Arabie saoudite : le roi du pétrole Aramco baisse ses prix

La compagnie pétrolière royale va baisser de 1,5 à 2 dollars le prix de son baril de brut pour ses clients à partir de février. Elle fait face à la concurrence d'autres producteurs notamment en Asie où se concentre la majorité de ses ventes. Une décision logique mais qui va à l'inverse de la politique de réduction de la production défendue par Riyad au sein de l'Opep+ pour maintenir les prix du baril au-dessus des 80 dollars.
Robert Jules
Saudi Aramco réalise entre 70% et 80% de ses ventes de brut et de produits raffinés en Asie.
Saudi Aramco réalise entre 70% et 80% de ses ventes de brut et de produits raffinés en Asie. (Crédits : Reuters)

C'est l'équation classique d'une entreprise face à la concurrence : réduire ses prix pour conserver ses parts de marché. Dimanche, Aramco, l'entreprise royale d'Arabie saoudite, qui compte parmi les plus grandes compagnies pétrolières du monde, a indiqué à ses clients asiatiques, européens et américains qu'elle allait baisser le prix officiel de ses bruts de 1,5 dollar à 2 dollars par baril à partir de février. Le royaume a exporté en moyenne 6,3 millions de barils par jour (mb/j) en 2023.

La troisième capitalisation mondiale derrière Apple et Microsoft se voit concurrencée auprès des raffineurs par d'autres bruts de la région aux prix plus attractifs. La marge des raffineurs se constitue de la différence entre le prix du brut et le prix du produit raffiné, par exemple du diesel ou de l'essence. C'est surtout en Asie (Chine, Japon, Corée du sud, Inde et Philippines), où Aramco réalise entre 70% et 80% de ses ventes de brut et de produits raffinés, que les parts de marché sont le plus disputé.

Pourvoyeur de recettes pour le budget public

A la différence d'une entreprise privée, Aramco, qui est le principal pourvoyeur de revenus du royaume saoudien pour alimenter son budget public, doit tenir compte d'un cadre politique, fixé à la fois par le gouvernement et par la participation du pays à l'Opep, l'organisation des 13 pays exportateurs, dont il est de facto le leader, qui a passé une alliance avec 10 autres pays (11 depuis le 1er janvier avec l'arrivée du Brésil) dont la Russie.

Or, des tensions sont apparues au sein du cartel, certains pays africains comme le Nigéria et l'Angola refusant de se voir imposer une baisse de leur quota de production, ce qui a poussé l'Angola à annoncer son départ de l'organisation même si à ce jour le pays en est toujours formellement membre.

En effet, l'effort de baisse de la production de l'Opep+ est principalement fourni par l'Arabie Saoudite, et dans une moindre mesure par la Russie, sous sanctions des pays du G7 et de leurs alliés, censées restreindre ses volumes d'exportation. Le royaume a réduit de 2 millions de barils par jour ses extractions soit quelque 16% de sa production depuis novembre dernier.

Ralentissement de la croissance économique mondiale

Mais cette politique est en train d'atteindre ses limites. D'une part, les coupes du cartel ont été largement compensées par les pays non-Opep+ comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil et le Guyana, et d'autre part les perspectives de la demande pétrolière mondiale dans les prochains mois de 2024 sont plutôt révisées à la baisse. Cela a d'ailleurs donné lieu à une polémique entre l'Opep et l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la première considérant que la seconde sous-estimait les futurs besoins mondiaux. La première prédit que nous brûlerons en moyenne en 2024 1 mb/j de plus qu'en 2023, soit 102,8 mb/j, tandis que la deuxième prévoit une augmentation des besoins l'année prochaine de 2,2 mb/j, soit 104,3 mb/j. Une différence qui s'explique par la divergence des perspectives de croissance des pays émergents, notamment la Chine.

Or, cette dernière, premier importateur mondial de pétrole, a chargé 1,38 mb/j de brut saoudien en décembre, contre 1,7 mb/j en novembre, soit le plus bas volume depuis juillet, selon les données compilées par LSEG Oil Research, citées par l'agence Reuters.

Trois clients asiatiques de brut saoudien, interrogés par l'agence Bloomberg, ont également indiqué que la baisse des prix d'Aramco ne les conduirait pas à augmenter leurs livraisons, alors que se profile la période de maintenance dans les raffineries asiatiques. En revanche, les importations chinoises en provenance des États-Unis étaient de 430.000 b/j en décembre, contre 220.000 b/j en novembre et le plus élevé depuis juin, tandis que celles en provenance du Brésil étaient de 840.000 b/j, contre 810.000 b/j en novembre, soit une troisième hausse mensuelle consécutive.

Cette orientation du marché pétrolier est un revers pour le ministre de l'Energie saoudien, le prince Abdulaziz bin Salman, qui n'a pas manqué de fustiger régulièrement les « spéculateurs » sur les marchés à terme du pétrole qui « shortent » le marché, autrement dit qui vendent aujourd'hui des barils pour une échéance plus lointaine, en pariant que les cours seront plus bas au moment où ils devront livrer les barils.

Mais les investisseurs ont intégré ces derniers mois que durant le premier semestre de 2024 le ralentissement économique mondial va s'accentuer en particulier avec une conjoncture plutôt morose en Chine, comme l'ont reconnu les plus hauts dirigeants du Parti communiste (PCC) en concédant en décembre que le pays allait rencontrer des « difficultés » pour relancer l'activité économique du pays.

Reconstitution des stocks mondiaux

Les investisseurs jugent donc que les coupes de l'Opep+ n'empêcheront pas la reconstitution des stocks à travers le monde, facteur de détente sur le front des prix du baril. Dans la semaine s'achevant le 2 janvier, les fonds d'investissement ont réduit leurs positions acheteuses (longues). « Cela s'est matérialisé par un flux baissier de 5,2 milliards de dollars, qui est venu principalement de la constitution de positions vendeuses (courtes) », pointaient lundi les experts matières premières chez SG dans leur rapport hebdomadaire.

 A court terme, les tensions géopolitiques, notamment au Moyen Orient, où la rébellion des Houthies yéménites perturbent le flux maritime en mer Rouge par où transite 9% du transport maritime de pétrole, sont de nature à faire monter les cours. De même, des perturbations dans la production pétrolière en Lybie ont été ces derniers jours un facteur de soutien. Mardi, en fin d'après-midi, le prix du baril de Brent était en hausse de quelque 2%, à 77,6 dollars, celui de baril de WTI, la référence américaine, augmentait de 2,4%, à 72,4 dollars. Mais sur un an, ils s'affichent respectivement en baisse de 3,3% et 4,3%.

Robert Jules
Commentaires 4
à écrit le 10/01/2024 à 7:27
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En effet c'est particulièrement parlant, le prix du pétrole est fortement tiré par le marché vers le bas à tel point qu'ils ont du mal à élever artificiellement les cours. La "main invisible" du marché leur met une gifle.

à écrit le 10/01/2024 à 6:36
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Bonjour, un prix trops élevés favorise les mesures d'économie... Un prix trops élevés précipite la transition énergétique... Ensuite, le royaume souhaitent sûrement se démarquer d'une politique de confrontations énergétique voulus par la russie.....

le 10/01/2024 à 14:24
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Merci pour ces réflexions lumineuses

à écrit le 09/01/2024 à 23:06
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Pourquoi baisser ses prix? Il y a des quotas.

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