Après l'avoir reportée, le gouvernement a-t-il fini par renoncer à l'idée d'une loi sur la souveraineté énergétique, censée tracer le chemin vers une France débarrassée des combustibles fossiles ? Alors que l'ancienne Première ministre, Elisabeth Borne, avait assuré qu'il s'agirait de l'un des premiers textes examinés en 2024 - puisque la législation actuelle prévoit toujours un déclin du nucléaire et des objectifs sur les renouvelables moins ambitieux que ceux présentés par Emmanuel Macron -, l'ordre des priorités a bien changé. Jeudi 25 janvier, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire (qui a récupéré l'énergie dans son portefeuille avec le remaniement), a, en effet, freiné des quatre fers lors d'un déjeuner organisé avec une dizaine de parlementaires de la majorité. Au menu : la nécessité d'« enlever » du projet de loi ce qui est « dangereux » politiquement, au vu du contexte explosif et du risque de blocage à l'Assemblée et au Sénat.
Autrement dit, le titre Ier concernant la stratégie énergétique du pays serait bel et bien supprimé, ce qu'avait laissé entendre une version largement édulcorée du texte consultée mi-janvier. Mais Bercy souhaite également, selon nos informations, alléger considérablement le titre III portant sur la régulation des prix de l'électricité, a signalé le ministre lors du déjeuner. « Il nous a affirmé que ce qui est lié à la négociation tarifaire avec EDF est dangereux. Le projet de loi sera donc probablement réécrit pour retirer les seuils au-delà desquels l'opérateur nucléaire devra contribuer à la stabilité des prix », glisse à La Tribune l'un des parlementaires présents.
Ne resteraient donc que les volets concernant le contrôle accru des fournisseurs d'énergie, le renforcement des obligations prudentielles ainsi que le régime des concessions hydrauliques. Soit des sujets annexes, qui ne répondent pas à la question principale : comment passer de 60% d'énergie consommée provenant du pétrole, du charbon et du gaz en France aujourd'hui, à seulement 40% d'ici à 2030 ?
Bercy ne fait « pas de commentaire »
Or, ce rétropédalage fait des remous au sein-même de la majorité. « Le sujet, ce n'est plus si Bercy va enterrer le texte, mais la méthode d'inhumation : ils veulent tout sabrer sauf ce qui est inoffensif », lâche un autre parlementaire présent à la réunion.
Sollicité, le ministère de l'Economie ne fait « aucun commentaire », si ce n'est que « le ministre s'exprimera prochainement sur le calendrier législatif ». De quoi exaspérer l'opposition, maintenue dans le flou le plus total. « C'est la confusion. On ne connaît ni la date d'examen, ni même le périmètre. On ne sait pas si le volet planification sera réintroduit, ou au contraire si le texte sera vidé encore un peu plus », glisse Daniel Gremillet, sénateur LR des Vosges et membre du Conseil supérieur de l'énergie. « Aucune information », « rien », « même situation », égrainent tour à tour les parlementaires interrogés.
Risque de découpe
Avant le remaniement pourtant, l'ex-ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait affirmé le 7 janvier à La Tribune que ce texte « majeur » serait présenté en Conseil des ministres le plus rapidement possible, c'est-à-dire « fin janvier-début février ». « Nous y traitons [...] la régulation des prix de l'électricité conformément à l'engagement du président », avait-elle alors souligné. Dans le titre III, dédié à cette question, le projet de loi mentionnait effectivement des seuils à partir desquels EDF devait « contribuer à la mission de réduction et de stabilité des prix » des consommateurs, via une « contribution » prenant la forme d'une « quote-part ».
Concrètement, il s'agissait là d'une transcription juridique de l'accord entre EDF et l'Etat annoncé le 14 novembre dernier par Bruno Le Maire, censé garantir aux Français un prix de l'électricité nucléaire « autour de 70 euros le mégawattheure (MWh) ». Et ce, en prélevant 50% des revenus d'EDF lorsque l'entreprise vendra sa production au-delà de 78-80 euros/MWh, puis ponctionner 90% au-delà de 110 euros/MWh. Or, si rien n'est officiel, « Bercy ne voit pas comment ce chapitre de la loi peut passer sereinement l'étape de la navette parlementaire », assure une source présente au déjeuner. Résultat : le gouvernement pourrait finalement recourir au 49.3 pour le passer dans la prochaine loi de finances, estime cette même source.
« Si vous intégrez cet accord dans le projet de loi Souveraineté énergétique, vous ouvrez la voie à sa remise en cause par les députés et les sénateurs. L'idée, c'est donc de ne pas le mettre à la découpe », ajoute un autre macroniste à la table.
« L'exécutif risquerait de ne pas retomber sur ses pattes, car les parlementaires pourraient revoir le mécanisme négocié avec EDF, alors même que l'Etat est actionnaire à 100% d'EDF », renchérit un troisième député présent.
Malgré l'obligation juridique, le volet programmation ne reviendra pas
Par ailleurs, comme le laissaient supposer les dernières versions du texte, tout le volet « programmation », c'est-à-dire les grandes orientations de la France en matière d'énergie, ne reviendront pas. Officiellement, pour « prendre le temps de le retravailler », explique-t-on à Bercy. Officieusement, là encore, afin d'éviter un débat parlementaire dynamité par l'opposition, considèrent de nombreuses parties prenantes. « C'est embêtant. Des avancées importantes avaient pourtant été réalisées avec Agnès Pannier-Runacher et les groupes de travail sur la stratégie énergie-climat », regrette un député macroniste ayant requis l'anonymat. Avant de nuancer : « Il ne faut pas oublier, cependant, que nous nous trouvons en majorité relative à l'Assemblée nationale ».
Il n'empêche : l'Etat se trouvait normalement dans l'obligation légale de se doter d'une nouvelle loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) avant le 31 juillet 2023, censée « fixer les priorités d'action de la politique climatique et énergétique nationale en tenant compte du rehaussement de l'objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre à -55% d'ici à 2030 ». Une ambition d'ailleurs réaffirmée en novembre 2019 sous le premier mandat d'Emmanuel Macron.
Loi ou simple règlement ?
Mais à l'heure actuelle, rien ne garantit qu'une telle loi existera bien. Plutôt que de réintégrer un véhicule législatif dans le futur, le volet programmatique pourrait en effet être totalement relégué au niveau réglementaire. « Cela n'est pas encore acté » et dépendra « des consultations et des enjeux de calendrier et de process législatif », assure l'entourage du patron de Bercy. Pourtant, la décision semble pencher en faveur de la deuxième option : « S'il est possible de tout passer par voie réglementaire, il ne faut pas s'en priver. La crise agricole montre les dérives d'une suradministration qui embolise tout, avec une inflation législative qui nous tue », lâche l'un des députés invités.
« En présentant la transition énergétique comme quelque chose qui va emmerder les Français, le gouvernement empêche une mise en récit de l'écologie française. Ce qui voudra dire moins d'énergies renouvelables, dans un monde où l'on ne sait pas quand le nucléaire sortira de terre et combien il coûtera », rétorque quant à lui un autre parlementaire présent.
Par ailleurs, les documents que cette fameuse loi de programmation devait prescrire, c'est-à-dire les troisièmes versions de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), devraient être soumis à la consultation publique dès le mois prochain. « Rien de tout ça n'est fait dans l'ordre », déplore l'un des députés susnommé. Et pourtant, l'étau se resserre : quoi qu'il advienne, le gouvernement français devra remettre son Plan national énergie-climat à la Commission européenne d'ici à fin juin.
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