Prix de l’électricité : l’Etat privilégie le marché sur la régulation

Alors que le gouvernement espérait réguler l'ensemble du parc nucléaire d’EDF, afin d'assurer une visibilité maximale sur les tarifs de l'électricité, l’accord qu’il a obtenu avec l’énergéticien favorise davantage la fixation des prix par les marchés. Celui-ci pourra donc vendre son électricité selon ses propres conditions, via des systèmes d’enchères ou en négociant des contrats de gré à gré, sans se voir imposer les termes par l’Etat.
Marine Godelier
Le futur système négocié avec l'Etat permettra à EDF de se débarrasser de ce qu'il présentait comme l'un de ses plus gros boulets : l'ARENH (pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique).
Le futur système négocié avec l'Etat permettra à EDF de se débarrasser de ce qu'il présentait comme l'un de ses plus gros boulets : l'ARENH (pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique). (Crédits : Reuters)

Exit l'encadrement par l'Etat des tarifs de l'électricité nucléaire. Malgré sa promesse d'en « reprendre le contrôle », le gouvernement renonce à l'idée d'administrer les prix de vente d'EDF en fonction de ses coûts de production, plutôt que selon les cours - anarchiques - observés sur les bourses d'échange. Dans l'accord décroché avec l'énergéticien le 14 novembre dernier, l'exécutif valide en effet la stratégie de commercialisation du groupe selon ses propres termes.

Ainsi, la puissance publique n'interviendra que si les prix dépassent 78 à 80 euros le mégawattheure (MWh), en ponctionnant la moitié des bénéfices passé ce seuil (et 90% au-delà de 110 euros le MWh). Autrement dit, en dessous de ce montant très élevé par rapport aux niveaux d'avant-crise, EDF aura le champ libre. Surtout, ces seuils pourront être revus tous les trois ans, à la hausse comme à la baisse, selon l'évolution réelle des cours observée sur les bourses d'échange.

Lire aussiPrix de l'électricité nucléaire : EDF, le seul grand gagnant de l'accord ?

L'accord privilégie la formation du prix sur le marché

Soit un modèle bien éloigné de celui prôné par l'exécutif il y a encore quelques semaines, puisqu'il espérait réguler l'ensemble du parc nucléaire afin d'assurer une visibilité maximale sur le tarif de l'électricité. Et voulait, par là même, plafonner le prix de vente à un niveau proche des coûts de production d'EDF, estimés autour de 60 euros le MWh par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

De son côté, le PDG d'EDF, Luc Rémont, ne l'entendait pas de cette oreille. Afin de vendre à un montant qui lui permet d'investir, sans se voir imposer des couloirs de prix, le groupe (dont l'Etat a récemment acquis 100% du capital) préférait négocier des contrats selon ses termes, sur des logiques de marché. Celui-ci avançait d'ailleurs des coûts complets de production bien supérieurs à ceux établis par la CRE, autour de 75 euros par MWh sur la période 2026-2030, auxquels il faudrait ajouter des marges pour assurer le renouvellement du parc. Dans l'accord rendu public la semaine dernière, force est de constater que cette option a été privilégiée, après des mois de négociations tendues.

« Il met à l'abri de toute ingérence de la Commission européenne, opposée à des distorsions de concurrence, en fixant des prix qui seront très largement ceux du marché. EDF en sort grand gagnant, mais aussi l'Allemagne, à qui l'on donne la garantie que le nucléaire ne sera pas vendu à un montant très attractif aux usagers français, ce qui aurait nui à sa compétitivité », analyse l'économiste Jacques Percebois, qui siégeait à la fameuse Commission Champsaur de 2009, à l'origine de l'instauration d'un accès régulé à l'énergie nucléaire.

Ce système permettra ainsi à l'énergéticien de se débarrasser de ce qu'il présentait comme l'un de ses plus gros boulets : l'ARENH (pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Et pour cause ce mécanisme le contraint depuis 2010 à vendre à 42 euros le MWh seulement une partie de sa production aux fournisseurs concurrents, afin de répercuter cette ristourne aux consommateurs.

Aucune garantie sur les 70 euros/MWh

Après 2025, les tarifs dépendront donc avant tout des contrats d'approvisionnement noués entre EDF et ses clients professionnels, industriels comme fournisseurs, pour une livraison sur le moyen et le long terme. Or, ceux-ci seront forcément négociés en fonction des conditions de marché.

