Prix de l'électricité nucléaire : un accord aux airs d'usine à gaz

L'Etat et EDF ont annoncé, ce mardi 14 novembre, être tombés d’accord sur le futur système de régulation des prix de l’électricité. Le but : protéger les consommateurs français tout en permettant à l’énergéticien de s'y retrouver financièrement. Mais de nombreuses questions restent en suspens, de l’impact réel du nouveau dispositif sur les factures, à sa compatibilité avec les règles européennes, entre autres. La Tribune fait le point.
Bruno Le Maire et Luc Rémont
Bruno Le Maire et Luc Rémont (Crédits : Reuters)

Contre la hausse des factures d'électricité, difficilement contenues par le bouclier tarifaire, l'Etat a-t-il trouvé la solution magique pour « contrôler » les prix payés par les consommateurs, comme annoncé il y a quelques semaines par Emmanuel Macron ? Si l'on en croit le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, un accord décroché avec EDF et présenté ce mardi 14 novembre à Bercy permettra de protéger les Français de la flambée des cours. Posant « les bases de la nouvelle régulation de l'électricité nucléaire », ce nouveau système fera ainsi « entrer EDF dans le 21ème siècle », a-t-il affirmé. Après des mois de négociations tendues, celui-ci succèdera ainsi au mécanisme actuel de l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique), prévu pour s'arrêter fin 2025.

Concrètement, de quoi s'agit-il, et quel sera l'impact réel sur les factures d'énergie des consommateurs, particuliers comme industriels ? Ce nouveau modèle permettra-t-il à EDF d'investir dans le prolongement et le renouvellement de son parc atomique, alors que les montants engagés s'annoncent colossaux, et que le groupe essuie une dette de 64,5 milliards d'euros ? L'accord est-il compatible avec les règles européennes ? Enfin, quid des fournisseurs alternatifs, qui bénéficient aujourd'hui d'un certain volume d'électricité cédé par EDF à prix cassés ? La Tribune fait le point.

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Quel impact sur la facture des particuliers ?

Difficile à dire à ce stade, mais d'après plusieurs observateurs, celles-ci pourraient en réalité augmenter. Selon le gouvernement, le nouveau système garantira un prix de l'électricité nucléaire « autour de 70 euros le mégawattheure (MWh) », contre environ 90 euros/MWh observés aujourd'hui sur les marchés. Cependant, rien ne garantit qu'un tel montant sera effectivement respecté par EDF. Et pour cause, l'accord ne plafonnera les tarifs que lorsqu'ils auront atteint un niveau extrême.

« 70 euros, ça ne correspond à rien d'autre qu'à la projection qu'EDF fait du prix moyen de marché de l'électricité sur 15 ans », souligne Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus Consulting.

« J'ai beaucoup de mal à croire que les cours du marché s'élèveront à un tel prix. Bien malin celui qui peut dire quel sera le cours sur les bourses d'échange dans trois ans », ajoute l'économiste Jacques Percebois, qui siégeait à la fameuse Commission Champsaur de 2009, à l'origine de l'instauration d'un accès régulé à l'énergie nucléaire.

Dans le détail, l'idée sera plutôt de prélever 50% des revenus d'EDF lorsque l'entreprise vendra sa production au-delà de 78-80 euros/MWh, puis ponctionner 90% au-delà de 110 euros/MWh. Autrement dit, « il ne se passera rien avant d'atteindre 78 à 80 euros le MWh ! », précise à La Tribune Nicolas Goldberg. Et pour cause, cette fourchette de 78-80 euros renvoie au « coût du nucléaire existant et futur », ainsi qu'une « marge pour stabiliser la dette d'EDF », précise-t-on au sein de l'exécutif.

Aujourd'hui, un système de régulation des prix de l'électricité nucléaire existe déjà pour protéger les consommateurs, baptisé ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire). Concrètement, ce dispositif permet aux opérateurs autres qu'EDF de lui acheter un certain volume à un prix cassé, à 42 euros du mégawattheure (MWh), afin de répercuter ce tarif sur la facture de leurs clients. Mais depuis fin 2021, l'ARENH n'a pas suffi à protéger les ménages de la flambée des cours sur le marché liée, entre autres, à la guerre en Ukraine, obligeant l'Etat à dégainer son fameux bouclier tarifaire.

Résultat : le tarif réglementé de vente (TRV) d'EDF avait augmenté de près de 100% l'année dernière, même si la hausse avait été artificiellement limitée par le gouvernement. Or, selon les calculs de Jacques Percebois, cette augmentation du TRV aurait été encore plus importante avec le nouveau système ! Selon l'économiste, celui-ci ne deviendrait plus avantageux que l'ARENH qu'à partir d'un prix de marché autour de 120 euros le MWh.

