CRS 8 : l'arme politique de Darmanin

L’unité d’élite ultra-mobile créée en 2021 est dépêchée pour occuper le terrain sécuritaire. Un outil contre les populistes pour l’exécutif.
La CRS 8 en pleine interpellation à Dijon à la suite du décès d’un habitant, tué par balle à son domicile en novembre après un règlement de comptes sur un point de deal.
La CRS 8 en pleine interpellation à Dijon à la suite du décès d’un habitant, tué par balle à son domicile en novembre après un règlement de comptes sur un point de deal. (Crédits : © Arnaud Finistre/Hans Lucas via Reuters)

« Le lieu n'est pas encore déterminé car nous avons plusieurs demandes. » En ce vendredi après-midi, l'état-major de la direction centrale des CRS n'a pas encore décidé où allait être envoyée la CRS 8 le soir même. Cette semaine, les hommes et les femmes de « la 8 », cette force mobile spécialiste des violences urbaines de haute intensité, étaient à Dijon, Nice et Romans-sur-Isère. À Dijon, 65 sont arrivés dimanche soir au lendemain d'une fusillade qui a coûté la vie à un innocent tué d'une balle perdue dans son sommeil. Sécurisation du point de deal, appui des forces de police déjà sur place, leur présence rassure la population.

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« Dès leur arrivée, la situation est devenue beaucoup plus calme, assure François Rebsamen, le maire socialiste de Dijon. Ils ont effectué des descentes, procédé à des interpellations, saisi de la drogue et des armes. La CRS 8 commence à se faire un nom, on sait que ce ne sont pas des gentils. Pour un maire, c'est toujours une bonne nouvelle quand ils arrivent. » Même son de cloche à Limoges, où la CRS 8 est intervenue trois fois, notamment lors d'émeutes urbaines à l'été 2022. « Dès le lendemain, la situation s'était calmée, indique le maire LR, Émile Roger Lombertie. ce sont de grands professionnels. » Complètement autonomes, ils ont leur propre service de restauration dans les camions et dorment le plus souvent à l'hôtel ou dans des cantonnements. « La seule chose qu'on aimerait, c'est qu'ils restent plus longtemps. »

Mais cette force mobile n'a pas vocation à rester plus de trois jours sur les lieux. Guillaume Farde, professeur à Sciences-Po et spécialiste des questions de sécurité, illustre : « C'est un antalgique. Quand ils débarquent, ils soulagent la douleur, c'est une certitude, mais on ne soigne pas une maladie avec de la morphine. » La direction centrale des CRS propose une autre métaphore : « Ce sont des pompiers envoyés sur les incendies pour éteindre les flammes. » Mais pas les braises. À Nîmes, dans le quartier Pissevin, la CRS 8 est envoyée le 22 août, après la mort d'un enfant de 10 ans, victime collatérale d'une fusillade liée au trafic de drogues. « Ils sont restés deux jours, se souvient Bruno Bartocetti, du syndicat Unité SGP Police en zone sud. Ils sont partis le 24 à 2 heures du matin. » À 3 h 30, nouvelle fusillade, un jeune de 18 ans est abattu. La dissuasion aura été de courte durée.

Cette dissuasion est liée notamment à la communication faite par le ministère de l'Intérieur et le ministre lui-même. De nombreux tweets commencent par « Sur mon instruction, la CRS 8 sera déployée... ». Plusieurs sources confirment même à La Tribune Dimanche que pour voir débarquer la CRS 8 il faut appeler directement le cabinet du ministre. Depuis plusieurs mois, le locataire de Beauvau en a fait un véritable outil de communication politique. Vidéos promotionnelles tournées par des fonctionnaires de police, reportages « en immersion » de plusieurs médias, la 8 est partout, et fait grincer des dents. « Les collègues ne comprennent pas pourquoi ils sont autant mis dans la lumière, on a l'impression qu'il n'y a qu'eux qui bossent », explique Bruno Bartocetti. Au-delà de la communication, la 8 apparaît privilégiée en matière de matériel. « Ils ont obtenu de nouveaux véhicules en quelques mois alors que d'autres unités les attendent depuis deux ans », reprend Jean-Paul Nascimento, secrétaire national CRS-Unsa Police. « On est allé taper dans les véhicules qui auraient dû remplacer ceux des compagnies traditionnelles pour fournir la 8, se désole Olivier Cappe, secrétaire national CRS Unité SGP Police-FO. Aujourd'hui, certaines compagnies ont des fourgons qui chiffrent à 300 000 bornes. » Aurait-on déshabillé Pierre pour habiller Paul ? La direction centrale des CRS dément.

Ils apprennent parfois l'endroit où ils sont envoyés en lisant les tweets du ministre

Une source policière

C'est au lendemain de scènes très violentes entre les communautés tchétchène et maghrébine à Dijon, en juin 2020, que Frédéric Veaux, directeur général de la Police nationale, décide de créer cette nouvelle unité d'élite, installée à Bièvres dans l'Essonne, dans le même bâtiment que le Raid. À sa tête, le commandant Jean-Louis Sanchet, ancien des forces spéciales de la Marine nationale, une figure chez les CRS, pas connu pour être un tendre. Deux cents femmes et hommes y sont recrutés, pour la plupart dans les CRS traditionnelles. « Des combattants prêts à aller au contact avec de grosses capacités physiques et mentales », se souvient une source au sein de la police. Guillaume Farde, personnalité qualifiée pour le Beauvau de la sécurité, leur a rendu visite. « J'ai été stupéfait par leurs qualités physiques, ce sont des athlètes impressionnants, raconte celui qui a pourtant l'habitude de voir des gros bras. Ils ont huit jours de travail non-stop puis six jours de repos. Et quand ils ne sont pas envoyés en mission, formation et entraînement sont au programme. »