« L'objectif, c'est de permettre à EDF d'engranger des recettes compatibles avec son programme d'investissement », a précisé mardi Marc Benayoun, directeur exécutif en charge du pôle Clients, Services et Territoires du groupe, alors que ce dernier va faire face à un mur de dépenses pour prolonger et renouveler son parc.

Contrairement au discours du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, d'ailleurs, l'accord ne grave pas dans le marbre un tarif de l'électricité nucléaire autour de 70 euros le MWh. Dans les faits, ce chiffre correspond uniquement aux prévisions d'EDF des cours du marché entre 2026 et 2040, indépendamment de toute intervention étatique.

« Les 70 euros en moyenne renvoient aux résultats de nos anticipations sur le long terme, là où les prix peuvent se former sur 15 ans dès 2026, en tenant compte de l'ensemble des modèles économiques qu'on a sur la formation des prix de l'électricité », a ainsi rectifié Luc Rémont, le PDG d'EDF, mardi dernier.

« Nous pensons que c'est un niveau tout à fait réaliste [...] vu les prix de gros orientés à la baisse », ajoute-t-on au sein de l'entreprise.

« Il s'agit d'une cible commerciale, et pas d'un prix régulé comme les 42 euros de l'ARENH (...). Cependant, bien malin celui qui peut dire quel sera le cours sur les bourses d'échange, ne serait-ce que dans trois ans », commente Jacques Percebois.

Un marché de moyen terme via des ventes aux enchères

En attendant, EDF veut donc vendre son électricité selon ses propres conditions, via les bourses d'échange ou à travers des contrats de gré à gré. Pour ce faire, le groupe tente d'abord de faire émerger un marché de moyen terme. Il lui permettra d'approvisionner sur cinq ans ses concurrents et d'autres entreprises à un prix connu d'avance, fixé par enchères, et ainsi d'anticiper ses revenus.

« Cela concerne la très grande majorité du marché, de la société de production automobile au groupe de distribution alimentaire, des TPE et des PME. Nous allons les inciter à acheter via ce système à des horizons 2027-2028 », a précisé mardi Marc Benayoun.

Après une première expérimentation lancée dès septembre sur un ruban de 100 mégawatts, l'énergéticien a annoncé qu'il mettra bientôt à disposition des volumes supplémentaires pour 2027 et 2028, sans donner davantage de détails. Or, jusqu'ici, les enchères ont sorti des prix « entre 80 et 85 euros pour 2027, et entre 70 et 77 euros pour 2028 », a affirmé EDF. Soit des niveaux éloignés des coûts de production, selon les calculs de CRE. Cette dernière estime que le coût d'un ruban d'électricité nucléaire a certes augmenté... mais il ne dépassera pas les 57 euros par MWh sur la période 2026-2030.

Dans le détail, sur 76 cotations lancées depuis le 27 septembre, 26 ont trouvé preneur, soit 34,2%. En moyenne, celles-ci ont généré un prix de 85,5 euros pour livraison en 2027, et de 78,8 euros pour 2028. Sans surprise, la baisse des cours observée sur les marchés de court terme a influencé ces enchères : alors qu'un ruban d'électricité se vendait autour de 90 euros pour 2027 en septembre, celui-ci est tombé à 85 euros en moyenne en octobre et novembre, et moins de 80 euros en novembre. Par ailleurs, selon EDF, aucune offre n'a été formulée pendant dix jours - autrement dit, pour les cinquante autres n'ayant pas abouti, les offres étaient probablement inférieures au montant minimum demandé par l'énergéticien, maintenu secret.

« Ces enchères sont opaques, on ne connaît pas le prix minimum d'EDF, ni même si celui-ci varie en fonction des conditions de marché », regrette-t-on à l'AFIEG (Association Française Indépendante de l'Électricité et du Gaz).

Les plus gros consommateurs incités à signer des contrats adossés à la production nucléaire

Par ailleurs, pour alimenter les plus gros consommateurs d'énergie, EDF va proposer un deuxième système : ceux-ci pourront signer des contrats adossés à des actifs nucléaires. Ces « partenariats » porteront sur des durées de 10 à 15 ans, voire au-delà. S'apparentant à des contrats de type PPA (Power purchase agreement), ils incluront des avances versées par les clients. Objectif, réserver une portion de la production du parc nucléaire, avec des paiements qui seraient ensuite fonction des coûts de revient des centrales. L'électricien souhaite ainsi partager ses risques et obtenir de la visibilité sur ses revenus.

