« En Corse, le secteur du BTP est au bord de la catastrophe économique » (Dominique Antoniotti, FBTP Haute-Corse)

S’il ne jouit pas d’une image très valorisante, le BTP constitue pourtant le pilier de l’économie insulaire et le mur maître de l’emploi régional – malgré la sur-représentation de métiers non qualifiés – avec plus de 10.000 emplois. Aujourd’hui, la filière est confrontée à une crise inédite, ce qui inquiète le président de la Fédération du BTP de la Haute-Corse.
Dominique Antoniotti, le président de la Fédération du BTP de la Haute-Corse.
Dominique Antoniotti, le président de la Fédération du BTP de la Haute-Corse. (Crédits : FBTP)

LA TRIBUNE - La filière du BTP évoque une baisse dramatique et inédite de l'activité. Vos carnets de commande sont vides ?

DOMINIQUE ANTONIOTTI - Ils se vident à vue d'œil et ils ne se remplissent plus. Nous vivotons sur le reliquat de 2023 et les perspectives pour 2024 sont clairement inquiétantes.

Quelles en sont les principales causes, la commande publique ou la commande privée ?

Les deux. Il y a une baisse drastique de la commande publique mais aussi une baisse significative des demandes de permis de construire individuelles pour de multiples raisons : le foncier est devenu une denrée rare et chère du fait de l'empilement de toutes les lois, loi Alur, loi ELAN, loi Littoral, loi Montagne, auxquelles s'ajoutent le Padduc*, document de régulation spécifique à notre territoire, et la pénurie de PLU dans les communes**. Les zones constructibles sont réduites à la portion congrue, le coût du foncier est devenu exorbitant et dissuade les particuliers d'acheter. Le secteur subit par ailleurs la hausse des prix des matériaux déclenchée par les conflits internationaux et la crise de l'énergie. Les taux bancaires, passés de moins de 2% à presque 5 % ont aussi leur propre effet dissuasif sur les potentiels acheteurs. Cette conjonction néfaste a généré la chute libre des mises en chantier, de l'ordre de 30 %. Et je ne parle même pas de la concurrence déloyale des entreprises qui recrutent à tour de bras de la main d'œuvre détachée des pays de l'Est.

La commande publique est vitale pour le BTP. Vous n'avez aucune assurance de ce côté-là ?

Le fait d'avoir concentré trois donneurs d'ordre, les deux conseils généraux et la Région sur un seul et unique, en l'occurrence la Collectivité de Corse, a singulièrement compliqué les choses. Si le seul interlocuteur subit une baisse de régime, nous la subissons par effet domino. Nous allons rencontrer le président Gilles Simeoni dans l'espoir d'avoir un peu plus de visibilité car nous sommes actuellement dans le brouillard complet. Nous n'avons pas davantage de clarté avec les services de l'État. Il faut savoir, par ailleurs, qu'entre le lancement d'un appel d'offres et le premier coup de pioche, il se passe six mois dans le meilleur des cas. On sait déjà que le premier semestre va être très compliqué, surtout si on ajoute les PGE contractés pendant la crise sanitaire à rembourser et les retards sur la récupération du crédit d'impôt investissement de 20 % dans l'achat de matériels par les entreprises. Ça fait beaucoup.

Pourtant, la Corse détient le record national de la croissance démographique...

Ce n'est pas le seul phénomène auquel nous assistons. De plus en plus d'insulaires qui habitent les grandes villes de l'île déménagent, s'ils en ont les moyens, dans les communes de la périphérie, estimant la qualité de vie meilleure et les impôts locaux moins élevés, et ce, même si les programmes de constructions collectives et individuelles se raréfient. D'autre part, les permis sont régulièrement attaqués par des associations écologiques, c'est un fait.

Il n'y a pas que les associations. Les réseaux sociaux dénoncent quotidiennement la prolifération des grues...

