Les scientifiques britanniques tirent la langue. Le Brexit les a coupés de l'Union européenne et de ses financements. Or, un accord de coopération et de commerce entre l'Union européenne et le Royaume-Uni signé le 24 décembre 2020, prévoyait que les scientifiques et organismes de recherche britanniques puissent encore bénéficier des subsides prévues dans les programmes de recherche européens. Mais depuis près de deux ans, la bureaucratie bruxelloise post-Brexit prenant du temps, les financements de l'UE vers son ex-membre sont pour l'instant gelés, a-t-on appris auprès d'un communiqué du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche mis à jour le 1er septembre 2022.
C'est donc dans l'optique de débloquer cette situation - et les crédits européens - que le secrétaire d'Etat britannique pour l'Europe Leo Docherty a demandé un accès aux programmes de recherche de l'UE, lors de l'Assemblée parlementaire de partenariat entre l'Union et le Royaume-Uni qui se tient à Londres ce lundi et mardi pour discuter des nouvelles relations entre le continent et l'île.
Car ces fonds européens dédiés à la recherche sont parfois colossaux. Le plus gros en date, « Horizon Europe », a été initié en 2021 avec un budget de 95,5 milliards d'euros destiné à financer la recherche européenne entre 2021 et 2027. Un programme alléchant dont les Britanniques sont pour l'instant privés. « La participation du Royaume-Uni serait du gagnant-gagnant pour le Royaume-Uni et l'UE, mais le Royaume-Uni ne peut pas attendre plus longtemps », a revendiqué le secrétaire d'Etat britannique pour l'Europe, dans un discours transmis à l'AFP.
Horizon Europe, un programme très avantageux
Pourquoi le pays nouvellement gouverné par Rishi Sunak est-il si attaché aux programmes de recherche européens ?
D'abord, Horizon Europe affiche tout un panel de financements des scientifiques et des projets de recherche au travers de quatre piliers : « Sciences d'excellence » de 25 milliards d'euros, « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne » de 53,5 milliards d'euros, « Europe innovante » de 13,6 milliards d'euros et un pilier transversal dédié à l'attractivité des talents en Europe doté de 2 milliards d'euros. Au final, « les activités financées sont très larges. Cela va du plus simple projet de recherche post-doctorat, où un seul chercheur demande un ou deux millions d'euros pour un projet, jusqu'à des choses très structurantes comme le financement de consortiums de scientifiques avec la collaboration de plusieurs scientifiques européens qui peuvent demander plusieurs dizaines de millions d'euros », explique à La Tribune Guillaume Fusai, responsable du pôle relation européenne de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
L'Inserm a ainsi bénéficié de 330 millions d'euros d'Horizon 2020 (le programme précédent Horizon Europe) entre 2014 et 2020 pour financer 397 projets dans lesquels les équipes de l'Inserm participait dont 173 projets coordonnés par l'Inserm, précise Institut. Le nouveau programme Horizon Europe (2021-2027) a, quant à lui, déjà financé 62 projets (dont 26 coordinations) avec un budget de 62 millions d'euros ajoute l'organisme français.
Ensuite, Horizon Europe finance des projets de renommée mondiale, comme le régulateur nucléaire Euratom, ou encore le programme d'observation de la Terre par le satellite Copernicus.
Une perte de compétitivité pour la recherche britannique
Ce gel temporaire des fonds européens pour la recherche aux scientifiques anglais « entraîne une incertitude intolérable pour nos chercheurs et nos entreprises », s'est outré le secrétaire d'Etat britannique pour l'Europe. Car les programmes européens peuvent parfois sortir les scientifiques des méandres de la recherche de financements. « La chercheuse française Barbara Garmy-Susini qui ne parvenait pas à trouver de fonds pour son projet de recherche de lutte contre une maladie touchant le système lymphatique après un cancer a pu développer un traitement grâce à un financement de 3 millions d'euros d'Horizon 2020 », donne volontiers en exemple l'Inserm. Si cette chercheuse avait étudié au Royaume-Uni, elle n'aurait peut-être pas pu financer sa recherche, note-t-on.
Les financements européens sont aussi quelquefois à l'origine de la création d'organismes scientifiques, à l'image d'ORCaSa. Ce projet scientifique lancé par l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae) en octobre 2022, a pour objectif principal de déployer un Consortium international de recherche qui aura un rôle de coordinateur de la recherche et de l'innovation sur le carbone du sol et des questions connexes au niveau mondial. Le projet a été financé par Horizon Europe à hauteur de trois millions d'euros. « Ce programme européen est notre seule source de financement pour l'instant. Il aurait été beaucoup plus difficile de développer ce projet sans Horizon Europe car il aurait fallu que l'Inrae s'auto-finance. Et ce financement offre en plus une légitimité à notre projet car il montre qu'il est important en rentrant dans la problématique de préservation des sols qui est scrutée par l'Union européenne », affirme à La Tribune Suzanne Reynders, responsable du programme prioritaire international sol et climat et coordinatrice d'ORCaSa.
Des partenariats en dehors de l'Europe
Et ce manque d'opportunités de financements pour les organismes de recherche britanniques provoque déjà des conséquences sur la recherche d'outre-Manche. « On commence à ressentir que les Anglais prennent de moins en moins l'initiative des projets mais se placent davantage en simples partenaires de nos projets », témoigne Guillaume Fusai. AgroParis Tech confirme aussi à La Tribune avoir été témoin du retrait de chercheurs britanniques de projets scientifiques dans lequel ils étaient partenaires, faute de financements européens. Une mise en retrait des scientifiques britanniques qui pourrait porter atteinte au prestige des universités et des chercheurs d'outre-Manche mais aussi à l'avancée de la recherche mondiale, si la bureaucratie européenne ne met pas les bouchées doubles sur la mise en place des accords post-Brexit.
D'après des informations obtenues par le magazine Science, en cas de blocage permanent des fonds européens aux chercheurs anglais, le Royaume-Uni prévoirait de réallouer directement l'argent - qu'il est censé fournir en tant que contributeur -, au programme Horizon Europe vers ses projets scientifiques nationaux.
Surtout, la Grande-Bretagne a accéléré sa quête de nouveaux partenaires, depuis le référendum pour la sortie de l'Union européenne en 2016, rendu effectif au 1er janvier 2020. En 2018, le gouvernement a ainsi créé l'entité « UKRI » ( UK Reseach and Innovation), un « organisme public non ministériel parrainé par le Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS) », lit-on sur son site. En février 2022, celui-ci annonçait par exemple un nouveau partenariat avec la Swiss National Science Foundation pour encourager les collaborations entre les chercheurs. Outre-Manche, les rapports officiels et universitaires démontrant l'intérêt de tisser de nouveaux partenariats font florès.