les lisent, mais ne prennent plus la peine d'y répondre. Même si la politesse la plus élémentaire nous commande pourtant de le faire. Trop, c'est trop. Je craque, tu craques, nous craquons.

 

Songez qu'avant l'invention de ces engins de communication, très appréciés quand il s'agit d'échanger de l'amitié, nos journées étaient déjà bien remplies. Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Nous, les plus de trente ans, sommes parfois pris à la gorge par ces centaines de messages. Nous avons mal à notre temps. Nous souffrons du manque. De ne pas pouvoir le prendre comme nous le souhaitons. Et ne me parlez pas de tous ces ouvrages sur la gestion du temps. Ils nous apprennent à mieux l'utiliser pour en caser encore plus. On remplit le temps libre pour finir par ne plus avoir la liberté de prendre du bon temps. Mieux habiter sa journée, sa nuit, doit rester une démarche personnelle. Chacun doit avoir à c?ur de découvrir son seuil de tolérance. Il s'agit donc d'y réfléchir. De déterminer sa zone de confort, celle dans laquelle on peut respirer intérieurement. L'art de débrancher, cela se cultive. Signe des temps??

 

Servitude volontaire

 

Certains commencent à développer leurs propres stratégies. B.a.-ba, selon Martine?: avoir deux portables?: un pro et un perso. En week-end, ne jamais allumer le pro. Idem le BlackBerry. Le laisser au fond d'un tiroir pendant deux jours. « Sinon, cauchemars assurés, avoue-t-elle. Je me mets à penser en boucle à tel ou tel dossier et je ne dors plus. Les entreprises ont beau nous dire que c'est pour nous faciliter l'existence, cela nous pousse à la roue. » Isabelle, partie cette semaine comme beaucoup en vacances, a pris soin de mettre en route le gestionnaire d'absence d'Outlook. Mais avec une sacrée astuce?: inscrire son retour pour mardi prochain et non lundi. Histoire de se donner une journée de répit pour reprendre plus confortablement le travail. Quant à François, il ne lit plus jamais les mails où il est en copie. « Si on cherche à me joindre, on m'écrit directement. »

 

Tous ces petits arrangements avec le temps sont bon signe. Ces stratégies de précaution illustrent un phénomène nouveau?: celui d'avoir dépassé le stade où l'on veut prouver à tout prix son efficacité, où on pèche par perfectionnisme, où on ne sait jamais dire non, où enfin on veut montrer qu'on est le meilleur. En se mettant (partiellement) aux abonnés absents, le cadre des années 2000 tranche avec celui des années 90. Il prend ses distances avec ce monde de la servitude volontaire. Il apprend à gérer le stress. À faire le tri. Il met en ?uvre une bonne gestion de ses débordements permanents. Il reprend un peu de ce dont il se sent chaque jour plus dépouillé. Et retrouve le pouvoir de dire non. Non, vous ne me joindrez plus au téléphone. Ma messagerie est très efficace.

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