En Corse, la filière de la pêche professionnelle s'enfonce dans la crise

L’île comptait 600 patrons-pêcheurs dans les années 80, contre à peine plus de 150 aujourd’hui. La profession est aussi confrontée au vieillissement inéluctable des effectifs et de la flotte, à la lame de fond des normes restrictives et à une politique nationale inadaptée aux particularités insulaires. Chez les pêcheurs corses, le sentiment d’abandon est profond.
(Crédits : Christian Buffa)

Les pêcheurs corses ont le spleen. La communauté de la pêche artisanale, aussi ancienne que les premiers peuplements de l'île, se rétrécit comme peau de chagrin. Il y a dix ans, 196 pêcheurs professionnels étaient encore en activité. Aujourd'hui, il n'en reste que 152 en tout et pour tout, parmi lesquels un tiers de... retraités. « Nous nous éteignons doucement, comme une bougie », se résigne Joseph Sanna, pêcheur à Propriano, à l'origine de la création récente d'un syndicat de défense des pêcheurs corses, U sindicatu pà a difesa di i pescadori corsi.

De surcroît, le flambeau ne se transmet pas, les jeunes s'en détournent car le métier est dur par nature, de plus en plus exigeant dans sa pratique et de moins en moins rémunérateur. En définitive, le déclin de la pêche est tout à fait comparable à celui de l'agriculture avec une série de difficultés conjoncturelles et de contraintes administratives qui sont comme des poisons dans l'eau...

« La pêche côtière est en perdition »

La pêche corse se considère déjà comme le parent pauvre au sens propre du terme : la France reçoit du Fonds européen dédié une enveloppe de 580 millions d'euros. La Corse ne perçoit que 5 millions, « soit moins de 1% alors que nous représentons 12 % du littoral français et 650 km de zone de pêche. Nos voisins sardes se voient octroyer 40 millions avec moins de 200 km... » regrette Joseph Sanna pour qui la pêche côtière est à l'abandon.

« Pire même, elle est en perdition ! Comme nos amis agriculteurs, nous sommes pénalisés par une réglementation écrasante et restrictive qui est soit insurmontable pour les modestes pêcheurs que nous sommes soit inadaptée à nos embarcations ce qui fait, par exemple, que nous devons payer 3.300 euros pour satisfaire à toutes les normes de sécurisation d'une barque de 9 mètres. Dans ces conditions, beaucoup de pêcheurs rendent le tablier... »

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Gérard Romiti a été aux premières loges, tour à tour patron-pêcheur, syndicaliste, élu à l'Assemblée de Corse, et surtout président pendant dix ans du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins.

« La France n'a jamais eu la bonne approche de la politique maritime. Le modèle anglo-saxon a fini par s'imposer car nos gouvernements ont abandonné la pêche, préférant obtenir de l'Europe d'autres concessions dans d'autres domaines. La vision de l'entreprise traditionnelle et familiale a été détrônée par le concept de la pêche industrielle. Pour la pêche artisanale corse, ce que je n'ai jamais réussi à obtenir de Bruxelles, c'est la reconnaissance de la spécificité méditerranéenne tournée vers la pluriactivité selon les saisons, les filets, le palangre, le thon rouge, les oursins.... »

Un constat partagé par Daniel Defusco, président du Comité régional des pêches : « Notre métier est axé sur la pêche durable et les espèces de qualité, mais elle se voit imposer les décisions prises pour la pêche intensive ! En termes de débarques de poisson, une semaine de pêche à Boulogne, c'est l'équivalent d'une année de pêche en Corse... »

Pour ce qui est des exigences réglementaires, Gérard Romiti préconise la formation pour sortir de la nasse : « À Bastia, nous avons une école maritime très bien cotée sur le plan national. Elle doit former une nouvelle génération de pêcheurs aux nouveaux modes de gestion. Les jeunes futurs pêcheurs doivent à la fois assouvir une passion souvent atavique et être armés pour répondre aux figures imposées de la législation. C'est d'autant plus indispensable que 70 % des patrons de pêche ont plus de 60 ans et que la relève n'est plus assurée... »

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Démunie

Mais tous les maux ne sont pas exogènes. Le sentiment d'abandon est aussi nourri par l'absence de structures institutionnelles en Corse même : « Nous sommes une des rares régions de France à ne pas s'être dotée d'un cluster maritime et la seule qui n'a pas les moyens d'écouler ses poissons : pas de marchés, pas de criées, pas de coopératives. Lorsque les restaurants ferment à la fin de la saison, nous sommes livrés à nous-mêmes » se désole encore Joseph Sanna. Certaines grandes régions, à l'exemple de l'Occitanie et des Hauts-de-France, ont créé un Parlement de la Mer dont la vocation, à plus grande échelle que les clusters maritimes, est de fédérer l'ensemble des filières pour lesquelles la mer est une ressource économique autour de projets communs et d'actions concertées.

« Un petit territoire comme le nôtre a tout pour réussir, des armateurs solides, un tourisme maritime à canaliser mais à fort potentiel, un secteur piscicole dynamique, une tradition séculaire de la pêche artisanale, des plateformes de recherches de renom, une université très en avance sur toutes les questions inhérentes à la biologie marine et un lycée maritime réputé. Ce ne serait pas une mauvaise idée de mettre tout ça en musique... », suggère au simple titre d'observateur Riyad Djaffar, directeur de la Mer et du Littoral de Corse, qui précise qu'une telle initiative ne relève pas de l'État - dont sa direction dépend - mais de la Collectivité de Corse qui dispose d'agences et offices pour le développement économique, l'agriculture, le foncier, l'environnement, mais pas pour la mer alors qu'elle a en charge le seul territoire insulaire de la métropole.

« La pêche corse meurt à petit feu dans l'indifférence des pouvoirs publics. Elle est en droit d'attendre une mobilisation plus forte et la mise en place urgente d'un plan de survie qui facilite l'installation des jeunes et garantisse le renouvellement d'une flotte trop vétuste ».

Joseph Sanna et son syndicat promettent de passer à l'action si rien ne bouge. Un brin plus optimiste, Gérard Romiti, qui appartient à la mouvance nationaliste, pense qu'un statut d'autonomie, actuellement à la traîne pourrait permettre la prise en considération normative des spécificités de la pêche corse, artisanale, familiale et essentiellement saisonnière. Encore faut-il que les deux têtes de pont de la réforme, Emmanuel Macron et Gilles Simeoni, mènent bien leur barque.

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