Souveraineté énergétique : Bercy souhaite vider encore plus son projet de loi

EXCLUSIF. Selon nos informations, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, nouvellement en charge de l’énergie, compte vider encore un peu plus de sa substance le projet de loi sur la souveraineté énergétique de la France. A l’occasion d’un déjeuner organisé la semaine dernière avec une dizaine de parlementaires de la majorité, celui-ci a en effet confirmé que toute la partie concernant la stratégie énergétique du pays serait bel et bien supprimée. Mais aussi, plus surprenant, qu’il souhaitait alléger considérablement le volet portant sur la régulation des prix de l’électricité payés par les consommateurs. Objectif : sécuriser l'accord signé avec EDF en novembre dernier. Explications.
Marine Godelier
« Le sujet, ce n'est plus si Bercy va enterrer le texte, mais la méthode d'inhumation : ils veulent tout sabrer sauf ce qui est inoffensif », lâche un parlementaire présent à la réunion avec Bruno Le Maire.
« Le sujet, ce n'est plus si Bercy va enterrer le texte, mais la méthode d'inhumation : ils veulent tout sabrer sauf ce qui est inoffensif », lâche un parlementaire présent à la réunion avec Bruno Le Maire. (Crédits : STEPHANIE LECOCQ)

Après l'avoir reportée, le gouvernement a-t-il fini par renoncer à l'idée d'une loi sur la souveraineté énergétique, censée tracer le chemin vers une France débarrassée des combustibles fossiles ? Alors que l'ancienne Première ministre, Elisabeth Borne, avait assuré qu'il s'agirait de l'un des premiers textes examinés en 2024 - puisque la législation actuelle prévoit toujours un déclin du nucléaire et des objectifs sur les renouvelables moins ambitieux que ceux présentés par Emmanuel Macron -, l'ordre des priorités a bien changé. Jeudi 25 janvier, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire (qui a récupéré l'énergie dans son portefeuille avec le remaniement), a, en effet, freiné des quatre fers lors d'un déjeuner organisé avec une dizaine de parlementaires de la majorité. Au menu : la nécessité d'« enlever » du projet de loi ce qui est « dangereux » politiquement, au vu du contexte explosif et du risque de blocage à l'Assemblée et au Sénat.

Autrement dit, le titre Ier concernant la stratégie énergétique du pays serait bel et bien supprimé, ce qu'avait laissé entendre une version largement édulcorée du texte consultée mi-janvier. Mais Bercy souhaite également, selon nos informations, alléger considérablement le titre III portant sur la régulation des prix de l'électricité, a signalé le ministre lors du déjeuner. « Il nous a affirmé que ce qui est lié à la négociation tarifaire avec EDF est dangereux. Le projet de loi sera donc probablement réécrit pour retirer les seuils au-delà desquels l'opérateur nucléaire devra contribuer à la stabilité des prix », glisse à La Tribune l'un des parlementaires présents.

Ne resteraient donc que les volets concernant le contrôle accru des fournisseurs d'énergie, le renforcement des obligations prudentielles ainsi que le régime des concessions hydrauliques. Soit des sujets annexes, qui ne répondent pas à la question principale : comment passer de 60% d'énergie consommée provenant du pétrole, du charbon et du gaz en France aujourd'hui, à seulement 40% d'ici à 2030 ?

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Bercy ne fait « pas de commentaire »

Or, ce rétropédalage fait des remous au sein-même de la majorité. « Le sujet, ce n'est plus si Bercy va enterrer le texte, mais la méthode d'inhumation : ils veulent tout sabrer sauf ce qui est inoffensif », lâche un autre parlementaire présent à la réunion.

Sollicité, le ministère de l'Economie ne fait « aucun commentaire », si ce n'est que « le ministre s'exprimera prochainement sur le calendrier législatif ». De quoi exaspérer l'opposition, maintenue dans le flou le plus total. « C'est la confusion. On ne connaît ni la date d'examen, ni même le périmètre. On ne sait pas si le volet planification sera réintroduit, ou au contraire si le texte sera vidé encore un peu plus », glisse Daniel Gremillet, sénateur LR des Vosges et membre du Conseil supérieur de l'énergie. « Aucune information », « rien », « même situation », égrainent tour à tour les parlementaires interrogés.

