France/Retraites : Heurts et feux en épilogue d'un regain de la contestation

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Photo d'une manifestation contre la reforme des retraites[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

PARIS (Reuters) - Des heurts ont éclaté jeudi à Paris et dans d'autres villes françaises en marge et à l'issue des manifestations contre la réforme des retraites, passée au forceps au Parlement, alors que cette neuvième journée de contestation a été marquée par un regain de mobilisation pour dénoncer l'"entêtement" de l'exécutif.

Au lendemain d'une intervention télévisée du président Emmanuel Macron pour défendre sa réforme, dont la mesure emblématique est le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, les Français sont une nouvelle fois descendus massivement dans la rue, tandis que de nombreux secteurs, des transports à l'énergie ou l'éducation, étaient perturbés par des mouvements de grève.

En début de soirée, des affrontements ont opposé à Paris des groupes de casseurs, dont des "Black Bloc", et les forces de l'ordre, lesquelles ont fait usage de gaz lacrymogène. Plusieurs incendies ont par ailleurs été constatés dans la capitale.

Des rassemblements nocturnes ont aussi eu lieu à Lyon ou encore à Bordeaux, où la porte de la mairie a été incendiée.

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a fait savoir dans la soirée que les forces de l'ordre avaient procédé à 172 interpellations dans le pays, dont 77 à Paris.

S'exprimant devant des journalistes lors d'un déplacement à la Préfecture de police de Paris, il a indiqué que 149 policiers et gendarmes ont été blessés, dénonçant des jets d'acide, de pavés et de cocktails Molotov.

Condamnant des dégradations et pillages dans plusieurs villes du pays, Gérald Darmanin a déclaré aussi que 140 feux ont été déclarés, dont des dizaines alors toujours en cours.

Via Twitter, la Première ministre Elisabeth Borne a dénoncé des "violences et dégradations (...) inacceptables".

Ce neuvième acte de la contestation avait été globalement pacifique, avec quelque 1,08 million de manifestants à travers le pays selon les données du ministère de l'Intérieur. La CGT a fait état quant à elle de 3,5 millions de personnes dans la rue.

Réunie en fin de journée, l'intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de mobilisation nationale le mardi 28 mars, dénonçant l'"entêtement incompréhensible" d'Emmanuel Macron.

"Le puissant rejet social de ce projet est légitime et son expression doit se poursuivre", a dit Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT, lors d'une conférence de presse.

Plus tôt, au départ du cortège parisien, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s'est félicité d'un "très haut de niveau de mobilisation", citant les informations qui lui remontaient à ce moment-là, alors que "le gouvernement comptait sur l'essoufflement du mouvement après (l'adoption du projet de loi sans vote grâce à l'article) 49.3 (de la Constitution) et l'intervention du président de la République".

MACRON N'A PAS CONVAINCU

Si les précédentes grandes manifestations syndicales s'étaient largement déroulées dans le calme, des violences ont cette fois très vite éclaté en tête de cortège entre la police et des protestataires très remontés et généralement plus jeunes que jusqu'à présent.

Dans les rues de la capitale jonchées de détritus, qui s'accumulent en raison de la grève des éboueurs, des petits groupes ont incendié des poubelles ou encore attaqué un restaurant McDonald's, selon des images retransmises à la télévision et des journalistes de Reuters sur place.

Des heurts ont été signalés dans d'autres villes, comme Rennes, Nantes, Bordeaux, Lorient, où des feux de poubelles devant la sous-préfecture et le commissariat ont suscité la condamnation du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ou encore Rouen où, selon la chaîne BFMTV, un manifestant a eu le pouce arraché.

A Marseille, Lyon, Toulouse ou Paris, les syndicats ont fait état d'une participation aux manifestations en nette hausse par rapport aux derniers rassemblements, un rebond en partie corroborés par les estimations des préfectures de police.

