LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous entamez cette semaine un tour de France de la parentalité. Pourquoi cette initiative ?
AURORE BERGÉ - Je pars d'un constat : les parents ne peuvent pas être les oubliés de nos politiques publiques. Nous avons besoin d'eux, nous devons faire avec eux. Et c'est sur eux que je veux m'appuyer en tant que ministre des Solidarités et des Familles. Quand avons-nous parlé d'eux récemment? Cet été à l'occasion des émeutes. Nous avons tous en mémoire les images de ces mères de famille sortant dans la rue, le soir, pour récupérer leurs enfants et les remettre dans le droit chemin. Mais il est frappant de constater que 30 % des émeutiers étaient des mineurs et que 60 % d'entre eux ont grandi dans des familles dites monoparentales. Nous ne pouvons pas nous intéresser à la parentalité uniquement face aux crises. L'en- semble de la société doit s'en saisir. Ça signifie quoi, être des parents ? Et où est le second parent, souvent le père? Les pères ne peuvent pas se résumer à une pension alimentaire ! La société a fini par s'accommoder du fait que les femmes assument seules certaines missions auprès des enfants. Un couple peut se séparer mais la famille vit toujours : on ne quitte pas ses enfants.
Qu'allez-vous proposer ?
Accompagner les parents et donc bâtir avec eux cette nouvelle politique publique. Dès cette semaine, je commence donc un tour de France de la parentalité dont la première étape est à Trélazé, près d'Angers. J'irai à la rencontre des parents, des adolescents, des élus, des profes- sionnels de terrain qui agissent au quotidien avec les parents. Les familles ont changé, elles peuvent être séparées, recomposées, éloignées géographiquement, mais j'ai une certitude : nous ne pouvons pas nous passer des parents, ni faire sans eux, ni contre eux.
Il y a clairement un enjeu d'autorité à restaurer, ce n'est ni ringard ni réac de le dire. On voit bien que des parents peuvent être dépassés, déboussolés face aux nouveaux risques : sédentarité, importance grandissante des écrans aussi. Et tous les milieux sociaux sont affectés.
On se souvient du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti demandant aux parents qu'ils « tiennent leurs gosses ». C'est l'idée ?
Poser un cadre, définir des règles, incarner l'autorité, c'est au bénéfice de nos enfants. Nous devons redonner aux parents la place qui leur revient. Je ne peux pas livrer de mode d'emploi, parce qu'il n'y en a pas ! En revanche, nous pouvons accompagner ceux qui se sentent seuls face à des moments de bascule, d'angoisse, ceux qui voient leur autorité disputée par des pseudo-experts qui se déploient sur TikTok. Le précédent quinquennat a consacré les mille premiers jours de la vie de l'enfant, là où se construisent les liens d'attachement, de sécurité et de confiance. Et après ? Aujourd'hui, notre ambition est d'aller au-delà et de nous intéresser à l'enfant, au préadolescent. Dès demain, je crée une commission scientifique, coprésidée par Serge Hefez et Hélène Roques, tous deux spécialistes reconnus de l'enfance et de l'adolescence avec des démographes, des magistrats, des pédopsychiatres, des philo- sophes. Ils auront six mois pour me faire des propositions concrètes pour relever les défis de la parentalité d'aujourd'hui.
Comment aider les parents à restaurer l'autorité ?
Il ne s'agit pas d'être paternaliste ou infantilisant. Je n'ai pas à dire aux parents comment être des parents ! Je veux créer un pacte avec les parents au cœur de notre société. Je veux créer un pacte avec les parents. Nous leur devons de la consi- dération, du respect, des moyens, et nous leur disons clairement : nous ne pouvons pas faire sans vous mais nous comptons aussi sur vous pour remplir pleinement votre rôle.
Il faut des moyens...
Et nous les mettons : la politique familiale, c'est notre avenir ! C'est un investissement déterminant. Et dès 2024 et jusqu'en 2027, j'augmente de 30 % les moyens de toutes les CAF pour le soutien aux parents : pour les renseigner, les aider, leur donner toutes les ressources. Mais nous avons besoin qu'ils soient pleinement des parents, et tous les jours de la vie de leurs enfants. Avec la Première ministre et le garde des Sceaux, nous mettrons en place des travaux d'intérêt général pour les parents défaillants, le paiement d'une contribution financière pour les parents d'enfants coupables de dégradations auprès d'une association de victimes et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants.
Par ailleurs, la natalité s'effondre. Comment la relancer ?
Le désir d'enfants est là. Ce qui m'inquiète, c'est cet écart grandissant entre le désir d'enfant - 2,4 enfants par femme et par couple et la réalisation de ce désir: un taux de fécondité de 1,7 enfant par femme. Et un couple sur quatre souhaitant avoir un enfant n'y arrive pas. Pourquoi cet écart? Des études plus longues, une installation plus tardive dans la vie professionnelle, des facteurs de santé publique et d'environnement qui jouent sur l'infertilité... Et le premier frein objectif, c'est le mode de garde. Un couple sur deux diffère l'arrivée d'un enfant car il craint de ne pas pouvoir le faire garder. D'ici à 2027, c'est 6 milliards d'euros uniquement sur la petite enfance pour financer de nouvelles solutions de garde et mieux rémunérer les professionnels. Ce sera l'équivalent d'un treizième mois, ce qui est inédit.
Vous travaillez sur un congé familial... À quoi va-t-il ressembler ?
Oui, ce congé familial verra le jour en 2025. Ce sera un nouveau droit pour les parents. Ce sera plus simple et souple : les parents pourront le prendre en même temps ou séparément avec une indemnisation clairement plus élevée que le congé parental actuel. Aujourd'hui, c'est 430 euros par mois. Quand on gagne 2 000 ou 3 000 euros par mois, on ne peut pas se permettre de s'arrêter. Ce n'est pas incitatif. Mon objectif est donc de donner le choix aux parents. S'ils ont envie de passer du temps avec leur enfant, qu'ils puissent le faire. Nous présenterons les modalités de ce congé familial en début d'année prochaine.
Mais comment allez-vous le financer alors que l'état cherche à limiter les dépenses publiques ?
Des couples qui n'arrivent pas à devenir des parents, des parents qui se sentent mis de côté et une autorité parentale qui se délite, des adolescents à la santé mentale abîmée... Combien cela coûte à la société? La famille, c'est le pilier de notre société, aujourd'hui nous l'affirmons clairement.