Risque de découpe

Avant le remaniement pourtant, l'ex-ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait affirmé le 7 janvier à La Tribune que ce texte « majeur » serait présenté en Conseil des ministres le plus rapidement possible, c'est-à-dire « fin janvier-début février ». « Nous y traitons [...] la régulation des prix de l'électricité conformément à l'engagement du président », avait-elle alors souligné. Dans le titre III, dédié à cette question, le projet de loi mentionnait effectivement des seuils à partir desquels EDF devait « contribuer à la mission de réduction et de stabilité des prix » des consommateurs, via une « contribution » prenant la forme d'une « quote-part ».

Concrètement, il s'agissait là d'une transcription juridique de l'accord entre EDF et l'Etat annoncé le 14 novembre dernier par Bruno Le Maire, censé garantir aux Français un prix de l'électricité nucléaire « autour de 70 euros le mégawattheure (MWh) ». Et ce, en prélevant 50% des revenus d'EDF lorsque l'entreprise vendra sa production au-delà de 78-80 euros/MWh, puis ponctionner 90% au-delà de 110 euros/MWh. Or, si rien n'est officiel, « Bercy ne voit pas comment ce chapitre de la loi peut passer sereinement l'étape de la navette parlementaire », assure une source présente au déjeuner. Résultat : le gouvernement pourrait finalement recourir au 49.3 pour le passer dans la prochaine loi de finances, estime cette même source.

« Si vous intégrez cet accord dans le projet de loi Souveraineté énergétique, vous ouvrez la voie à sa remise en cause par les députés et les sénateurs. L'idée, c'est donc de ne pas le mettre à la découpe », ajoute un autre macroniste à la table.

« L'exécutif risquerait de ne pas retomber sur ses pattes, car les parlementaires pourraient revoir le mécanisme négocié avec EDF, alors même que l'Etat est actionnaire à 100% d'EDF », renchérit un troisième député présent.

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Malgré l'obligation juridique, le volet programmation ne reviendra pas

Par ailleurs, comme le laissaient supposer les dernières versions du texte, tout le volet « programmation », c'est-à-dire les grandes orientations de la France en matière d'énergie, ne reviendront pas. Officiellement, pour « prendre le temps de le retravailler », explique-t-on à Bercy. Officieusement, là encore, afin d'éviter un débat parlementaire dynamité par l'opposition, considèrent de nombreuses parties prenantes. « C'est embêtant. Des avancées importantes avaient pourtant été réalisées avec Agnès Pannier-Runacher et les groupes de travail sur la stratégie énergie-climat », regrette un député macroniste ayant requis l'anonymat. Avant de nuancer : « Il ne faut pas oublier, cependant, que nous nous trouvons en majorité relative à l'Assemblée nationale ».

Il n'empêche : l'Etat se trouvait normalement dans l'obligation légale de se doter d'une nouvelle loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) avant le 31 juillet 2023, censée « fixer les priorités d'action de la politique climatique et énergétique nationale en tenant compte du rehaussement de l'objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre à -55% d'ici à 2030 ». Une ambition d'ailleurs réaffirmée en novembre 2019 sous le premier mandat d'Emmanuel Macron.

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Loi ou simple règlement ?

Mais à l'heure actuelle, rien ne garantit qu'une telle loi existera bien. Plutôt que de réintégrer un véhicule législatif dans le futur, le volet programmatique pourrait en effet être totalement relégué au niveau réglementaire. « Cela n'est pas encore acté » et dépendra « des consultations et des enjeux de calendrier et de process législatif », assure l'entourage du patron de Bercy. Pourtant, la décision semble pencher en faveur de la deuxième option : « S'il est possible de tout passer par voie réglementaire, il ne faut pas s'en priver. La crise agricole montre les dérives d'une suradministration qui embolise tout, avec une inflation législative qui nous tue », lâche l'un des députés invités.

« En présentant la transition énergétique comme quelque chose qui va emmerder les Français, le gouvernement empêche une mise en récit de l'écologie française. Ce qui voudra dire moins d'énergies renouvelables, dans un monde où l'on ne sait pas quand le nucléaire sortira de terre et combien il coûtera », rétorque quant à lui un autre parlementaire présent.

Par ailleurs, les documents que cette fameuse loi de programmation devait prescrire, c'est-à-dire les troisièmes versions de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), devraient être soumis à la consultation publique dès le mois prochain. « Rien de tout ça n'est fait dans l'ordre », déplore l'un des députés susnommé. Et pourtant, l'étau se resserre : quoi qu'il advienne, le gouvernement français devra remettre son Plan national énergie-climat à la Commission européenne d'ici à fin juin.

