La Corse enfin dotée d’une nouvelle unité de production électrique

Appelée à se substituer à celle du Vazzio, antédiluvienne et polluante, la centrale de Ricanto, construite en proximité, sera opérationnelle fin 2027. Mais le choix de la biomasse liquide pour la faire fonctionner fait grincer les dents de certaines associations écologistes.
La centrale thermique du Vazzio va enfin disparaître du paysage marin du golfe d'Ajaccio. Maîtrise d'œuvre Bonatti/Man - Projet architectural Villa Battesti Architectes et Associés
La centrale thermique du Vazzio va enfin disparaître du paysage marin du golfe d'Ajaccio. Maîtrise d'œuvre Bonatti/Man - Projet architectural Villa Battesti Architectes et Associés (Crédits : DR)

Archaïque, périmée au regard des normes européennes depuis... des lustres, la centrale thermique du Vazzio, qui fabrique de l'électricité pour l'ensemble de la Corse avec sa congénère, plus pimpante, de Lucciana au sud de Bastia, va enfin disparaître du paysage marin du golfe d'Ajaccio. Il aura fallu patienter plus de vingt ans et la visite, le 28 septembre dernier, d'Emmanuel Macron pour avoir la confirmation présidentielle de la construction d'un nouvel outil de production à Ajaccio.

Exploitée par PEI (Production électrique insulaire), filiale d'EDF dédiée aux zones non-interconnectées, la centrale thermique du Ricanto sera équipée de sept moteurs de dernière génération qui développeront une puissance équivalente - de l'ordre de 130 MW - à celle du Vazzio, dont elle sera contiguë. Elle fonctionnera à la biomasse liquide, conformément à la PPE de Corse, la Programmation pluriannuelle de l'Énergie, modifiée en conséquence le 30 juin par l'Assemblée de Corse. Son coût est estimé à 500 millions d'euros. Des efforts architecturaux seront consentis pour la meilleure intégration paysagère possible. La mise en service est prévue pour le deuxième semestre 2027.

Très forte croissance de la consommation

Comme tout territoire isolé, a fortiori une île, l'arrivée du courant dans les foyers est instable en hiver au moment des pics d'usage domestique. De quoi faire parfois disjoncter les familles mais aussi les chefs d'entreprises. Par ailleurs, au cours de ces dix dernières années, la consommation d'électricité en Corse a augmenté en moyenne de 3,6 %. Cette croissance considérable s'explique par la poussée démographique et les nouveaux besoins en électricité (climatisation, véhicules électriques, domotique, raccordement programmé des navires à quai dans les deux ports de commerce d'Ajaccio et de Bastia...). La demande grandissante impose un rythme d'investissement soutenu dans les outils de production qui arrivent en fin de vie et dont le remplacement doit impérativement intégrer les enjeux environnementaux. C'est déjà dans ce contexte qu'à Lucciana, jouxtant la centrale, la station de conversion (du courant continu en courant alternatif) du réseau câblé sous-marin et terrestre, appelé SACOI, dont la Corse sert de relais d'étape entre la Sardaigne et la Toscane depuis cinquante ans, va voir sa puissance doublée de 50 à 100 MW en 2024.

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De même, de crainte de coupures à répétition, l'avènement d'une centrale flambant neuve à Ajaccio était très attendue. Cédric Dupuis, directeur de projet à EDF PEI, le sait. « La centrale du Ricanto fournira au réseau électrique corse une énergie renouvelable, pilotable et garantie, avec une performance très élevée. Sa disponibilité sera en effet supérieure à 90 % pour les 25 années à venir. Elle interviendra en complément des énergies renouvelables intermittentes - solaire et éolien - dont le développement prévu est très important en Corse. EDF PEI fera appel aux meilleurs standards techniques et environnementaux pour la construction de ce nouvel ouvrage qui viendra remplacer la centrale vieillissante du Vazzio. »

