Prix de l’électricité : à peine signé, l’accord entre l’Etat et EDF déjà fragilisé

Par Marine Godelier  |   |  1005  mots
Le PDG d'EDF, Luc Rémont, aux côtés du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. (Crédits : Reuters)
Trois mois après l’annonce d’un accord entre EDF et l’Etat sur les prix de l’électricité après 2025, Bercy s'interroge sur la pertinence du modèle retenu. Avec la baisse impressionnante des cours de l’énergie observée ces dernières semaines, en effet, le fournisseur historique conclut moins de contrats que prévu. Au point que le gouvernement n’écarte pas la possibilité de privilégier un système de régulation plus poussée des tarifs si la situation ne se débloque pas, une option jusqu’ici refusée par EDF.

Il était censé « faire entrer EDF dans le 21ème siècle », selon le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire ; trois mois plus tard, il vacille déjà. Annoncé en grande pompe à Bercy en novembre dernier, l'accord entre EDF et l'Etat sur les prix de l'électricité en France après 2025 ne sera peut-être bientôt plus d'actualité. Alors même qu'il devait poser « les bases de la nouvelle régulation de l'électricité nucléaire » afin de contenir les factures des consommateurs tout en permettant à l'énergéticien de s'y retrouver financièrement, l'exécutif explore déjà d'autres options.

« Il y a d'autres dispositifs possibles qu'on a obtenus en Europe [avec la réforme du marché de l'électricité, ndlr]. On n'écarte pas l'idée de s'en servir », a ainsi fait savoir mercredi Roland Lescure, le nouveau ministre délégué à l'Énergie et à l'Industrie.

Ce qui expliquerait d'ailleurs pourquoi le gouvernement compte retirer le chapitre sur la régulation des prix de son projet de loi sur la « souveraineté énergétique » malgré l'impatience des industriels, désireux de connaître dès aujourd'hui les futurs tarifs de l'électricité. En effet, selon une source proche du dossier, Bercy temporise par crainte que le système négocié avec EDF ne soit finalement pas adapté et nécessite des ajustements.

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Roland Lescure « appelle EDF et les industriels à nouer des contrats au plus vite »

Concrètement, l'accord obtenu en novembre consiste à laisser EDF définir largement ses prix de vente en fonction de ceux du marché, avec une ponction des profits par l'Etat au-delà d'un certain montant très élevé. La puissance publique n'interviendrait que si les prix dépassent 78 à 80 euros le mégawattheure (MWh) en prélevant la moitié des bénéfices au-delà de ce seuil, et 90% au-dessus de 110 euros le MWh. En dehors de ces cas exceptionnels, les tarifs dépendraient donc avant tout des contrats d'approvisionnement noués entre l'électricien historique et ses clients professionnels, industriels comme fournisseurs, pour une livraison sur le moyen et le long terme.

Seulement voilà : depuis quelques semaines, les prix de l'électricité chutent sur les marchés. Par conséquent, l'électricien tarde à nouer des contrats avec des industriels et des fournisseurs, probablement parce que ces derniers exigent, la plupart du temps, un tarif inférieur à son prix de réserve (c'est-à-dire, le prix en-dessous duquel il refuse de contracter). Or aucun filet de sécurité n'est prévu par l'accord dans ce cas de figure, comme nous l'expliquions en janvier. « J'appelle EDF et les industriels à nouer des contrats au plus vite », a ainsi fait valoir mercredi Roland Lescure, bien impuissant face à ce phénomène que l'exécutif n'avait visiblement pas vu venir.

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Le système de vente aux enchères à la peine

Le dispositif mis en place en septembre par EDF pour « tester » le marché l'illustre d'ailleurs parfaitement. L'entreprise a en effet créé un système de vente aux enchères pour « former les prix de détail » d'ici aux prochaines années, voué à s'adresser à « la très grande majorité du marché, de la société de production automobile au groupe de distribution alimentaire, des TPE et des PME ». Le but : approvisionner ces acteurs sur cinq ans à un prix connu d'avance, fixé par enchères, afin de lui permettre d'anticiper ses revenus.

Or, au cours des quinze derniers jours, ce système d'enchères n'a abouti qu'une seule fois...à 65 euros le MWh seulement pour livraison en 2028. « En termes réels, ce sera probablement encore moins, car il faut prendre en compte l'inflation à venir », note l'économiste spécialiste des marchés de l'énergie Jacques Percebois. Depuis la mi-janvier d'ailleurs, aucune livraison pour 2028 n'a atteint la barre des 70 euros le MWh, et les enchères sont infructueuses la plupart du temps. En novembre pourtant, ce système sortait des prix entre 80 et 85 euros pour 2027, et entre 70 et 77 euros pour 2028. En septembre, EDF estimait même que les prix issus des enchères pour ces dates « ne devraient pas être très différents de ce que l'on a vu au cours de ces dernières semaines [...] donc pour ces horizons-là [...] un peu inférieurs à 100 euros » !

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Prix plancher ?

Dans ce contexte, l'autre option qu'envisage le gouvernement si la situation ne se débloque pas est celle du contrat pour différence (CfD), un mécanisme pourtant écarté en fin d'année dernière. L'idée : définir un prix plafond au-delà duquel les profits d'EDF seraient prélevés par l'Etat, mais aussi un prix plancher en-dessous duquel il compensait l'entreprise pour la vente de sa production.

Jusqu'ici, un tel dispositif avait été refusé par EDF, qui pariait sur des prix élevés et ne souhaitait pas voir sa production massivement régulée par les pouvoirs publics, préférant vendre selon ses propres conditions.

« Il considérait probablement qu'il n'y avait pas de risque important à terme, que le prix de gros se situerait toujours au-dessus des 70 euros/MWh », expliquait il y a quelques semaines Jacques Percebois.

Par ailleurs, le groupe voulait à tout prix éviter que l'exécutif bruxellois ne lui impose un démantèlement, avec une séparation de ses activités dans le renouvelables notamment, à l'instar du projet Grand EDF (ex-Hercule). Et ce, au motif d'une protection trop forte assurée par l'Etat face aux risques du marché.

Reste à voir, donc, si l'accord sera effectivement revu. L'exécutif se laisse jusqu'à l'été avant de dresser un bilan exhaustif, et pourrait passer le futur cadre de régulation - quel qu'il soit - dans le prochain projet de loi de finances (PLF), même si rien n'est encore acté. Sollicité, EDF n'a pas souhaité faire de commentaires.

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