Présent dans le cortège parisien, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est dit convaincu qu'il y aurait plus d'un million de manifestants dans toute la France et il a appelé une nouvelle fois l'exécutif à mettre en "pause" sa réforme.

Avant que les premières violences n'éclatent, le responsable syndical avait lancé un appel "au calme et à la mesure de tout le monde", sentant le risque de radicalisation du mouvement de contestation.

Les tensions ont été alimentées par recours du gouvernement au 49.3, le rejet lundi des deux motions de censure déposées contre l'exécutif et l'intervention télévisée d'Emmanuel Macron, laquelle semble avoir produit le même effet incendiaire que des prises de parole durant la crise des "Gilets jaunes".

La prise de parole du chef de l'Etat a "augmenté la colère", a estimé Laurent Berger sur BFMTV. "C'est lui qui met le feu au pays", a renchéri la secrétaire confédérale de la CGT, Céline Verzeletti, sur France Inter.

Arrivé jeudi midi à Bruxelles pour un sommet européen de deux jours, Emmanuel Macron a soigneusement évité les journalistes et n'a fait aucune déclaration.

RÉQUISITIONS

Outre les violences en marge de certains cortèges, souvent imputables à des éléments radicaux, comme les incidents qui avaient éclaté ces derniers soirs dans plusieurs villes, certains syndicalistes ont aussi décidé de durcir leur mouvement en multipliant des opérations coup de poing dans le pays.

La circulation a ainsi été paralysée jeudi matin sur les périphériques de Toulouse et Lyon par des manifestants et des feux de palettes. Le trafic ferroviaire a aussi été interrompu à la gare Saint-Charles de Marseille, et à la gare de Lyon à Paris, des syndicalistes occupant les voies.

Un barrage établi dans la matinée aux abords de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle a contraint des voyageurs à terminer leur trajet à pieds pour ne pas rater leur vol.

"On n'a pas d'autre choix que la grève et bloquer l'économie jusqu'à ce qu'(Emmanuel Macron) cède et retire son projet", a déclaré à Reuters Fabrice Criquet, secrétaire général de Force Ouvrière (FO) à Aéroports de Paris (ADP).

Pour l'heure, le gouvernement veut afficher sa fermeté face aux grévistes.

Après la réquisition d'éboueurs à Paris, où des milliers de tonnes d'ordures continuent de s'entasser sur les trottoirs, et d'employés du dépôt de carburant de Fos-sur-Mer, près de Marseille, un arrêté de réquisition a également été pris - mais pas encore notifié - pour le personnel de la raffinerie de TotalEnergies à Gonfreville (Normandie), la plus grande du pays, a-t-on appris d'une source au ministère de la Transition énergétique.

Les taux de grévistes demeurent importants. TotalEnergies a fait état de 37% de grévistes dans ses raffineries et dépôts jeudi matin, Engie de 27% et EDF de 25,3%.

Dans la fonction publique d'Etat, le taux s'élevait à 15,5% à la mi-journée, alors que celui de l'Education nationale était de 23% dans le primaire et 19% dans le secondaire, selon les ministères concernés, le SNES-FSU, syndicat majoritaire, revendiquant pour sa part 50% de grévistes dans les collèges et lycées.

Le gouvernement est "serein et attentif à ce qui se passe aujourd'hui", a assuré le ministre du Travail, Olivier Dussopt, jeudi matin sur RTL.

Des perturbations sont déjà prévues dans les prochains jours. Les éboueurs parisiens ont reconduit leur grève jusqu'à lundi et la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies aériennes de réduire leur programme de vols à Paris-Orly, Marseille, Bordeaux et Lyon vendredi et samedi.

La RATP a en revanche annoncé un trafic normal des métros vendredi à Paris, et légèrement perturbé pour certains RER.

(Rédigé par Blandine Hénault et Tangi Salaün, avec la contribution de Dominique Vidalon, Forrest Crellin et Bertrand Boucey, édité par Kate Entringer et Jean Terzian)