Vieille centrale Ajaccio

[La centrale du Vazzio, antédiluvienne et polluante, va laisser place en 2027 à une nouvelle unité de production construite en proximité]

L'approvisionnement en gaz naturel abandonné

À l'origine, il avait été décidé que les deux grandes centrales de Lucciana et Ajaccio seraient alimentées en gaz naturel grâce au projet Galsi, du nom du gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie qui devait passer par la Corse. Le branchement était prévu à Olbia, en Sardaigne, et devait atteindre, via un itinéraire sous-marin, le golfe de Pinarello, dans l'extrême sud de l'île, à partir duquel une canalisation souterraine devait rallier les centrales après avoir traversé 55 communes. Un choix validé en 2015 par l'Assemblée de Corse. Mais, en définitive, c'est le gazoduc Galsi qui a été enterré au regard du peu d'intérêt des Européens - qui n'avaient pas prévu la guerre en Ukraine - d'augmenter leur approvisionnement en gaz algérien. À noter que sur les 500 millions d'euros d'économie faites par l'État avec l'abandon du gazoduc, les députés nationalistes ont réussi, par voie d'amendement, à récupérer 200 millions d'euros pour investir dans les énergies renouvelables et la reconversion énergétique des logements sociaux anciens.

Le projet de gaz naturel court-circuité, les moteurs de la centrale du Ricanto seront alimentés à la biomasse liquide, un carburant végétal fabriqué en Europe à partir d'huile de colza, un combustible 100 % renouvelable. Ses concepteurs assurent qu'elle fournira les garanties écologiques les plus exigeantes : « La biomasse liquide divise par trois les émissions de CO2 par rapport à un combustible fossile. Elle améliore nettement la qualité de l'air : plus d'émission de soufre et réduction sensible des poussières. Ces résultats sont démontrés par les études scientifiques environnementales récentes et présentées lors de l'enquête publique qui vient de se clôturer. »

Biomasse liquide : de l'électricité dans l'air

Deux associations vertes de l'île, A Sentinella et Aria Linda, ne partagent pas l'avis de Cédric Dupuis. Elles dénoncent un impact négatif sur la biodiversité, une mobilisation excessive du foncier agricole et des émissions nocives. « Nous venons de subir 40 années d'empoisonnement. Nous pensions en être sortis avec l'arrivée du gaz naturel, mais la volte-face de l'État nous impose des décennies supplémentaires de pollution, ce n'est pas acceptable. » En mai dernier, en audition parlementaire, Antoine Pellion, le secrétaire d'Etat en charge de la Planification écologique, se déclarait rétif au remplacement de la dépendance aux énergies fossiles importées par une autre dépendance importée« qui serait celle de la biomasse. » Un argument de poids en Corse où il faut prévoir des ravitaillements à grande échelle réguliers par voie maritime. De son côté, Julien Paolini, membre du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse en charge de l'énergie, tente de faire redescendre la tension. « Bien sûr, ce n'est pas la solution idéale, mais nous avons exigé que l'approvisionnement n'entraîne pas de déforestation et que la consommation des terres agricoles se fasse de manière raisonnée. »

Lire aussi« Ne sacrifions pas le réseau de gaz avant d'évaluer le potentiel de biomasse » (Jules Nyssen, syndicat des énergies renouvelables)

Précisons que les moteurs de la centrale thermique de Lucciana, qui carburent actuellement au fioul léger, seront probablement aussi convertis à la biomasse liquide. « La décision n'est pas formellement prise à ce jour. La Collectivité de Corse et le ministère de la Transition énergétique ont indiqué en étudier la possibilité. Le coût sera marginal dans la mesure où l'installation et le process ne seront pas modifiés », assure Cédric Dupuis.

S'agissant de la centrale du Ricanto, le dépôt du permis de construire est imminent et, d'ici la fin de l'année, devrait être publié l'arrêté préfectoral d'exploitation. En attendant patiemment 2050, date à laquelle la Corse espère atteindre l'autonomie énergétique... après l'autonomie politique.

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