« On estime qu'il faudra former 800.000 personnes en Europe d'ici à 2025 tout au long de la chaîne de valeur de la batterie électrique, notamment pour répondre aux besoins des gigafactories. C'est 150.000 personnes rien qu'en France ! », a souligné Élisabeth Borne, la ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, ce mardi 15 février à l'issue d'une réunion « informelle » avec ses 26 homologues européens, place de la Bourse, à Bordeaux. Alors que des secteurs entiers tels que l'automobile mais aussi l'acier ou encore la chimie sont bouleversés par le numérique mais aussi les nouvelles exigences climatiques et que des enjeux de réindustrialisation s'imposent d'eux-mêmes, comme en témoigne la crise des semi-conducteurs, les responsables européens sont unanimes pour « investir durablement dans la formation initiale et continue des salariés aux métiers de demain. »
Investir dans la formation, « un processus d'au moins deux décennies »
« Aucun des 27 ministres ne méconnaît l'importance de politiques importantes en matière d'emploi pour accompagner ces transitions qui sont un processus d'au moins deux décennies », résume Nicolas Schmidt, le commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'insertion. « Le compte personnel de formation (CPF) déployé en France a notamment été cité en exemple par plusieurs États membres, tout comme le succès de l'apprentissage », a-t-il ajouté, rappelant les recommandations présentées par la Commission européenne en décembre dernier pour pousser les comptes individuels de formation, les micro-certifications en matière de compétences et « une transition équitable vers la neutralité climatique ». En France, en 2020, selon la Darès, 984.000 formations ont été suivies par le biais du CPF, soit deux fois plus que l'année précédente.
Les deux responsables ont également rappelé leur attachement "au renforcement du dialogue social européen et national" et les deux mécanismes existants au niveau européen pour accompagner les mutations du marché de l'emploi. Il s'agit du "Fonds pour une transition juste", doté de 17,5 milliards d'euros sur sept ans, pour cibler les territoires et secteurs économiques les plus dépendants des énergies fossiles afin d'atteindre l'objectif européen de baisse de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. Et le "Fonds européen d'ajustement à la mondialisation en faveur des travailleurs licenciés" doté d'un budget annuel de 120 millions d'euros pour financer de 60% à 85% du coût de projets visant à aider des personnes peu qualifiées et défavorisées ayant perdu leur emploi à retrouver du travail ou à créer leur propre entreprise.
1 million de postes à pourvoir dans le numérique
Mais alors « qu'aucune entreprise européenne n'échappe à la nécessité de se digitaliser », comme le souligne Nicolas Schmidt, le continent fait face à une pénurie structurelle de profils qualifiés sur les nombreux métiers du numérique avec autour de 1 million d'emplois à pourvoir.
« C'est l'un des problèmes prioritaires identifiés par les entreprises, et la réponse se joue au niveau du système éducatif, en insistant sur les maths et les sciences, en motivant davantage les femmes, et en déployant des formations souples et relativement courtes pour permettre aux gens de se former et de se reconvertir facilement », juge Nicolas Schmidt.
Le sujet des travailleurs des plateformes (livreurs, VTC) pas abordé
Non loin du Palais de la Bourse de Bordeaux, où se tenait la réunion ministérielle, l'union départementale de la CGT Gironde, a également tenu une conférence de presse pour s'exprimer sur les sujets qu'elle considère comme importants autour de cette présidence française de conseil de l'Union européenne.
« Nous regrettons de ne pas être invités dans les débats, et nous regrettons aussi le manque de sujets forts portés par cette présidence, sans coup politique important », a déploré d'emblée Pierre Coutaz, conseiller confédéral CGT.
Et alors que les ministres européens de l'Emploi n'ont pas abordé la position des 28 millions d'Européens travaillant via des plateformes numériques(*), leur sort était au cœur du discours de la CGT. Parmi eux, les livreurs à vélo, sous statut d'auto-entrepreneurs, sont les principaux concernés. Ceux à qui les plateformes promettent de « gagner du cash en se promenant dans les plus belles villes de France » pourraient voir leur statut évoluer. La Commission européenne a tranché en faveur d'une présomption de salariat en décembre dernier pour les livreurs et chauffeurs VTC de plateformes telles que Uber ou Deliveroo, ouvrant la voie à un meilleur encadrement pour ces travailleurs précaires et souvent dépourvus d'accès aux droits sociaux.
« On a pu faire valoir notre cause au niveau européen. À présent, il faut que cette mesure soit élargie à tous les secteurs de la plateformisation du travail », a appuyé Arthur Hay, l'un des fondateurs et secrétaire du Syndicat des coursiers et coursières de Gironde, le tout premier en France. Le texte porté par la Commission européenne doit prochainement être voté au Parlement.
Lacunes sur le devoir de vigilance, le salaire européen, l'emploi industriel
Le syndicat a également pointé l'absence de discours de la présidence française sur la question de la loi européenne sur le devoir de vigilance, qui doit responsabiliser les entreprises sur le respect des droits humains pratiqué chez leurs sous-traitants et partenaires.
La loi existe en France depuis 2017 et une directive européenne est prête à poser le sujet. « Elle est promise depuis 230 jours », selon la CGT.
Les représentants girondins ont aussi déploré le mutisme sur le salaire minimum européen.
Un dernier sujet, très lié à la conjoncture, inquiète le syndicat : les effets du plan de relance français et européen sur les emplois industriels. Malgré les nombreuses aides accordées aux entreprises girondines, comme Dassault ou Sanofi, le dialogue social avec le patronat semble se crisper. « La position de l'Etat, par l'intermédiaire de la préfète de la Gironde, est de donner des aides en faisant confiance aux employeurs. Nous avons des inquiétudes quant à l'entreprise Magna, qui commence à menacer les salariés de fermeture alors qu'elle va recevoir des fonds de l'Etat. Mais l'état doit poser des garanties sur la transition énergétique, les emplois et les enjeux actuels », a livré Stéphane Obé, secrétaire général de l'union départementale CGT Gironde. Les 800 salariés de l'entreprise basée à Blanquefort, fabricante de pièces électroniques pour l'automobile, ont été mis en activité partielle de longue durée (Apld) en décembre dernier et craignent pour leur avenir.
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NOTE
(*) Dans l'Union européenne, plus de 28 millions de personnes travaillent par l'intermédiaire de plateformes (livraisons, VTC...), et ce chiffre devrait passer à 43 millions en trois ans (d'ici à 2025). Or, 5,5 millions de personnes seraient déclarées comme travailleurs indépendants sans l'être réellement. Par ailleurs, entre 2016 et 2020, les recettes de l'économie collaborative sont passées de 3 milliards d'euros à environ 14 milliards d'euros, selon les estimations de la Commission européenne. (Source: vie-publique.fr, site édité par la Dila rattachée aux services du Premier ministre)