La fête sera-t-elle de courte durée pour EDF ? Après un redressement spectaculaire avec un résultat net record de 10 milliards d'euros en 2023, en large contraste avec une perte de près de 18 milliards d'euros en 2022, EDF anticipe déjà un recul de sa rentabilité pour l'année 2024. « L'évolution de notre Ebitda (bénéfices avant impôts, intérêts, amortissement, dépréciation, Ndlr) en 2024 va s'inscrire en recul par rapport à 2023 », a ainsi prévenu Xavier Girre, le directeur financier du groupe, lors d'une conférence de presse ce vendredi.
Ce repli attendu tient directement à la chute des prix de l'électricité sur les marchés de gros, sur lesquels EDF vend une partie de son électricité. Ceux-ci avoisinent désormais les 70 euros du mégawattheure, contre plus de 1.000 euros au plus fort de la crise de l'énergie en août 2022. En effet, si l'Ebidta a bondi à 39,9 milliards d'euros en 2023, c'est en grande partie grâce à « l'effet prix », qui y a contribué à hauteur de 24,6 milliards d'euros (contre 7 milliards d'euros pour la hausse de production stricto sensu). Très concrètement, cela signifie qu'EDF a vendu son électricité à des prix particulièrement élevés en 2023, étant donné que les contrats reposaient sur les niveaux de 2022.
Compenser la baisse des prix par une hausse de la production
« L'effet prix (...) va diminuer de façon importante cette année, a averti Xavier Gire. Cette baisse devrait être atténuée par des coûts moindres d'achats-reventes d'électricité sur le marché grâce à la poursuite attendue de la progression de la production nucléaire et à l'absence de tension offre d'amende », a-t-il toutefois nuancé.
Autrement dit, grâce à une production du parc atomique plus élevée (attendue entre 315 et 345 térawattheures, contre 320 en 2023), EDF devrait acheter moins d'électricité sur le marché de gros pour fournir ses clients. Et les volumes achetés le seront à des prix bien plus modérés.
Même si la production nucléaire a augmenté de 41,4 TWh en 2023 par rapport à 2022, son niveau reste l'un des plus faibles dans l'histoire de l'électricien, dont les meilleurs millésimes dépassaient les 400 TWh. La marge de progression au cours des prochaines années est donc considérable. Pour y parvenir et en attendant l'arrivée de nouveaux réacteurs qui n'interviendra pas avant la prochaine décennie, EDF mise sur une augmentation de la puissance de certains de ses réacteurs en service. L'électricien devra surtout réussir à exécuter parfaitement les chantiers du grand carénage, qui désigne les travaux nécessaires à la prolongation de son parc existant.
Un mur d'investissements
Quand bien même cette production nucléaire augmente, il n'est « pas permis de se relâcher », a reconnu Luc Rémont, le PDG de l'entreprise. « La détente des prix va faire partie des éléments de contexte pour le groupe EDF dans les années qui viennent dans un monde où nous devons, par ailleurs, continuer d'augmenter nos investissements », a-t-il pointé. En juillet dernier, le patron de l'entreprise avait chiffré les investissements annuels nécessaires à 25 milliards d'euros par an. Soit une hausse de 31% par rapport aux quelque 19 milliards d'euros investis en 2023.
« Si les prix de l'électricité restent durablement à des prix faibles, nous devrons nous interroger sur l'état de la demande [de l'électricité, ndlr] et sur l'état de l'économie de l'électricité pour savoir comment financer les investissements », a estimé ce vendredi Luc Rémont. Le dirigeant a néanmoins exclu la possibilité d'instaurer un prix plancher dans le nouveau mécanisme de marché qui doit remplacer le système de l'Arenh (lequel contraignait EDF à vendre une partie de sa production nucléaire à prix cassés), dès 2026.
Le rôle déterminant du prix du CO2
En revanche, il a souligné l'importance du rôle du prix du CO2 à moyen terme. « Si le prix du CO2 baisse comme il le fait en ce moment, nous serons assez vite dans une situation dans laquelle (...) l'ensemble de la stratégie de décarbonation pourra potentiellement être mise à risque », a-t-il prévenu. Et pour cause, plus le prix du carbone est bas, moins cela incite les entreprises à investir pour décarboner leur activité.
A l'inverse, un prix plus élevé de la tonne de CO2 encouragera les entreprises, et notamment les industriels, à investir pour électrifier leurs procédés. Ces derniers auraient alors tout intérêt à nouer des contrats d'approvisionnement de long terme auprès d'EDF afin de bénéficier de prix stables dans la durée. Les plus gros d'entre eux pourraient même nouer des Contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), qui leur permettent de bénéficier de prix attractifs en échange d'avances « en tête » et d'un partage des risques industriels. Un premier contrat de la sorte a déjà été noué avec Arcelor Mittal et Luc Rémont a affirmé aujourd'hui que quelques lettres d'intention avaient également été signées.
Ces contrats de long terme sont au cœur de la nouvelle politique commerciale de l'électricien, amorcée en 2023. Si celle-ci ne devrait pas avoir d'impact direct sur la rentabilité de l'entreprise, elle doit, en revanche, lui conférer une plus grande visibilité sur ces revenus. « Ce qui est absolument déterminant » pour une entreprise « devant réaliser des investissements de long terme », a souligné Luc Rémont.
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