Prix de l’électricité : le jeu dangereux d’EDF

En refusant que le gouvernement lui impose un tarif de vente de son électricité, EDF pourrait s’être tiré une balle dans le pied : dans l’accord décroché avec l’Etat, qui privilégie le marché sur la régulation, aucun filet de sécurité n’est prévu en cas de chute des prix de gros en-dessous de ses coûts de production. Or, depuis quelques semaines, les cours dégringolent sur les bourses européennes…
Marine Godelier
Il y a quatre mois, l'entreprise a en effet déclaré que les coûts complets de son parc nucléaire s'élevaient à 74,80 € par MWh sur la période 2026-2030.
Il y a quatre mois, l'entreprise a en effet déclaré que les coûts complets de son parc nucléaire s'élevaient à 74,80 € par MWh sur la période 2026-2030. (Crédits : ERIC GAILLARD)

EDF s'est-il montré trop gourmand ? Alors qu'il apparaissait comme le grand gagnant de l'accord sur la régulation du parc nucléaire dévoilé par Bercy fin 2023, en évitant l'encadrement de ses tarifs par l'Etat, ce pari pourrait finir par lui coûter cher. Et pour cause, en décidant d'écouler sa production selon les conditions du marché, l'énergéticien échappe à un plafonnement strict de ses prix...mais également à d'éventuelles compensations en cas de chute des cours.

« L'entreprise y gagne si les prix de marché restent élevés, mais ne bénéficiera d'aucun parachute quand l'électricité se vendra à un montant inférieur à ses coûts de production sur les bourses européennes », précise à La Tribune Jacques Percebois, économiste et spécialiste de l'énergie.

Or, depuis quelques semaines et en dépit de la vague de froid, ceux-ci « sont en chute libre », souligne Emeric de Vigan, vice-président chargé des marchés électricité chez Kpler. Pour une livraison au deuxième trimestre 2024, par exemple, un mégawattheure (MWh) s'échangeait ce jeudi à 64 euros le MWh, contre plus de 90 euros si ce même volume avait été acheté fin novembre 2023. En cause, notamment : une baisse de la consommation d'énergie, des prévisions de croissance économique faible et une meilleure disponibilité des moyens de production bas carbone, notamment nucléaire.

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Baisse des prix à moyen terme

Via le système de vente aux enchères qu'EDF a créé il y a quelques mois pour « former les prix de détail » afin d'échapper à l'encadrement de ses tarifs, l'électricité s'écoule d'ailleurs à 70 euros le MWh pour livraison en 2028. « En termes réels, ce sera probablement encore moins, car il faut prendre en compte l'inflation à venir », note Jacques Percebois. Début décembre, les bandeaux de nucléaire pour 2028 sortaient même à 68 euros du MWh en euros courants.

Quelques semaines plus tôt, pourtant, ceux-ci s'échangeaient autour de 80 euros. En septembre d'ailleurs, EDF estimait que les prix issus des enchères pour 2027 et 2028 « ne devraient pas être très différents de ce que l'on a vu au cours de ces dernières semaines [...] donc pour ces horizons-là [...] un peu inférieurs à 100 euros ». Soit un montant bien supérieur à ce que l'on observe aujourd'hui.

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Vente à perte ?

Une question se pose alors : EDF vendra-t-il bientôt à un tarif inférieur au prix de revient de ses centrales ? Il y a quatre mois, l'entreprise a en effet déclaré que les coûts complets de son parc nucléaire s'élevaient à 74,80 € par MWh sur la période 2026-2030. « Ce qui l'intéresse, c'est d'écouler sa production à un montant relativement haut, avec des marges pour se donner les moyens de renouveler ses infrastructures », explique Jacques Percebois.

« Mais si les prix continuent de baisser, cela posera la question majeure de la rentabilité des actifs de production », enchérit Emeric de Vigan.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE), elle, se montrait néanmoins beaucoup plus optimiste : dans un rapport commandé par le gouvernement et publié en septembre, celle-ci estimait les coûts du parc atomique entre 57 et 61 euros le MWh. Cependant, l'autorité administrative prenait l'hypothèse d'un prix de vente garanti par l'Etat s'appliquant à la totalité de la production, comme le souhaitait le gouvernement. Alors que ce cadre, qui « constitue le principal facteur d'écart entre le coût exposé par EDF et celui retenu par la CRE », n'a pas été retenu, le prix du nucléaire devrait être plus élevé.

Éviter un démantèlement

Mais alors pourquoi EDF a-t-il choisi ce système ?  « Il considérait probablement qu'il n'y avait pas de risque important à terme, que le prix de gros se situerait toujours au-dessus des 70 euros/MWh », avance Jacques Percebois. Par ailleurs, le groupe voulait à tout prix éviter que l'exécutif bruxellois ne lui impose un démantèlement, avec une séparation de ses activités dans le renouvelables notamment, à l'instar du projet Grand EDF (ex-Hercule). Et ce, au motif d'une protection trop forte assurée par l'Etat face aux risques du marché.

« En fixant des prix qui seront très largement ceux du marché, l'accord met à l'abri de toute ingérence de la Commission européenne, opposée à des distorsions de concurrence », poursuit l'économiste.

Alors que les cours baissent, EDF se montre-t-il toujours aussi confiant ? Sollicité par La Tribune, le groupe n'a pas souhaité faire de commentaires. « Si l'on assiste à un renversement des fondamentaux du marché, il fera appel à son actionnaire, l'Etat, qui tapera à la porte du contribuable », estime de son côté Fabien Choné, ancien patron de Direct Energies et ex-président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE).