Par ailleurs, ce mécanisme interviendra ex post, c'est-à-dire qu'il ne changera rien au prix de l'électricité sur les marchés. Il s'assimilera plutôt à une sorte de bouclier tarifaire reversé a posteriori aux clients, en cas d'envolée des cours - sans pour autant pouvoir contrôler cette dernière.

« Ce qui m'inquiète, c'est que le consommateur ne saura pas combien il paie réellement. Chaque année, cela dépendra de ce que Etat met au pot pour réduire ses factures. Cela revient à pérenniser le bouclier tarifaire :  vous taxez 50% des revenus d'EDF, qui est détenu à 100% par l'Etat, quelque part entre 78 et 80 euros du MWh. Mais le prix continuera quand même de se balader à ces niveaux-là ! », fait valoir Nicolas Goldberg.

Les industriels sont-ils satisfaits ?

La CLEEE, qui représente une multitude d'entreprises grandes consommatrices d'électricité dans les secteurs industriel et tertiaire, dénonce quant à elle « un grand pas en arrière pour les entreprises françaises ». Selon elle, le prix de 70 euros du mégawattheure, mis en avant par le gouvernement, ne correspond pas à la réalité.

« Je ne conteste pas le prix de 70 euros le mégawattheure. Si on devait payer ce prix là, cela ne me choquerait pas, même s'il est beaucoup plus élevé que les 42 euros mis en place dans le cadre de l'Arenh. Mais, en réalité, nous allons payer beaucoup plus cher que ces 70 euros », s'inquiète Frank Roubanovitch, le président de la CLEEE.

L'association estime, par ailleurs, que ce nouveau mécanisme protégera moins bien les entreprises en cas de crise et, surtout, qu'il ne leur donnera pas la visibilité suffisante pour investir.

« Pour les prix d'électricité en 2026, nous ne connaîtrons que début 2027 le montant qui nous sera rétrocédé. Nous avancerons donc à l'aveugle, alors que nous aurions besoin de connaître vers mi-2025 les prix de l'électricité de 2026 pour établir notre budget, fixer nos propres prix de ventes. Cela va être très compliqué pour prendre des décisions d'investissements. Ce manque de visibilité est délétère pour les entreprises. Cela fait des semaines que je le répète », déplore-t-il.

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EDF pourra-t-il financer ses investissements ?

Lors des négociations entre EDF et l'Etat, la question d'intégrer ou non, dans le prix de l'électricité, une partie des dépenses à venir pour le renouvellement du parc s'est posée. C'était en tout cas l'option privilégiée par EDF, qui compte sur une rotation des flux de liquidités dégagés par ses installations existantes afin de « préparer l'avenir ». Et pour cause, la construction des six premiers EPR2 voulus par Emmanuel Macron devrait coûter entre 52 et 56 milliards d'euros, selon un rapport publié l'an dernier par le gouvernement. D'autant que l'électricité générée par les futurs réacteurs promet d'être chère, avec des estimations situées entre 80 et 100 euros le MWh.

Mais dans un rapport publié en septembre, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) estimait quant à elle que le coût d'un ruban d'électricité nucléaire ne dépassait pas les 57 euros par MWh, excluant du calcul le prix de financement des nouveaux réacteurs. Dans cette même ligne, le ministère de l'Economie et des finances estimait alors qu'il fallait traiter ce sujet « à part », et établir les futurs prix de l'électricité sans tenir compte de ces investissements futurs, au grand dam d'EDF. L'objectif : proposer des prix les plus bas possibles aux consommateurs.

Depuis, le discours a bien changé. Car le nouvel accord permet de « garantir » le « financement » des futurs réacteurs, a assuré mardi Bruno Le Maire. « EDF doit être rentable. Nous ne sommes pas en Union soviétique ! », a-t-il ajouté. Exit, donc, le calcul de la CRE et ses moins de 60 euros par MWh : un prix autour de 70 euros le MWh « correspond aux coûts de production totaux de l'électricité nucléaire en France », affirme désormais l'exécutif. Le consommateur devra donc payer pour financer les futurs EPR2.

L'accord est-il compatible avec les règles européennes ?

Il s'agissait d'un des principaux sujets évoqués ces derniers mois : le nouveau cadre de régulation des prix du nucléaire se devait d'être euro-compatible. C'était là tout le sens de la réforme du marché européen de l'électricité, portée par la France à Bruxelles. Car la Commission, le Parlement et le Conseil devaient approuver le recours à des mécanismes post-marché, dans un environnement qui favorise bien davantage la concurrence aux monopoles d'Etat.