Ils ont signé pour aller au contact

Sports de combat, CrossFit, escalade, usage des armes, parfois les entraînements se font en commun avec les voisins du Raid. Les 200 policiers sont mobilisables vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, prêts à partir en quinze minutes. Les premières missions, comme celle au Val-de-Reuil en septembre 2021 après des affrontements très violents entre communautés, satisfont les membres de la CRS 8, ils ont signé pour aller au contact. Mais très vite, l'ambiance se gâte. Dans deux rapports confidentiels dévoilés par Le Monde, le commandant Sanchet évoque une frustration de ne pas être « employés à bon escient et d'avoir été envoyés sur des non-événements », argumentant que la CRS 8 n'était pas « prévue pour des missions de sécurisation ». L'un de leurs plus grands regrets ? Ne pas avoir été projetés en Guadeloupe et en Martinique lors des émeutes en 2021 et 2022. En conclusion de la note, le commandant Sanchet se demande même « si [ses] chefs ne sont pas pusillanimes quant au déploiement [de la CRS 8] par crainte d'une action malencontreuse qui pourrait remonter jusqu'à leur niveau et engendrerait des conséquences sur le déroulement de leur carrière ». Sept mois plus tard, le commandant Sanchet quittera, de son propre chef, la tête de la 8.

Mais le malaise trouve son point d'orgue le 2 janvier 2023, à Vélizy. Ce jour-là, Gérald Darmanin vient présenter ses vœux à la CRS 8. « Pendant une heure et demie, tout le monde s'épanche et parle de ses frustrations, des missions inutiles », raconte un témoin. À l'issue, face à la caméra, le ministre de l'Intérieur assume : « Vous êtes très sollicités, souvent à ma demande ; c'est parfois moi qui suis responsable de vous envoyer y compris lorsque vous semblez constater que ce n'est pas tout à fait au niveau de votre intervention, mais enfin je constate qu'une journée sur deux vous êtes utilisés. »

Olivier Cappe confirme : « Ils la rentabilisent, ils ont de plus en plus tendance à l'utiliser pour tout et n'importe quoi et certains collègues se plaignent. » Une blague circule même sur les réseaux sociaux. Un père de famille : « Lola, va ranger ta chambre. » Lola : « Non. » Gérald Darmanin : « Sur mon instruction, la CRS 8 sera déployée dès ce soir dans la chambre de Lola. » Une source policière l'affirme : « Ils apprennent parfois l'endroit où ils sont envoyés en lisant les tweets du ministre. »

Une interpellation très musclée

Le premier flic de France passera néanmoins la pommade trois mois plus tard en décidant de les envoyer à Mayotte pour l'opération Wuambushu. Là-bas, ils marqueront les esprits. La veille du début de l'opération, en une seule journée, le bilan de la CRS 8 est déjà impressionnant : 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement et 60 tirs de LBD. Surtout, 12 tirs à balles réelles vers le sol « pour faire fuir », un fait rarissime en maintien de l'ordre. Pour se justifier, l'état-major invoque « la légitime défense face à des manifestants armés de machettes ». Toujours à Mayotte à la fin du mois de juin, les membres de cette unité d'élite ont dû rentrer en urgence à Paris pour intervenir lors des émeutes à la suite de la mort du jeune Nahel.

Preuve que cette compagnie aime le contact, lorsqu'elle est déployée à Rennes au mois d'avril lors des manifestations contre la réforme des retraites, une journaliste filme une interpellation particulièrement musclée de policiers de la CRS 8. L'homme appréhendé ira porter plainte, l'enquête a été confiée à l'IGPN.

Ravi de l'efficacité de cette compagnie nouvelle génération, le ministre de l'Intérieur a annoncé en septembre la création de quatre déclinaisons : les CRS 81, 82, 83 et 84. Basées à Marseille, Nantes, Lyon, et bientôt Montauban, ces compagnies permettent un meilleur maillage territorial et une arrivée plus rapide sur les sites sensibles. Une façon de faire taire les railleries contre la CRS 8, souvent critiquée pour arriver « après la bataille ». Ce vendredi soir, c'est finalement à Laon qu'ils seront envoyés. Dans la nuit de jeudi à vendredi, un jeune homme de 22 ans a été blessé par balle sur fond de trafic de drogue. Une mission qui ne devrait pas ravir les membres de la CRS 8 mais qui devrait rassurer le maire. ■

Commentaires 5
à écrit le 03/12/2023 à 18:47
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Il ne devrait pas exister de sous compagnies de CRS. Elles devraient toutes être au niveau de la CRS8. Darmanin se fait un plaisir d'envoyer la CRS8 chez Pierre, Paul ou Kewin mais surtout pas chez Henri ou Jacques

le 31/12/2023 à 12:42
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Un homme se fait tabasser à Marseille par l'équipe de Yoda et le patron c'est le chat tous connu pour des meurtres et kinnaping Ce monsieur se fait tabasser il a 75 ans car il n'avait pas 350 €pour payer le fils de ce monsieur et lex femme est dans ...

à écrit le 03/12/2023 à 8:56
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Heu...je suis sur un site économique là !?

le 03/12/2023 à 16:27
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@Dossier 51: L'Education Nationale prévoit des cours de Finances et des cours d'Economie...Politique.

le 04/12/2023 à 7:58
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Et... ?

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