« Comme pour le Covid-19, on se rend compte que l'on se trompait en affirmant, en pleine tempête, que « plus rien ne sera jamais comme avant ». Nous allons probablement vite nous retrouver face aux problématiques rencontrées en 2019, avec un prix de l'électricité trop faible pour les producteurs », ajoute Emeric de Vigan.

Reste néanmoins à voir si les cours continueront leur dégringolade, alors qu'ils restent malgré tout plus élevés que les niveaux d'avant-crise...

Lire aussiÉlectricité : les prix baissent, mais les factures vont augmenter !

Marine Godelier

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Commentaires 22
à écrit le 14/01/2024 à 23:08
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mais quelle honte .sur les factures il y à plus de TVA + TAXE contributions et l' abonnement que de consommation EDF mais quelle pays au secours au secours

le 19/01/2024 à 18:55
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Une technologie du passé pour une filière sans avenir Fini le mythe d'une sois disant énergie nucléaire illimité et la moins chère du monde. Le colosse nucléaire aux pieds d'argile commence à se fissurer tout comme le mythe d’ailleurs. C’est tout...

à écrit le 13/01/2024 à 0:48
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Il existe une solution simple, taxer l'énergie carbonée (la lignite Allemande) pour faire monter les prix.

le 13/01/2024 à 16:04
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Le plus efficace serait au contraire de retirer les taxe de notre production et les abonnements pour réduire les factures des Français..

à écrit le 12/01/2024 à 19:07
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« Le jeu dangereux d’EDF », votre titre et votre analyse ne correspondent pas entièrement à la réalité. Vous laissez croire qu’EDF est indépendant de l’État. C’est inexact. Pour suivre les directives de l’UE (mise en concurrence du marché de l’Énergi...

le 12/01/2024 à 20:54
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Jouir d'un monopole sur un marché aussi énorme et garanti que l'électricité impose quelques concessions. Les autres pays cadrent leur production électrique dans un modèle client-opérateur spécifique car l'électricité est une marchandise de réseau (ou...

à écrit le 12/01/2024 à 18:53
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L'équation financière du nucléaire est totalement impossible. C'est à dire qu'elle ne se réalisera pas. A l'instar de l'EPR Flamanville à 3 milliards, nous sommes dans une situation où les coûts réels vont dépasser les estimations d'un facteur 3 à 5....

le 12/01/2024 à 19:19
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@OfficierFred. Tout à fait d'accord avec vous 👍

le 13/01/2024 à 3:55
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100% d’accord avec vous !!!! La bulle française éclatera lorsque les EPR seront obligés de fermer 2 ans après leur mise en service pour défaut de conception et fissures et échappement des substances radioactives. Et pour cela les6 autres EPR en const...

à écrit le 12/01/2024 à 17:12
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Heureusement que le prix des patates ou des pâtes n'est pas manipulé arbitrairement par la collusion producteur - intermédiaires - état - Bruxelles - pseudo concurrents. On est dans les aberrations totales pour l'électricité

à écrit le 12/01/2024 à 14:43
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EDF peut perdre autant d'argent qu'il veut, l état (nous), payerons les pertes à tout jamais, comme pour la SNCF. Le patron d' EDF a voulu montrer son "indépendance" pour faire le chef, il sait que dans tous les cas les caisses seront renflouées par...

le 12/01/2024 à 19:24
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Grande méconnaissance du dossier. L’État privatise EDF pour mieux l'achever et vendre l'entreprise "par appartement" aux concurrents qui n'arrivent pas à décoller malgré les coups de pouces (géants) imposés à EDF, par l’État pour l'obliger à vendre l...

à écrit le 12/01/2024 à 13:59
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Les prix du marché chutent peut être mais ils restent 3 fois supérieure à l'Arehn...

à écrit le 12/01/2024 à 12:13
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He oui charlie! Le "marché" en fait c'est edf...

à écrit le 12/01/2024 à 12:06
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Il suffit a mon avis de regarder ou a investi les ministres sur la question, ou leurs amis car je pense qu'effectivement, c'est surtout l'état qui dérégule ! qui augmente les prix en dehors du marché et qui fait prendre le risque a edf !!! Trop fo...

à écrit le 12/01/2024 à 11:01
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N'oublions pas que les centrales nuclaies ont été payé par nos impôts nous sommes le seul pays au monde à payer l énergie plus cher que les pays a qui nous reviendrons. L ÉNERGIE.Vive nos politique!!!

le 12/01/2024 à 11:55
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Informez vous sur le prix de l'électricité payé par les Allemands, les Anglais entre autres.

à écrit le 12/01/2024 à 9:50
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Ne faites pas porter le CHAPEAU à EDF quand l'etat remet la taxe de 10 %

le 12/01/2024 à 11:51
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EDF = Une dette de 65 milliards d'euros, finalement nationalisée par l'État qui s'est porté actionnaire à 100%. Cherchez l'erreur!

le 12/01/2024 à 15:44
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L'accise existait avant mais avait été réduite fortement pour nous protéger. Ça coûte un 'pognon fou' (dépensé en notre nom, l'Etat c'est nous, du moins nos poches). La remettre au taux d'avant, est-ce si anormal ? On revient au contexte d'avant, mai...

à écrit le 12/01/2024 à 9:14
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EDF peut manipuler les cours comme il veut. Il suffit de stopper la production, et les cours de l'electricite s'envolent

le 12/01/2024 à 15:48
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Voire en produire plus que besoin, en vendant sur le marché de gros, ça peut rapporter plus que le marché intérieur (à ajuster en fonction du prix de gros, trop faible = mise en sommeil de la production). Si EDF arrêt, le prix s'envole mais n'en pro...

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