Après de longues tractations, un compromis voté mardi 17 octobre par les pays membres autorise ainsi l'accès à des contrats à prix fixes garantis par l'Etat. Et grave dans le marbre la possibilité pour les entreprises de nouer des contrats sur le long terme avec EDF, afin d'échapper autant que faire se peut à la volatilité du marché. « La plupart des pays autorisaient déjà ces mécanismes, mais ils s'apparentaient à des dérogations. Là, ils vont vraiment intégrer le marché », explique Nicolas Goldberg.

« L'accord a été défini pour correspondre aux règles européennes et éviter des difficultés avec la Commission sur la mise en œuvre », a affirmé mardi Bruno Le Maire, indiquant « poursuivre les discussions » sur le sujet.

Concrètement, le texte approuvé par les Vingt-Sept le 17 octobre, qui devra cependant être validé en trilogue, autorise notamment l'Etat à redistribuer aux consommateurs les profits d'EDF qu'il ponctionne. Par ailleurs, le mécanisme n'introduit pas de prix plancher en-dessous duquel la puissance public indemniserait EDF, évitant des distorsions de concurrence. Reste à savoir si d'autres points feront blocage, alors que l'exécutif bruxellois et certains États membres veillent au grain.

« Ce que je crains, ce n'est pas que la France possède des centrales nucléaires. Ce que je crains, c'est que l'exploitant des centrales nucléaires puisse proposer des prix bon marché, inférieurs à la valeur du marché », avait d'ailleurs clarifié le vice-chancelier allemand à l'Économie, Robert Habeck, en septembre. Aux côtés d'autres Etats, comme l'Autriche ou les Pays-Bas, son gouvernement avait ainsi martelé sa volonté d'introduire des « règles du jeu équitables » lors des discussions sur la réforme du marché.

« Je trouve le gouvernement léger sur cette question. Il y a un point de vigilance sur la part de marché d'EDF. Dans l'exposé d'aujourd'hui, l'égalité entre EDF et les autres fournisseurs n'est pas expliquée. Comment ceux-ci auront-ils accès à la capacité nucléaire ? C'est un point important à approfondir », estime pour sa part l'ancien président d'ArcelorMittal France Philippe Darmayan, à l'origine d'un rapport sur la régulation du nucléaire.

Quid des fournisseurs alternatifs ?

De nombreux points restent d'ailleurs en suspens pour ces fournisseurs alternatifs, qui achètent vendent de l'électricité mais n'en produisent pas toujours. Fatalement, ceux-ci n'auront plus accès à une partie de l'électricité nucléaire à 42 euros le MWh, comme c'était le cas avec l'ARENH. Dans ce cadre, ceux-ci sont invités à signer des contrats de fourniture directement avec EDF, pour s'approvisionner sur le moyen terme. Mais les plus petits d'entre peuvent-ils se permettre de négocier selon les mêmes que les mastodontes du secteur ?

Par ailleurs, « ils ne pourront pas dire aux particuliers ce qu'ils vont payer, car cela dépendra de la taxation restituée au consommateur », souligne Nicolas Goldberg.  « On va connaître a posteriori le surplus de rémunération à distribuer en fonction des ventes d'EDF sur le marché dont on ne sait pas dans quelles conditions elles vont être faites. Cela rend les choses beaucoup plus compliquées », conclut Vincent Maillard, DG d'Octopus Energy.

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Commentaires 5
à écrit le 15/11/2023 à 8:05
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Encore un système incompréhensible. Quand sera-t-il simple pour un particulier pourra savoir combien il paiera son électricité ? Quand pourra-t-il faire le choix entre EDF et d'autres fournisseurs (dont l'utilité reste à démontrer, à part plaire à Br...

à écrit le 14/11/2023 à 22:40
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Qui et dans quels cas de figure payera plus de 80 ou de 110 pour subventionner le prix à 70? Y aura-t-il un marché de gros suffisant pour ça? Sur la base de quelles données et hypothèses a été fait ce choix? Et si on plafonnait simplement à 90 ou 10...

à écrit le 14/11/2023 à 22:22
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Il est évident qu'il est impossible de concilier à la fois (comme dirait notre cher Jupiter), les intérêts des particuliers - des entreprises - d'EDF et de l'Etat. Surtout en faisant les choses au dernier moment.... Mais enfin, il vient peut-êt...

à écrit le 14/11/2023 à 20:34
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Il est question d'électricité ou d'usine à gaz ? faudrait savoir !

le 14/11/2023 à 21:48
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C'est tout vu @Idx. Pragmatisme: "Doctrine selon laquelle n'est vrai que ce qui fonctionne réellement. Attitude d'une personne qui ne se soucie que d'efficacité". L'antithèse du modèle de réussite à la française avec ses si nombreuses "usines à gaz" ...

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