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Marine Godelier

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Commentaires 18
à écrit le 03/02/2024 à 22:38
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Enfin un gouvernement qui commence à réfléchir...

à écrit le 03/02/2024 à 16:55
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FAire et défaire tel est Lemaire!! Mais ça n avance pas pour autant juste de l’argent du temps gaspillés !! Il s en four ce est nous qui payons!! Ou paierons!!

à écrit le 03/02/2024 à 16:52
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Quand il s'agit de reconstruire un parc nucléaire pour succéder aux centrales du plan Messmer qui fermeront à partir de 2035 il n'y a plus personne.. Même chose pour inventer les moteurs de demain pour les bateaux de pèche et les tracteurs..

à écrit le 03/02/2024 à 8:49
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Où alimenter toujours plus l'inflation législative, ils font des lois comme ils font des déclarations sachant que ce sont tous des bavards impénitents.

le 03/02/2024 à 11:38
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il faut payer la gabegie de messieurs macron et le maire ce ne sont pas des reformes qu'ils fond c'est simplement une distribution d 'argent sans contre partie il suffit de voir avec la sante et l'etat des hôpitaux et des soins dispensé c'est la h...

le 03/02/2024 à 12:01
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Hémorragie mortelle des caisses publiques, inflation législative déclarée par le conseil d’État en 2017 et aucun dirigeants pour s'y attaquer, la loi interdisant le port des pantalons aux femmes ayant été abrogée en 2016... Bref nos dirigeants sont n...

à écrit le 02/02/2024 à 23:41
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Une lois en moins est tjrs un pas en avant

le 03/02/2024 à 8:40
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dans le meme registre un ancien ministre des finances actuel maire de troyes demande a l'etat de prendre en charge les frais de nettoyage de la ville des dechets des agriculteurs en oubliant que ce sont les resultast du refus d'enteriner le vote de2...

le 03/02/2024 à 20:35
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Au contraire la réforme des retraites est un retour en arrière de presque un siècle... avec Macron on découvre l'esclavagisme et la dictature...

à écrit le 02/02/2024 à 23:39
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Comportement Contre les consommateurs = contre les citoyens = grosse claque en juin 2014 et éjection en 2027…

à écrit le 02/02/2024 à 20:16
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Macron et ses ministres viennent de perdre le peu de crédibilité qu’ils s’étaient acharnés à construire.

le 02/02/2024 à 20:41
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Ils n'ont rien perdu ils n'ont aucune crédibilité...

à écrit le 02/02/2024 à 17:51
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Les types commencent par être de vrais mythos en étant persuadés de pouvoir mettre la charrue avant les boeufs et au bout du compte finissent tristement sur la case des barjots. Et en plus on les rémunère pour ça. Drôle de "jeu de société!

à écrit le 02/02/2024 à 15:24
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"devra remettre son Plan national énergie-climat à la Commission européenne" une feuille avec, écrit, "on n'a pas eu le temps de s'en occuper", désolé. :-) Tant que Flamanville n'a pas démarré on n'a pas encore d'idée des délais réalistes pour const...

le 02/02/2024 à 16:27
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je me répète ils sont le gouvernement macron en train de transférer les recettes de l'essence et du gas oil sur l'électricité. la nouvelle vache a lait il y a eu le sel puis l'essence maintenant l'electricite sauf révolte de grande ampleur le peu...

à écrit le 02/02/2024 à 15:07
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Vous pensez qu'un ministre qui va augmenter de 10% l'électricité après l'avoir fait de 30% le ferait pour la souveraineté énergétique? les types qui bossent pour des multinationales n'ont que l'intérêt de ceux ci. Et rappelez vous ce qu'il avait ...

à écrit le 02/02/2024 à 14:57
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Que dire ? L’annulation pure et simple d'une politique volontariste pour un retour aux paroles sans actes. On croirait être de retour sous Hollande, énonçant des objectifs sans prendre aucunes mesures pour les atteindre. Le prix à payer pour avoir ce...

le 02/02/2024 à 15:09
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On va pas gèner le ROI des amis sur le faux marché de l'électricité ! avec sarkozy, ils l'on planifié (il est encore le conseiller de macron) et se faire de l'oseille aussi facilement sans que les gens puissent remonter a vous, il ne va pas gâcher la...

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