Je pose la question : tous ces gens-là qui répandent leur bile, ils sont logés où ? Même ceux qui arrivent du Continent parce que la Corse, c'est beau et c'est sauvage, parce qu'ils sont aisés et qu'ils optent pour le télétravail, une fois qu'ils ont trouvé leur maison à des prix souvent prohibitifs, ils n'ont ensuite qu'une obsession : empêcher les autres de construire et de s'installer. Il faut faire la part des choses. Nous avons besoin de loger nos enfants à des prix décents. Or, dans certaines microrégions, nous sommes dans l'indécence en raison de la dérégulation du marché du foncier et de l'immobilier. Les Corses n'ont plus les moyens de suivre et c'est inadmissible.

Et tous les efforts financiers sans précédent que l'État consent pour la rénovation énergétique des bâtiments, vous n'en tirez aucun avantage ?

Il y a beaucoup d'effets d'annonce mais la mise en œuvre de ces dispositifs prend du temps, déjà pour que les entreprises corses se forment - et elles ont la volonté de le faire - à toutes ces nouvelles modalités de construction. Je précise aussi que les coûts ont augmenté, nous l'avons déjà constaté avec la loi thermique de 2020 qui vise à diminuer la consommation d'énergie des bâtiments neufs. Désormais, pour le même prix, on a de 15 à 20 m2 en moins. Une famille qui a besoin d'un T4 ne prendra pas un T3 mais elle doit elle-même faire des efforts et les taux bancaires ne l'y encouragent pas.

La perspective de la loi ZAN qui va drastiquement réduire les coulées de béton ne doit pas vous enchanter non plus...

Disons qu'elle assombrit un peu plus le paysage. Pratiquement deux communes corses sur trois seraient frappées d'interdiction de toute extension d'urbanisation. Le coût du foncier va encore augmenter de façon vertigineuse et c'est d'autant plus inquiétant pour les jeunes Corses qui sont déjà pénalisés aujourd'hui pour accéder au logement.

Si la situation ne se redresse pas, beaucoup d'entreprises du BTP vont mettre la clé sous la porte ?

À ce rythme-là, sans une prise de conscience de la puissance publique, sans visibilité de la commande publique qui est notre oxygène, nous risquons d'avoir une catastrophe économique, oui, avant la fin de l'année.

*Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse dénoncé par les élus locaux en raison d'un trop grand nombre de contraintes relatives à l'urbanisation

**Moins de 20% des 360 communes de l'île sont dotées d'un plan local d'urbanisme

Le BTP en Corse, c'est...

6.200 entreprises (9 sur 10 sont des TPE)

10.600 salariés (15 % des emplois dans l'île)

11% du PIB Corse (8 % en moyenne nationale)

Commentaires 5
à écrit le 19/01/2024 à 4:17
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Bof on s'en moque il n'y a rien à faire ni a voir en Corse, il est bien plus agréable d'aller en Sicile . Deux séjours en Corse m'ont dissuadé de revenir me faire arnaquer ( comme en PACA où j'habite depuis 35 ans) Mais à chacun ses choix.

à écrit le 18/01/2024 à 23:25
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Peut être serait il temps de se mettre à faire de la rénnovation??? Dans notre zone géographique il’est quasi impossible de trouver des entreprises désireuses de s'y coller .....mais il’est vrai que le neuf est plus rapide et plus rentable surtout .....

à écrit le 18/01/2024 à 22:12
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Cela montre que les lois de protection de l'environnement sont efficaces. En toute logique si l'on limite les zones sur lesquelles on peut construire, alors l'activité du BTP diminue. C'est un mal pour un bien. Allez faire un tour à Taïwan pour voir ...

le 19/01/2024 à 8:42
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@dri - Les Chinois seraient donc les Corses de Taiwan. C'est sûrement pour limiter la betonnisation de Taïwan qu'ils veulent reprendre cette île. "Doumé"...ça se dit comment en Chinois ?🤣

à écrit le 18/01/2024 à 17:08
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A force de faire sauter les villas, ils croyaient quoi les Corses? Ceci dit ils ont pas tout à fait tort contre la betonnisation du littoral. Mais comme toujours on ne peut pas avoir la chaîne et la montre....quant au "c.l" de la fermière....🥰

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