
A terre, on appelle cela « prendre un virage », en mer, « tirer un bord ». Dans son cas, la manœuvre promet d'être décisive. L'armateur breton Towt, qui s'est fait connaître en armant de vieux gréements pour le transport de marchandises, a lancé le 4 mai un appel à manifestation d'intérêt européen pour la construction du premier des quatre voiliers-cargo dont son fondateur, Guillaume Le Grand, un ancien trader de la City reconverti dans la marine, rêve depuis plusieurs années. « La commande sera passée en octobre, nous avons sécurisé des volumes de marchandises suffisants pour financer les deux premiers », assure l'intéressé.
Sur le papier, le projet ne manque pas d'allure. Lointain héritier du Santa Maria de Christophe Colomb, le navire mesurera 70 mètres et croisera à une vitesse moyenne de 12 nœuds. Ses cales pourront embarquer jusqu'à mille tonnes, vingt fois la capacité d'emport des goélettes que la compagne affrète, aujourd'hui, sur les routes transatlantiques pour transporter d'Ouest en Est du rhum, du café ou du cacao bio et dans l'autre sens des spiritueux, du champagne ou des parfums. « Ce bateau va nous faire passer d'un artisanat quasi-anachronique à une échelle industrielle », pronostique Guillaume Le Grand.
Vers des transats zéro CO2
Comme les suivants, l'esquif futuriste aura pour camp de base le Grand Port Maritime du Havre avec qui la compagnie a signé un accord commercial. A la clef, une réduction de moitié du montant des droits de ports. « C'est une manière de matérialiser notre capacité à anticiper les enjeux du futur », justifie le directeur du GPMH. Plus habitué à frayer avec les immenses porte-conteneurs qui escalent sur ses terminaux, Baptiste Maurand avoue avoir été séduit par le projet : « Il est tout sauf utopique ou hors du temps. 90 % des produits que nous consommons passent par la mer. Si l'on veut réduire leur empreinte carbone, la propulsion vélique, le moyen le plus propre d'acheminer des marchandises, a forcément un bel avenir ».
Dans la ligne de mire de Towt : l'écosystème du bio mais aussi les grandes entreprises que la génération Greta presse de donner des gages de bonne conduite environnementale, quitte à dépenser quelques centimes de plus pour une tablette de chocolat ou une crème de jour. Pour les convaincre, la compagnie a bordé son modèle. Les produits qu'elle transportera à la seule force du vent pourront se prévaloir du label Anemos (le vent en grec ancien) créé par ses ses soins. « Le transport maritime reste un modèle d'opacité. Qui connaît son coût réel ? A contrario, ce label premier du genre garantit une traçabilité de bout en bout », vante son président.
A compter de 2022, le premier voilier-cargos de l'armateur finistérien desservira l'Amérique du Nord (New York et Québec), les Antilles, l'Amérique Centrale (Santa Marta et Veracruz) et Abidjan à raison d'une quinzaine d'escales par an. Le tout au départ ou à destination du port normand. Un choix inspiré, souligne Baptiste Maurand : « Le fait d'associer l'image de Towt celle du Havre pourrait lever les dernières réticences et montrer que son modèle n'est réservé ni à des petits trajets, ni à des petits ports ». Un encouragement bienvenu pour Guillaume Le Grand. « Les responsables portuaires ont bien compris que nous n'étions ni des écolos perchés, ni des adeptes du greenwashing». Transmis à ceux qui en douteraient encore.
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