« Maintenant que l'accord est posé, nous allons solliciter l'ensemble des électro-intensifs, qui sont environ 150 en France pour une consommation annuelle de 40 TWh, avec des propositions d'allocations de production. Nous anticipons que leur demande correspondra à la moitié de leurs besoins, en raison d'incertitudes sur l'évolution du carnet de commandes, et du fait qu'ils achèteront aussi partie sur termes plus courts », a expliqué Marc Benayoun.

Les volumes délivrés varieront ainsi selon la production d'EDF. L'énergéticien s'engage néanmoins à fournir « des prévisions régulières » en la matière. Au global, les prix de marché de l'électricité, et donc ceux payés par la plupart des consommateurs, dépendront d'ailleurs fortement de l'offre générée par le groupe. Après une année 2022 catastrophique, au cours de laquelle le parc atomique n'a produit que 275 térawattheures (TWh), l'objectif sera ainsi d'atteindre au moins 400 TWh d'ici à la fin de la décennie.

Lire aussiProduction nucléaire : comment EDF tente de redresser la barre

Marine Godelier

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Commentaires 13
à écrit le 23/11/2023 à 15:01
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Où trouve-t-on le catalogue des prix de l'électricité? La Redoute? Amazon?

à écrit le 23/11/2023 à 9:00
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Et ces gougnafiers ne vont pas revaloriser le chèque énergie compensatoire (remise d'impot inflation et incompétence court et long terme). Gougnafiers ! Y'en a marre de payer pour l'incompétence de décideurs grassement payés !

le 23/11/2023 à 12:12
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"le chèque énergie" j'ai entendu qu'il serait question (peut-être suggestion de certains, pas des payeurs à Bercy) de l'augmenter (la dernière fois il avait déjà été augmenté, même avec le "bouclier tarifaire"). La meilleure énergie est celle pas con...

à écrit le 23/11/2023 à 8:09
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C´est typiquement français : une quantité de choses sont subventionnées, ou même gratuites (alors que rien ne l´est, comme les cartes d´identité), donc ça plombe le budget de l´État (qui n´a plus d´argent pour investir), et la population a certes sou...

le 23/11/2023 à 12:19
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"paye l´énergie à un coût proche de la réalité" le prix comporte pas mal de marges bénéficiaires, un commerçant doit bien profiter pour fonctionner sinon il ferme boutique. La CA d'EDF touche 1% des sommes versées, on pourrait déjà baisser de 0,5% le...

le 23/11/2023 à 16:02
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@Photo73: Je me permets de corriger le destinataire du 1% qui est le Comité d'Entreprise; Raymond, toujours précisément informé, nous dirait l'histoire d'une telle générosité. Pour le Conseil d'Administration, ses membres ne sont certainement pas à l...

à écrit le 23/11/2023 à 7:38
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Le consommateur va souffrir.

à écrit le 22/11/2023 à 20:15
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« L'objectif, c'est de permettre à EDF d'engranger des recettes compatibles avec son programme d'investissement », a précisé mardi Marc Benayoun, directeur exécutif en charge du pôle Clients, Services et Territoires du groupe, alors que ce dernier va...

à écrit le 22/11/2023 à 19:40
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Ni plus ni moins qu'une entente entre deux truands visant à socialiser (deux fois) la dette stratosphérique de l'ancienne EDF au travers de la formation des prix (le "pizzo")😎

à écrit le 22/11/2023 à 19:22
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Macron voyou, les énergies c'est son dada, voilà le résultat, après avoir cassé le nucléaire il le relance pour faire croire qu'il sert à quelque chose, c'est comme faire et défaire c'est toujours faire, c'est pas lui qui paiera.

le 23/11/2023 à 12:23
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FH ne voulait pas fermer la moitié des réacteurs (d'après quelle logique ? Faire plaisir à Angela ? Même des écolos 'pragmatiques' (= non figés par des idées immuables) pensent que c'est une technologie intermédiaire pour réduire le CO2 avant de les ...

à écrit le 22/11/2023 à 18:46
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je me disais bien qu il y avait u e embrouille .quand c est flou y a un loup ! gagné !

à écrit le 22/11/2023 à 17:51
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quel titre!!! voila le mien :' L'etat francais, qui a fait une OPA a 10 euros sur EDF introduit a 35, apres de viles manipulations de cours bizarreement non poursuivies en penal, souhaite desormais remplir SES cauisses au maximum en n'etant plus cont...

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