EDF s'est-il montré trop gourmand ? Alors qu'il apparaissait comme le grand gagnant de l'accord sur la régulation du parc nucléaire dévoilé par Bercy fin 2023, en évitant l'encadrement de ses tarifs par l'Etat, ce pari pourrait finir par lui coûter cher. Et pour cause, en décidant d'écouler sa production selon les conditions du marché, l'énergéticien échappe à un plafonnement strict de ses prix...mais également à d'éventuelles compensations en cas de chute des cours.
« L'entreprise y gagne si les prix de marché restent élevés, mais ne bénéficiera d'aucun parachute quand l'électricité se vendra à un montant inférieur à ses coûts de production sur les bourses européennes », précise à La Tribune Jacques Percebois, économiste et spécialiste de l'énergie.
Or, depuis quelques semaines et en dépit de la vague de froid, ceux-ci « sont en chute libre », souligne Emeric de Vigan, vice-président chargé des marchés électricité chez Kpler. Pour une livraison au deuxième trimestre 2024, par exemple, un mégawattheure (MWh) s'échangeait ce jeudi à 64 euros le MWh, contre plus de 90 euros si ce même volume avait été acheté fin novembre 2023. En cause, notamment : une baisse de la consommation d'énergie, des prévisions de croissance économique faible et une meilleure disponibilité des moyens de production bas carbone, notamment nucléaire.
Baisse des prix à moyen terme
Via le système de vente aux enchères qu'EDF a créé il y a quelques mois pour « former les prix de détail » afin d'échapper à l'encadrement de ses tarifs, l'électricité s'écoule d'ailleurs à 70 euros le MWh pour livraison en 2028. « En termes réels, ce sera probablement encore moins, car il faut prendre en compte l'inflation à venir », note Jacques Percebois. Début décembre, les bandeaux de nucléaire pour 2028 sortaient même à 68 euros du MWh en euros courants.
Quelques semaines plus tôt, pourtant, ceux-ci s'échangeaient autour de 80 euros. En septembre d'ailleurs, EDF estimait que les prix issus des enchères pour 2027 et 2028 « ne devraient pas être très différents de ce que l'on a vu au cours de ces dernières semaines [...] donc pour ces horizons-là [...] un peu inférieurs à 100 euros ». Soit un montant bien supérieur à ce que l'on observe aujourd'hui.
Vente à perte ?
Une question se pose alors : EDF vendra-t-il bientôt à un tarif inférieur au prix de revient de ses centrales ? Il y a quatre mois, l'entreprise a en effet déclaré que les coûts complets de son parc nucléaire s'élevaient à 74,80 € par MWh sur la période 2026-2030. « Ce qui l'intéresse, c'est d'écouler sa production à un montant relativement haut, avec des marges pour se donner les moyens de renouveler ses infrastructures », explique Jacques Percebois.
« Mais si les prix continuent de baisser, cela posera la question majeure de la rentabilité des actifs de production », enchérit Emeric de Vigan.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE), elle, se montrait néanmoins beaucoup plus optimiste : dans un rapport commandé par le gouvernement et publié en septembre, celle-ci estimait les coûts du parc atomique entre 57 et 61 euros le MWh. Cependant, l'autorité administrative prenait l'hypothèse d'un prix de vente garanti par l'Etat s'appliquant à la totalité de la production, comme le souhaitait le gouvernement. Alors que ce cadre, qui « constitue le principal facteur d'écart entre le coût exposé par EDF et celui retenu par la CRE », n'a pas été retenu, le prix du nucléaire devrait être plus élevé.
Éviter un démantèlement
Mais alors pourquoi EDF a-t-il choisi ce système ? « Il considérait probablement qu'il n'y avait pas de risque important à terme, que le prix de gros se situerait toujours au-dessus des 70 euros/MWh », avance Jacques Percebois. Par ailleurs, le groupe voulait à tout prix éviter que l'exécutif bruxellois ne lui impose un démantèlement, avec une séparation de ses activités dans le renouvelables notamment, à l'instar du projet Grand EDF (ex-Hercule). Et ce, au motif d'une protection trop forte assurée par l'Etat face aux risques du marché.
« En fixant des prix qui seront très largement ceux du marché, l'accord met à l'abri de toute ingérence de la Commission européenne, opposée à des distorsions de concurrence », poursuit l'économiste.
Alors que les cours baissent, EDF se montre-t-il toujours aussi confiant ? Sollicité par La Tribune, le groupe n'a pas souhaité faire de commentaires. « Si l'on assiste à un renversement des fondamentaux du marché, il fera appel à son actionnaire, l'Etat, qui tapera à la porte du contribuable », estime de son côté Fabien Choné, ancien patron de Direct Energies et ex-président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE).
« Comme pour le Covid-19, on se rend compte que l'on se trompait en affirmant, en pleine tempête, que « plus rien ne sera jamais comme avant ». Nous allons probablement vite nous retrouver face aux problématiques rencontrées en 2019, avec un prix de l'électricité trop faible pour les producteurs », ajoute Emeric de Vigan.
Reste néanmoins à voir si les cours continueront leur dégringolade, alors qu'ils restent malgré tout plus élevés que les niveaux d'avant-crise...
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